Théorie critique DU MÊME AUTEUR CHEZ LE MÊME ÉDITEUR Notes critiques (1949-1969

Théorie critique DU MÊME AUTEUR CHEZ LE MÊME ÉDITEUR Notes critiques (1949-1969). Sur le temps présent Crépuscule. Notes en Allemagne (1926-1931) Éclipse de la raison Les Débuts de la philosophie bourgeoise de l'histoire Max Horkheimer Théorie critique Essais Présentés par Luc Ferry et Alain Renaut et traduits de l'allemand par le groupe de traduction du Collège de philosophie avec la participation de G. Coffin, L. Ferry, J. Masson, O. Masson et J.-P. Pesron Payot Retrouvez l'ensemble des parutions des Éditions Payot & Rivages sur www.payot-rivages.fr « Critique de la politique » collection dirigée par Miguel Abensour © S. Fischer Verlag. © 1978, Éditions Payot pour la traduction française. © 2009, Éditions Payot & Rivages pour la présente édition, 106, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris. PRÉSENTATION Un des intérêts des textes ici rassemblés est qu'ils constituent en quelque sorte les protocoles d'une entreprise s'étendant sur une quarantaine d'années. De Zum Rationalismusstreit (1934) à Kri- tische Theorie gestern und heute (1970) l'itinéraire de Horkheimer pourrait bien être un document exceptionnel : il présente en effet la particularité d'offrir le témoignage du trajet parcouru au sein du marxisme par une pensée rigoureuse qui, à partir des débats de l'Allemagne des années 1920-1930 entre orthodoxie et révision- nisme (voire à partir d'une crise du marxisme), puis dans l'ébran- lement de la période stalinienne, en est venue à une mise en question radicale du marxisme. Témoignage parallèle, si l'on veut, à ceux qu'offrent les trajets de Korsch ou de Lukâcs, mais témoi- gnage autrement insolite : Lukâcs, en effet, à travers ses critiques d'une certaine orthodoxie, n'interroge jamais vraiment le marxisme lui-même ; et Korsch en arrive bien, en 1950, à examiner le statut de la théorie même de Marx et à conclure à la nécessité de « rompre avec le marxisme1 » ; cette rupture, toutefois, n'implique aucune- ment l'abandon du point de vue de la révolution : il s'agit unique- ment de reconstruire une théorie de la pratique, donc de conserver la visée d'une transformation socialiste de la réalité, même si la façon dont Marx s'est acquitté de cette tâche apparaît « aujour- d'hui » comme empreinte d'hégélianisme, donc de «jacobinisme bourgeois »2. Or « aujourd'hui » la Théorie critique, quand Hork- heimer tente de la définir en 1970 (Kritische Theorie gestern und heute*), va beaucoup plus loin dans la rupture : non seulement le concept du socialisme produit par Marx est démasqué dans ses implications totalitaires, mais il n'est même pas question de réo- rienter la pratique révolutionnaire à partir d'un nouveau travail théorique qui dégagerait le marxisme de ses propres gangues : c'est 8 / Théorie critique au contraire la tâche de la révolution qui est explicitement aban- donnée. Un tel abandon est d'ailleurs ce qui permet à certain(s) marxisme(s) d'ignorer trop souvent la Théorie critique en ne la reconnaissant plus comme située dans la filiation de Marx : liant au renoncement à la pratique révolutionnaire la réintroduction, chez le dernier Horkheimer, d'une certaine dimension religieuse, on se croit alors en droit de parler d'un idéalisme, enfin démasqué, de la Théorie critique, et, ayant prononcé ainsi le vieil anathème, on ne trouve en ce parcours et en son issue rien qui concerne une entreprise authentiquement matérialiste, rien qui puisse lui apprendre quelque vérité sur elle-même4. Il est permis d'avoir pour méthode de refuser une évacuation aussi sommaire et de tenter de reconstruire la logique du parcours pour en cerner de plus près la signification. La question directrice de cette présentation consistera donc à demander par quels détours Horkheimer, parti, comme on le verra, du projet de construire une théorie révolutionnaire, en est venu à refuser la visée même de la révolution. Il s'agira donc de comprendre une évolution, voire une rupture. Or, avant d'entreprendre d'en dessiner le contenu, puis d'en expliquer les mécanismes, l'analyse doit s'affronter préala- blement à un problème de méthode : selon quels principes expli- quer l'évolution d'une théorie ? La question vaut bien évidemment pour toute théorie, mais elle est particulièrement présente dès que l'on évoque le parcours de la Théorie critique : Horkheimer a en effet posé lui-même certains principes explicatifs de tout discours théorique et de son évolution, principes explicatifs sur la validité desquels il convient de s'interroger. Le problème de l'évolution d'une théorie « Parmi les raisons qui m'ont fait différer la réédition des essais parus dans la Zeitschrift fur Sozialforschung et depuis longtemps épuisés, la moindre n'a pas été ma conviction qu'un auteur ne doit jamais publier que des idées qu'il puisse défendre sans réserve. Les travaux philosophiques que j'ai publiés autrefois et qui paraissent ici de nouveau ne demanderaient pas seulement à être remis en forme avec rigueur ; ils sont aussi dominés par des conceptions économiques que l'on ne peut plus accepter aujour- d'hui5... » C'est par ces lignes que M. Horkheimer ouvre sa pré- face à la réédition6 des essais parus dans les années 1930 et 1940 et qui ont pour l'essentiel contribué à constituer la Théorie critique. Présentation / Il Que Horkheimer souligne en 1968 la distance qui le sépare de ce qu'il avait pu écrire quelque quarante ans plus tôt, ne semble avoir au fond rien d'étonnant. Comment même en serait-il autrement dès lors que la Théorie critique, en tant que théorie matérialiste, a toujours affirmé qu'elle n'exerçait pas « sa critique à partir de la seule idée pure » et qu'elle ne « jugeait pas en fonction de ce qui est au-dessus du temps, mais en fonction de ce qui est dans le temps7 » ? Un tel enracinement historique du lieu de la critique (« critique immanente ») semble en effet impliquer l'évolution nécessaire de la Théorie au cours de l'histoire. Dans son essai sur le Problème de la vérité, Horkheimer affirme même, contre l'illu- sion de la clôture propre à la « dialectique idéaliste », que « la théorie que nous considérons comme juste peut disparaître un jour parce qu'ont disparu les intérêts pratiques et scientifiques qui ont joué un rôle lors de la formation des concepts ainsi que les choses et les états de fait auxquels ils se rapportaient. Cette vérité ne peut alors effectivement pas être ressuscitée car il n'existe aucun être surhumain qui maintiendrait dans son esprit omniscient l'actuelle relation entre des contenus de pensée et des objets, une fois que les hommes réels auraient changé ou même que l'humanité entière aurait péri8. » Tel est bien aux yeux de Horkheimer le fondement même d'une théorie de la connaissance, d'une épistémologie authentiquement matérialiste : la vérité ne saurait y être tenue pour éternelle. L'évolution d'une théorie, loin d'être alors une objection contre elle (comme elle pourrait l'être dans un contexte idéaliste), est bien plutôt le signe de sa capacité à cerner le réel, à s'adapter à son perpétuel mouvement9. Il nous semble pourtant que la question de l'évolution de la Théorie critique est plus complexe et cela au moins pour deux raisons : 1) Tout d'abord parce que la thèse de l'évolution perpétuelle d'une théorie reflétant une réalité elle-même en perpétuel mouve- ment doit être en quelque façon tempérée, aux yeux de Horkheimer lui-même, sous peine de sombrer dans le relativisme et l'irratio- nalisme dont il n'est pas besoin de souligner qu'ils furent autant, et peut-être même plus que l'idéalisme, les adversaires de la Théorie critique : « La réserve abstraite selon laquelle notre connaissance dans son état actuel pourrait un jour faire l'objet d'une critique justifiée et se trouver susceptible d'être corrigée ne se traduit pas chez les matérialistes par une libéralité à l'égard d'opinions contradictoires, voire par une hésitation sceptique10 [...].» Cette critique du relativisme conduit donc inévitablement à admettre un élément de stabilité au sein de l'évolution de la 10 / Théorie critique théorie : « Il est bien alors possible que certaines visions partielles se révèlent comme fausses, que certaines déterminations tempo- relles soient réfutées et que des améliorations s'avèrent néces- saires ; des facteurs historiques que l'on avait négligés peuvent bien apparaître et de nombreuses thèses répandues et entretenues dans la passion s'avérer être des erreurs. Cependant, la connexion avec la théorie comme totalité n'est nullement perdue dans cette application. Le fait de tenir bon au contenu doctrinal confirmé ainsi qu'aux buts et aux intérêts qui l'ont façonné et dominé est la condition nécessaire de l'amélioration efficace des défauts. Une confiance inébranlable en ce qui a été reconnu comme vrai est un moment du progrès théorique au même titre que l'ouverture à des tâches et à des situations nouvelles [...]". » La Théorie critique prétend ainsi se tenir à égale distance de la stabilité idéaliste (propre au rationalisme) et du relativisme12, tout en retenant, si l'on ose dire, les « bons côtés » des deux adversaires. Nous aurons à nous interroger sur les conditions de possibilité d'une telle entre- prise et à nous demander, notamment, d'où vient à la Théorie critique cet élément de stabilité qui tempère son penchant au rela- tivisme. Annonçons d'emblée que c'est sur ce point que nous semble reposer l'une de ses difficultés principales. uploads/Philosophie/ critique-de-la-politique-horkheimer-max-the-orie-critique-essais-payot-2009.pdf

  • 23
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager