Le contenu du cours. Thème. Le cours, vous en avez déjà fait l’expérience, port
Le contenu du cours. Thème. Le cours, vous en avez déjà fait l’expérience, porte sur la philosophie de l’art sous un angle particulier : on se concentre sur le thème de la création artistique, sur la question « quelle est la force qui pousse l’artiste à créer ? ». De ma part je dirais que déjà la question n’est pas neutre parce qu’elle présuppose que d’un côté l’artiste est poussé à créer, et d’autre côté que ce qui pousse l’artiste à créer peut être thématisée comme une certaine force. Néanmoins le problème lui-même est très intéressant et très pertinent pour un cours de la philosophie. Je souhaiterais noter que cette question là, la question de la création artistique, de ce que cela signifie de créer, des conditions de possibilité de la création, de ses conséquences etc, dans la philosophie ce n’est une question isolée. Cela veut dire que la question sur l’art s’insère le plus souvent dans un système philosophique, dans une certaine doctrine. Par exemple, on sait bien que chez Platon l’art, la création artistique est souvent conçue comme un dédoublement de l’apparence, comme une activité mimétique liée à la tromperie. Une telle conception de l’art donne une double conséquence dans son système de pensée. D’un côté, ontologiquement, l’art est alors dévalué. Pour Platon, notre monde des sens, le monde de l’expérience n’est qu’une copie, un dédoublement de la réalité véritable des Idées qui pour leur part sont au-delà du monde sensible, dans la transcendance. Alors, si l’expérience est déjà plus pauvre en qualité ontologique que la réalité véritable des Idées transcendantes, l’art est encore plus dévalué parce qu’il est une imitation de la réalité sensible, une copie de copie, un dédoublement de l’apparence. La deuxième conséquence se produit dans la pensée politique de Platon : quand dans la République le philosophe imagine une cité idéale, l’activité des poètes n’y est pas accepté parce qu’elle ne sert pas à la propagation de la vertu (dans la cité idéale le but étant de cultiver l’amour de la beauté, de la justice et de la sagesse, cad de mener une vie vertueuse). Alors, on peut voir comment une certaine conception de l’art influe sur la totalité du système ontologique et politique. L’exclusion des poètes de la cité idéale est en effet constitutive de la cité, cad on a toute une série de rapports et de correspondances entre la conception de la vérité, de la vertu, de la création artistique et d’une forme de l’organisation politique. Un autre exemple que je voudrais évoquer, c’est un exemple bien plus contemporain. Au début du XXe siècle, dans les années 20 un institut pour la recherche sociale a été créé en Allemagne, à Francfort, par des penseurs et des chercheurs de l’inspiration marxiste. Leur but était de développer une analyse critique de la société qui serait marxiste mais qui pourrait en même temps s’opposer au dogmatisme du marxisme soviétique. Un des plus fameux auteurs issu de cet institut s’appelle Théodor Adorno. Je voulais l’évoquer parce que dans sa théorie critique de la société l’art, la création artistique occupe une place très importante. Adorno conçoit la société du capitalisme tardif (comme il l’appelle) comme un système clos qui est en train de se fermer sur lui-même. Qu’est-ce que cela veut dire ? Selon Adorno, le rapport marchand pénètre de plus en plus étroitement la totalité de la vie intérieure et extérieure des sujets, tout est enfin subordonné à l’accumulation infinie de la valeur qui n’est pas ensuite consommé pour satisfaire les besoins des gens mais simplement accumulé sans cesse (ou en réalité on pourrait dire qu’elle satisfait les besoins de quelques petites cliques). Adorno conçoit le rapport marchand comme rapport d’identité : en fait quand la pensée identifie un objet, quand elle subsume un donné empirique sous un concept unique, elle reproduit la logique marchande qui subsume (dans la terminologie marxiste) la valeur d’usage (qq chose d’utile qui pourrait satisfaire un besoin) sous la valeur d’échange ou valeur abstraite (là j’utilise la terminologie marxiste et je comprends que pour entrer en détaille il faudrait qu’on interroge ces concepts plus profondément, mais maintenant on va passer plutôt vite). (ou encore : dans le capitalisme toute activité réelle, la vie sensible est subordonné à la production de la valeur, à la reproduction du capital, et c’est ce rapport qui selon Adorno s’exprime dans la pensée sous la forme de l’identité). Or, ce qui est intéressant pour nous, c’est que Adorno identifie l’art comme un de très rares lacunes qui n’est pas encore pleinement subsumé sous le rapport de l’identité marchande. Autrement dit, l’art a la capacité de s’échapper à la logique du capital et à ce titre il peut servir de l’appui dans la critique de la société capitaliste. On pourrait se demander – comment ? C’est parce que, selon Adorno, l’art, au lieu de subsumer une chose sous l’identité du concept, tend à se servir des concepts (harmonie, style, concept au sens de règle) pour précisément faire apparaître leur insuffisance, leur incapacité à saisir la chose. Par exemple, quand Adorno parle du style en tant qu’une certaine totalité de règles établis, il note que chaque grand artiste se sert du style établi précisément pour ne pas satisfaire à ses demandes dans sa propre création artistique. Deux conséquences s’ensuivent de telle conception de l’art : premièrement, comme j’ai déjà noté, l’art peut servir d’une brèche de résistance à la logique identificatrice du capital. Deuxièmement, Adorno réfléchit sur l’affinité entre la création artistique et la réflexion philosophique, l’art devient indirectement un des points d’appui (pour ne pas dire un des modèles) de la pensée philosophique. Donc nous avons deux exemples diamétralement opposés : l’art comme quelque chose à bannir, à interdire, parce qu’il trouble la bonne ordre de la cité, la vie belle et vertueuse, et l’art comme une lacune qui permet précisément de critiquer la vie mutilée sous le régime du capitalisme tardif, qui permet de rendre intelligible l’injustice de la société marchande. Néanmoins il y a quelque chose de commun entre ces deux visions de l’art. Dans les deux cas l’art est conçu comme ce qui nuit à l’organisation bien réglée et systématique, ce qui trouble le rapport systématique. Dans le cas de Platon l’art trouble la bonne ordre où les différences entre les classes sont bien établies et où chacun est à sa place : les philosophes-gouvernants, puis les gardiens, puis les producteurs. L’ordre est établi sur l’identité entre d’un côté la qualité ontologique de la personne (si son âme porte une marque d’or, d’airain, ou de fer) et de l’autre côté sa fonction ou son occupation dans la société. Il faut que les gouvernants reconnaissent bien la nature ontologique de la personne et que sa place sociale y corresponde. L’art trouble cet ordre parce qu’il est un dédoublement de l’apparence, l’apparence de l’apparence, et l’apparence est précisément quelque chose qui s’oppose à l’identité, ce qui est seulement une apparence, un trompe-l’oeil est précisément quelque chose qui paraît être ce qu’elle n’est pas. Dans le cas d’Adorno, c’est l’ordre établi qui est perçu comme répressif, mutilant. Le rapport systématique qui soumet chaque chose à sa propre identité serait ce qui rend la vie insupportable et pourtant se qui la pénètre presque complètement. Or l’art, qui détraque la logique identificatrice, offre un espoir de quelque chose de meilleur : ce qui serait à minimum la possibilité de critiquer la société capitaliste, de symboliser discursivement l’injustice qui s’y perpétue. C’est précisément parce que l’art est le lieu obscur du système, parce que c’est le point où le rapport systématique ne fonctionne plus, qu’il devient le point d’appui de l’émancipation. (après, bien sûr que cette idée de l’art comme espoir de l’émancipation ne naît pas du tout avec Adorno, on en trouverait les sources déjà chez les Lumières et dans le romantisme). Comme je voulais vous montrer, la conception de l’art n’est nullement une question isolée mais elle est surdéterminé par toute une chaîne d’autres éléments conceptuels (de la même pensée philosophique) et inversement elle les surdétermine à son tour. Alors, ce qui ressort de ces exemples qui englobent la tradition philosophique (un au tout début de la philosophie, l’autre presque contemporain), c’est l’art comme point où l’ordre et le système se casse, l’art comme ce qui met à mal le rapport ordonné et systématique. Je crois qu’il est complètement pertinent de commencer ce cours par étudier la philosophie esthétique de Kant, cad la troisième critique, la critique de la faculté de juger où Kant traite entre autres les questions liées à la beauté et à l’art. La raison pour laquelle je dis que c’est très pertinent, c’est que dans le système kantien apparaît très clairement ce caractère indompté de l’art (ou plutôt chez Kant on va parler des jugements esthétiques). Or, comment ressort ce caractère indompté de l’art ? Comme vous le savez, la critique de Kant est toute entière une sorte de travail préparatoire pour une doctrine métaphysique à venir, cad pour la philosophie à proprement parler. uploads/Philosophie/ cours-1-sur-art-kant.pdf
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- Publié le Mai 10, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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