Revue des Études Grecques Le problème d'Anaxagore Charles Mugler Résumé Le sens
Revue des Études Grecques Le problème d'Anaxagore Charles Mugler Résumé Le sens exact de certains fragments d'Anaxagore ne peut être retrouvé que si on les interprète à la lumière de la terminologie mathématique et physique de la fin du Ve siècle. L'A. applique cette méthode en particulier aux fragments 1, 3 et 9, en analysant les expressions καὶ τλήθος καὶ σμικρότητα, ἄπειρος, τα μή ούκ εἴναι et en examinant l'appartenance syntaxique de ταχὺ au fragment 9. Il tient compte, en plus, d'un texte de Proclus pour préciser la définition des homéomères. Ainsi interprétés, les fragments apparaissent comme les vestiges d'un système du monde cohérent, où entre autres la contradiction apparente entre ἄλλῃ du fragment 4 et ἐν τῷ ἑνὶ κόσμῳ du fragment 8 se résout par la représentation d'un cosmos unique soumis à une croissance homothétique. Citer ce document / Cite this document : Mugler Charles. Le problème d'Anaxagore. In: Revue des Études Grecques, tome 69, fascicule 326-328, Juillet-décembre 1956. pp. 314-376; doi : 10.3406/reg.1956.3455 http://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1956_num_69_326_3455 Document généré le 26/05/2016 LE PROBLÈME D'ANAXAGORE I Peu de philosophes de l'ère présocratique ont suscité autant d'interprétations contradictoires qu'Anaxagore. Le chaos de ces vues contraires est tel, qu'un historien de la pensée grecque comme L. Robin a pu qualifier, en désespoir de cause, d'insoluble la question de la cosmologie du Clazoménien dans l'état actuel de la tradition. Certaines de ces divergences remontent au texte même des fragments, qui semblent se contredire en plusieurs endroits. Le fragment 8 souligne l'unicité du monde, alors que le fragment 4 contient tout un développement sur un processus cosmique opérant « ailleurs » que « chez nous ». D'autres nous ont été transmises par les auteurs anciens qui ont traité d'Anaxagore, sans qu'il nous soit possible, dans l'état fragmentaire du texte, de leur assigner une source chez le penseur lui-même. Aristote et son école lui reprochent l'asymétrie consistant à donner au monde un commencement et à le faire durer indéfiniment à partir de sa naissance. Aétius, au contraire, nous affirme que ce cosmos est voué à la destruction. Quelle est la représentation authentique d'Anaxagore ? Le même Aristote dit, dans son traité Du ciel (i), que les homéomères sont des particules ultimes imperceptibles de la matière, dont la réunion constitue les corps sensibles ; mais, dans la Métaphysique (2), il présente ces êtres comme des corps composés susceptibles de se former par agglomération et de disparaître par séparation. Où est la vérité d'Anaxagore ? (1) 3o2 b 2. (2) $84 a i3. LE PROBLÈME D'ANAXAGORE 31î> La discussion du texte et de la pensée du Clazoménien par l'érudition moderne n'est pas arrivée jusqu'à présent à faire la lumière sur ce système du monde en réfutant l'une ou l'autre des deux thèses opposées ou en proposant des solutions intermédiaires plausibles. Bien au contraire, aux désaccords des anciens sont venues s'ajouter de nouvelles divergences de vue ayant souvent l'ampleur d'antinomies cosmologiques. P. Tannery, qui a renouvelé la question d'Anaxagore par une analyse pénétrante de la physique des qualités inséparables, accepte, en ce qui concerne le problème du temps, l'interprétation aristotélicienne d'un commencement du monde dans le passé et d'une durée illimitée dans l'avenir (i). Telle est aussi l'opinion de F.-M. Cornford (2) et de C. Freeman (3), alors que J. Zafiropulo (4) prévoit un commencement et une fin pour l'action cosmique. En ce qui concerne l'espace, l'univers matériel, la masse amorphe sur laquelle agit le Νους, s'étend à l'infini, et le monde, le cosmos organisé, croît par conséquent indéfiniment, au cours d'un avenir illimité, pour Tannery, J. Burnet, F. Enriques (5). Mais Zafiropulo (6) assigne à la masse primordiale une limite a distance finie. Le désaccord n'est pas moins grand dans la question du nombre de mondes s'organisant dans la substance amorphe sous l'action du Νους. Pour Tannery (7), Enriques (8) et Cornford (9), le cosmos d'Anaxagore est unique, mais la thèse de l'unicité est contestée par Burnet (10) en vertu du fragment l\ et par C. Freeman (11) en vertu du commentaire de Simplicius. L'opinion de Zafiropulo sur ce point est flottante. Il penche en général à admettre un monde unique, mais le fragment !\ lui (I) Pour l'histoire de la scienxc hellène, Paris 1887, p. 281. (3) Anaxagorns' theory of matter, The Classical Quarterly XXIV, ig3o. p. :·.3. (3) The pre-socratic philosophers, Oxford 1949, pp· 267, 269. (4) Anaxagore de Clazomènc, Paris ig48, p. 323. (5) J. Burnet, Early greek philosophy 4. 1948, p. 266 ; F. Emuques et G. tic Santillana, Les derniers « physiologues » de la Grèce, 1936, pp. 10. 19- (C) PP. 345 353 et passim. (7) P. 281. (8) P. I7. (9) ρ· *3· (10) P. 269. (II) P. 37/1. 316 CHARLES MUGLER suggère parfois, à lui aussi, l'idée d'une pluralité (i). En ce qui concerne la fameuse question des homéomères, dont Aristote et plusieurs doxographes prêtent la représentation à Anaxagore, le désaccord des interprètes est complet et se manifeste sous les formes les plus variées. Les uns, comme Tannery, rejettent les homéomères d'Anaxagore comme une invention ou un malentendu d'Aristote. Ceux qui admettent leur existence dans le système d'Anaxagore, avec conviction comme Burnet et Cornford, ou à la rigueur comme Zafiropulo, ne s'entendent en général pas sur le sens physique de cette notion. Les raisons de ce bilan décevant sont à chercher dans la complexité du système d'Anaxagore. Alors que les autres systèmes présocratiques sont conçus, en général, comme une réplique à un seul parmi les systèmes précédents ou contemporains, Anaxagore répond à plusieurs constructions cosmologiques qu'il convient d'avoir présentes à l'esprit dans une analyse de sa pensée. Commençons donc par faire le point de la philosophie cosmologique dans la période de 45o à ^28, à peu près, dans laquelle tombent une partie de l'enseignement d'Anaxagore à Athènes et, à la fin, la publication de son unique livre. La thèse éléate, la négation du non-être, du mouvement et de la pluralité, avait déjà sollicité, à cette époque, plusieurs réactions. D'un côté, il y avait le système d'Empédocle, qui nie encore le vide, mais qui sauve les apparences sensibles en remplaçant l'Un invariable de Parménide par une réalité quadruple dont chaque composante accuse la propriété parménidienne de l'invariance quantitative et de l'extériorité, et en soumettant ces quatre réalités à un mouvement qui ne supposait pas le vide, à un brassage dans lequel les particules de la matière se déplaçaient solidairement avec une série d'autres particules disposées en cycles fermés. D'un autre côté, Leucippe avait déjà commencé, à cette époque, à répondre à l'éléatisme en accordant l'existence au non-être et en distribuant les propriétés de l'être sur une pluralité infinie de corps libres de se mouvoir dans le vide illimité. Un peu avant Leucippe, les Pythagoriciens avaient opposé leur (1) PP. 323, 344, 346. LE PROBLÈME DANAXAGORE 317 pluralisme arithmétique au monisme éléate. Les disciples de Parménide, en particulier Zenon, avaient riposté à ces réactions contre l'Un parménidien, en défendant la thèse de leur maître avec les ressources d'une dialectique raffinée tendant à réduire à l'absurde les thèses pluralistes. Anaxagore, qui partageait avec la plupart des présocratiques le souci de l'actualité scientifique et philosophique, était au courant de toutes ces théories. Il connaissait en particulier celle de Leucippe. Une grande partie des difficultés dans l'interprétation d'Anaxagore, provient de ce que la plupart des historiens de la pensée grecque s'obstinent à nier cette connaissance, et le cas d'Anaxagore ressemble, sous ce rapport, à celui de Platon, auquel on a aussi prêté, jusqu'aux travaux de J. Stenzel, l'ignorance, et même une ignorance voulue, des travaux de l'école atomiste. Certains détails de la biographie clu Clazoménien, le fait, en particulier, souligné encore récemment par Zafiropulo (i), qu'il n'a publié son livre, d'après Aristote (2), que vers la fin de sa vie, c'est à dire autour de /i3o, date de l'akmé de Leucippe, semblent suggérer a priori l'hypothèse qu'Anaxagore a connu et critiqué le système de l'atomisme au moins sous sa première forme. Mais tout en reconnaissant la compatibilité chronologique, on préfère voir (3) dans la dénégation du non-être dans le fragment 3 une polémique à l'adresse des Pythagoriciens plutôt qu'un trait contre l'atomisme. Nous verrons cependant, en examinant la terminologie de ce fragment, qu'Anaxagore ne saurait avoir en vue ici que le vide des atomistes, et que toute la physique du Clazoménien devient plus claire si on l'entend comme une solution du problème cosmologique opposée à celle de Leucippe. Une des grandes préoccupations de la physique des penseurs antérieurs et contemporains était le problème de l'origine du mouvement, du ό'θεν ή κίνησις. Comment se fait-il que le monde continue à fonctionner malgré l'usure dont nous constatons les indices partout autour de nous ? Ioniens et Siciliens, Pythagoriciens et atomistes (1) P. 273. (2) Aristote situe l'œuvre d'Anaxagore postérieurement aux vies, entre autres, tl'Hippase et de Diogène d'Apollonie, Met. g84 a 5. (3) Cp. entre autres Burnet, op. laud., p. 332. 318 CHARLES MUGLER avaient été hantés par cette question de vie ou de mort de l'univers, et les écoles avaient lutté d'ingéniosité pour inventer le dispositif sauveur uploads/Philosophie/ le-probleme-d-x27-anaxagore.pdf
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- Publié le Fev 27, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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