TUCHÊ ET AUTOMATON. INTRODUCTION À L'INTRODUCTION AU SÉMINAIRE SUR LA LETTRE VO
TUCHÊ ET AUTOMATON. INTRODUCTION À L'INTRODUCTION AU SÉMINAIRE SUR LA LETTRE VOLÉE Agnès Sofiyana Érès | « La clinique lacanienne » 2004/2 no 8 | pages 199 à 220 ISSN 1288-6629 ISBN 2-7492-0240-X DOI 10.3917/cla.008.0199 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-la-clinique-lacanienne-2004-2-page-199.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Érès. © Érès. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Érès | Téléchargé le 03/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 46.193.64.40) © Érès | Téléchargé le 03/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 46.193.64.40) Tuchê et Automaton Introduction à l’Introduction au séminaire sur La Lettre volée Agnès Sofiyana À l’entrée du séminaire sur La Lettre volée, Lacan expose clai- rement son ambition de mettre en évidence l’automatisme de répétition dans l’insistance de la chaîne signifiante, caractérisée par l’ordre symbolique, et dont l’ambition toujours renouvelée est d’atteindre, par des déplacements du signifiant, la lettre oubliée, cachée, qui manque sans cesse à sa place dans le symbolique, et dont l’inconscient garde la trace, dans le réel, sans qu’aucun savoir puisse l’en déloger. Pour ceux qui s’étonnent ou s’émerveillent des coïncidences à répétition, les deux faces du hasard distinguées par Aristote, τυχη et αυτοµατον, trahissent la suprématie du signifiant dans le dis- cours et dans l’acte du sujet. C’est ce que Lacan se propose d’illustrer dans l’article qui prolonge le séminaire sur La Lettre volée, et qu’il titre paradoxalement Introduction, en prenant appui sur le jeu du « pair ou impair » raconté par Dupin dans la nouvelle d’Edgar Allan Poe. Et puisque « tout point qui demande réflexion s’offre le plus favorablement à l’examen dans l’obscurité » nous dit Lacan, reprenant les mots de Dupin, nous examinerons ici l’énigme de la 199 © Érès | Téléchargé le 03/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 46.193.64.40) © Érès | Téléchargé le 03/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 46.193.64.40) quête de la lettre en souffrance à la lumière obscure de la règle du temps logique, exposée par Lacan en 1945. Mon intervention de ce soir 1 porte sur la séance prononcée par Jacques Lacan le 26 avril 1955, pendant son séminaire sur L’au-delà du principe de plaisir en 1954-1955 (édité au Seuil sous le titre Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse), séance intitulée Séminaire sur la Lettre volée d’Edgar Allan Poe (1845), et publiée du vivant de Lacan en ouverture des Écrits de 1966. La publication de cette séance a donné lieu à l’écriture postérieure d’un texte intitulé « Introduc- tion », censé éclairer le séminaire – censé car à la première lec- ture ce texte plonge en général le lecteur dans un brouillard sans nom, si ce n’est dans la répulsion ! LA LETTRE VOLÉE – REGARDS ET TEMPS LOGIQUES Presque tout le monde connaît, sans pour autant l’avoir lu, l’histoire de La Lettre volée d’Edgar Allan Poe : il arrive en effet que, en cherchant un objet (clé, tire-bouchon, chaussettes, etc.) manquant à sa place, l’on s’évertue à regarder partout où il pour- rait plausiblement être, pour qu’enfin, après avoir presque aban- donné les recherches, quelqu’un d’autre (époux, épouse, enfants, collègue, etc.) trouve l’objet en question en s’exclamant : « M’en- fin, il était là, sous ton nez et tu ne l’as pas vu ! » Alors, se peut-il que, habité par un souvenir déformé de l’ob- jet cherché, nous ne puissions voir ce qui est visible, quand bien même l’objet serait à portée de regard ? À la fin de la nouvelle d’Edgar Allan Poe, la lettre volée, quelque peu chiffonnée, est affichée, en évidence, à la portée de tous les regards et pourtant, tous les regards la ratent, sauf celui de Dupin, qui n’est pas dupe, et qui ne se laisse pas éblouir par le souvenir de la gravité de la lettre. Le regard porte donc conséquence ici. Rappelons les faits : l’histoire met en scène des protagonistes, qui, comme au jeu de la chaise musicale, s’échangent leurs rôles LA CLINIQUE LACANIENNE N° 8 200 1. Travail exposé au séminaire interne de l’École psychanalytique de la Salpé- trière le 12 janvier 2005. © Érès | Téléchargé le 03/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 46.193.64.40) © Érès | Téléchargé le 03/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 46.193.64.40) et répètent une même scène inaugurale où les regards se voilent ou se dévoilent : – première scène : le roi (qui ne voit rien), la reine (qui voit que le roi ne voit rien et se leurre d’être la seule à voir), le ministre (qui voit que ce qui est à cacher est à découvert et veut s’en empa- rer) ; – deuxième scène : la police (qui ne voit rien), le ministre (qui voit que la police ne voit rien et se leurre d’être le seul à voir), Dupin (qui voit que ce qui est à cacher est à découvert et veut s’en emparer). Lacan interprète le premier vol de la lettre (le ministre volant la lettre sous le nez de la reine, alors que le roi est en position de voir) comme la scène primitive et le second vol (Dupin dérobant la lettre au ministre et la remplaçant par un faux, alors que la lettre est en position d’être vue) comme une répétition de la scène primitive. C’est donc « l’intersubjectivité où les deux actions se moti- vent que [Lacan veut] relever, et les trois termes dont elle les structure » en ceci que, dans chacun des vols, les actions « répon- dent à la fois aux trois temps logiques par quoi la décision se pré- cipite, et aux trois places que [la lettre] assigne aux sujets qu’elle départage 2 ». Lacan fait ici allusion à son article intitulé Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée et datant de 1945 (soit 10 ans avant ce séminaire). Il en fait clairement référence, mais ne déve- loppe pas les trois temps identifiables dans chaque scène, ce que je vais faire maintenant. Trois temps logiques donc dans la scène primitive : l’instant du regard (le ministre voit que le roi ne voit pas), le temps pour comprendre (le ministre voit que la reine voit la lettre et qu’elle voit que le roi ne voit pas la lettre) et le moment de conclure (le ministre dérobe la lettre sous le regard de la reine qui ne peut rien faire sous peine d’attirer l’attention du roi sur ladite lettre). Et dans la scène répétée, les trois temps se reproduisent de manière quasi identique, en remplaçant le roi par la police, la 201 TUCHÊ ET AUTOMATON 2. J. Lacan, « Le séminaire sur “la Lettre volée” », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, 11-61, p. 15. © Érès | Téléchargé le 03/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 46.193.64.40) © Érès | Téléchargé le 03/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 46.193.64.40) reine par le ministre et le ministre par Dupin. La seule chose qui reste à sa place, c’est la lettre, dont le rôle peut être imagé par un pivot ou un axe de rotation, ou encore une chaise musicale, autour de laquelle les acteurs tournent, tout en ne cessant d’y jeter un œil afin de saisir l’opportunité de s’y asseoir, sur la chaise, pas sur la lettre ! Ainsi, les déplacements des trois acteurs sont « déterminés par la place que vient à occuper le pur signifiant qu’est la Lettre volée, dans leur trio » et c’est précisément cette persistance du signifiant qui permet à Lacan d’y voir un automatisme de répéti- tion, au sens freudien. Sans aller trop loin dans notre développement, disons, pour l’instant, que la Lettre tient la place du signifiant, qui se dérobe alors même que la répétition prétend à y accéder. Cette dérobade du signifiant (ici dans une pureté à rendre Poe lacanien) est une conséquence inéluctable de la suprématie du symbolique sur le réel. RÉPÉTITION, TUCHÊ ET AUTOMATON C’est ce que l’Introduction va nous montrer, mais avant de plonger dans le vif du sujet, et puisque, souvent, ce qui suit éclaire ce qui précède, éclairons donc ce que Lacan appelle l’au- tomatisme (ou compulsion, ou contrainte) de répétition (Wiede- rholungszwang) et ses rapports avec le réseau des signifiants, en lisant d’une part le séminaire Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse (1954-1955) et celui plus tardif, des Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, en 1963-64. Dans Le Moi dans la théorie de Freud… Lacan avait précisé que la répétition est au-delà du principe de plaisir ; en d’autres termes la répétition n’est pas exclusivement une conséquence du désir de reproduire uploads/Philosophie/ cla-008-0199.pdf
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- Publié le Oct 05, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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