Traduction de Guy-François Delaporte TRAITÉ DE L’INTERPRÉTATION D’ARISTOTE Comm

Traduction de Guy-François Delaporte TRAITÉ DE L’INTERPRÉTATION D’ARISTOTE Commentaire de Thomas d’Aquin (Complément de Thomas de Vio dit Cajétan) OUVERTURE PHILOSOPHIQUE Série Bibliothèque TRAITÉ DE L’INTERPRÉTATION D’ARISTOTE COMMENTAIRE DE THOMAS D’AQUIN (COMPLÉMENT DE THOMAS DE VIO DIT CAJÉTAN) GUY-FRANÇOIS DELAPORTE TRAITÉ DE L’INTERPRÉTATION D’ARISTOTE COMMENTAIRE DE THOMAS D’AQUIN (COMPLÉMENT DE THOMAS DE VIO DIT CAJÉTAN) L’HARMATTAN Du même auteur Aux éditions de L’Harmattan : Lecture du commentaire de Thomas d’Aquin sur le Traité de l’âme d’Aristote – 1999 Lecture du commentaire de Thomas d’Aquin sur le Traité de la Démonstration d’Aristote – 2005 Physiques d’Aristote, Commentaire de Thomas d’Aquin, Traduction Tomes I et II – 2008 Métaphysique d’Aristote, Commentaire de Thomas d’Aquin, Traduction Tomes I et II – 2012 Seconds Analytiques d’Aristote, Commentaire de Thomas d’Aquin, Traduction – 2014 Autre éditeur : Saint Thomas pour l’an 2000 – éd. Résiac – Montsûrs 1997 Sur internet : « Grand Portail Thomas d’Aquin » - www.thomas-d-aquin.com © L’Harmattan 2018 GUIDE DE LECTURE DU TRAITÉ DE L’INTERPRÉTATION D’ARISTOTE - 8 - But du traité La finalité ultime du Traité de l’Interprétation1 n’est pas évidente à saisir. Aristote a cherché, semble-t-il, une méthode qui lui permette de formuler une alternative dont un des deux membres, et lui seul, énonce le vrai à coup sûr ; on ignore cependant encore lequel, car il faudra attendre la démonstration pour trancher. Ainsi, il suffit, à cette étape de la logique, de parvenir à la certitude que la vérité est présente dans un des membres pour vouloir entreprendre de le repérer. Construire une telle problématique est loin d’être aisé dans la plupart des échanges. Seule la confrontation de deux propositions véritablement contradictoires permet l’assurance du vrai chez l’une et du faux chez l’autre. Mais dans la pratique, beaucoup de discussions tournent court – ou bien n’en finissent pas – car les deux thèses en conflit ne sont pas vraiment opposées. Elles peuvent dès lors être toutes les deux vraies ou toutes les deux fausses, ou alternativement tantôt vraies et tantôt fausses. Un débat comme par exemple : « Le capitalisme permet la justice économique optimale / non, le capitalisme est l’exploitation de l’homme par l’homme2 » connaît des embrasements périodiques depuis près de deux siècles, et n’offre aucune chance de conclusion car il n’y a pas d’opposition véritable. Les deux parties peuvent être vraies ensemble ou alternativement, voire fausses toutes les deux. On pourrait porter le même jugement sur « l’existence ou non d’une philosophie chrétienne »3. Pour cerner le vrai, il faut d’abord reformuler la question dans toute sa rigueur. C’est à quoi Aristote s’emploie dans ce travail. Nous devions donc nous y attendre, ce traité, comme tout l’Organon dont il fait partie, est entièrement tendu vers la recherche de la vérité et de la certitude. Ignorer cet objectif au profit de la seule cohérence formelle, comme trop souvent dans les développements classiques et contemporains de la logique4, c’est se condamner à l’artifice infini et vide. Sans la perspective de la vérité, la logique, telle un canard décapité, détale dans tous les sens avant de s’affaler. 1 Appelé aussi parfois Peryermenias ou Peri Hermeneias, par latinisation du titre grec. 2 Adam Smith contre Karl Marx. 3 Voir l’article Existe-t-il une philosophie chrétienne ? http://www.thomas-d-aquin.com/page- articles-29.html. 4 Voir le Guide de lecture de notre traduction Seconds analytiques d’Aristote, Commentaire de Thomas d’Aquin, L’Harmattan, 2015. Pp. 20 et sq. - 9 - Interpréter la vérité Pour atteindre ce but, Aristote devait tout d’abord établir le lien entre logique et vérité. Or, celui-ci est à double détente. Formuler le vrai exige non seulement que la pensée soit conforme à la réalité extérieure, mais encore que le discours l’exprime – l’interprète – adéquatement : « La vérité n’est rien d’autre que de dire être ce qui est ou n’être pas ce qui n’est pas, alors que le faux consiste à dire être ce qui n’est pas ou ne pas être ce qui est »5 L’expression “dire être ce qui est” est plus complexe qu’il n’y parait. Elle synthétise en raccourci les deux étapes évoquées. “Dire être …”, tout d’abord, c’est exprimer extérieurement ce que l’intelligence pense intérieurement de telle ou telle chose. C’est, par exemple, prononcer à haute voix (ou écrire, ou même formuler en soi-même) : “cette planète est bleue”, parce que nous jugeons mentalement être bleue la planète que nous observons. Puis le deuxième membre de l’expression : “… être ce qui est”, signifie penser adéquatement le réel ; c’est juger qu’une planète est bleue alors qu’elle est effectivement bleue dans la réalité. 1- Art et nature Or, nous voyons que les deux démarches sont d’essence fort différente. La dernière est toute naturelle, du moins en son essor. Notre intelligence pense comme malgré nous, de même que nos poumons respirent ou notre cœur bat sans permission. Elle juge spontanément, dans un premier élan, de la nature des choses et de leurs relations, même si par la suite, sa liberté lui permet de revenir volontairement sur ce verdict pour le préciser ou le modifier au besoin (c’est alors que l’intelligence l’emporte sur les organes vitaux). Comme toute opération naturelle, l’œuvre de l’esprit est l’objet d’une science dont Aristote offre les prémisses dans son Traité de l’Âme. Ce n’est donc pas cette opération qui intéresse en propre la logique, bien qu’elle y plonge ses racines. 5 L I, l 11, n° 149 ; Commentaire de la Métaphysique, L IV, l 17, n° 740. Lorsque nous citons le commentaire de Thomas d’Aquin sur l’Interprétation, nous indiquons le livre par L, la leçon par l, et le n° de l’édition Marietti ; lorsque nous citons le texte d’Aristote, nous indiquons le chapitre par ch. et la numérotation Bekker. Lorsque nous citons un autre ouvrage de Thomas d’Aquin ou d’Aristote, la convention est la même, mais nous ajoutons le titre de l’œuvre. Guide de lecture du Traité de l’Interprétation - 10 - La première démarche, en revanche, parce qu’elle révèle au grand jour le contenu de l’intellect, est l’objet propre de l’étude logique. Mais cette opération est porteuse d’un phénomène mystérieux : le passage en biseau du naturel à l’artificiel. Le langage est, en effet, forgé par l’homme. Autant de civilisations, autant de langues, alors que la pensée est commune à tout le genre humain, puisque tous les hommes ont la même nature. Tous pensent la même chose de la planète bleue, du moins dans les généralités, mais combien cette planète suscite-t-elle de discours inaudibles pour autrui suivant les pays et les époques ? Même lorsqu’il outrage la nature, l’art6 lui est encore redevable, car c’est la connaissance qui est à l’origine de l’activité artistique ; or, elle nous vient tout entière de la perception sensible des réalités naturelles. Nul ne peut inventer un objet pour lequel il ne se serait pas inspiré de la nature d’une manière ou d’une autre, soit dans sa composition, soit dans son processus, soit dans quelque autre aspect. Imaginer, par exemple, un personnage de science-fiction sans corps, ni membre, ni locomotion, ni sensation, ni intelligence, ni communication, ni rien de ce que nous avons peu ou prou expérimenté de la nature humaine, est un exercice absolument impossible. Ou, tout simplement, imaginer une couleur que l’on n’ait jamais vue. En revanche, lorsqu’il s’appuie sur la nature, l’art a le pouvoir de la transcender presque à l’infini pour servir ses projets : « Pour faire œuvre naturelle, l’art procéderait comme la nature, et inversement, la nature produirait des objets artificiels comme le ferait l'art lui-même. Mais la nature ne porte jamais un artefact à son achèvement. Elle se borne à en préparer certains principes et à en illustrer la méthode. Parallèlement, l’artiste peut observer les œuvres de la nature et s'en inspirer pour la sienne propre, il ne peut cependant réaliser entièrement un être naturel.7 » Là résident toute la grandeur mais aussi les limites des cultures et des civilisations. Notre monde dont la technicité ne fut jamais aussi triomphante qu’aujourd’hui, mesure la vérité des propos d’Aristote à l’aune de son angoisse écologique. 6 “Art” doit s’entendre ici comme synonyme d’industrie humaine en général, et non pas des seuls “Beaux-Arts”. 7 Commentaire de la Politique, Prohème, n°2. Interpréter la vérité - 11 - 2- Langage et nature Cette dialectique de l’artificiel et du naturel bat son plein dans la formation du langage. Côté nature, l’intelligence éprouve le besoin endogène impérieux de vocaliser pour reconnaître et communiquer : « 19 Et Yahweh Dieu, qui avait formé du sol tous les animaux des champs et tous les oiseaux du ciel, les fit venir vers l'homme pour voir comment il les appellerait, et pour que tout être vivant portât le nom que lui donnerait l'homme. 20 Et l'homme donna des noms à tous les animaux domestiques, aux oiseaux du ciel et à tous les animaux des champs.8 » Passage symbolique de La Genèse, ici dans la version Crampon. L’ancienne Vulgate semble ajouter qu’Adam nomma les animaux en fonction de lui-même, puisque son propre patronyme signifiait “Le Vivant”. Il a ainsi façonné la première uploads/Philosophie/ comment-traite-interpretation.pdf

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