DE LA GRAMMAIRE ANALYTIQUE (WITTGENSTEIN ET LACAN) Guy-Félix Duportail Érès | «

DE LA GRAMMAIRE ANALYTIQUE (WITTGENSTEIN ET LACAN) Guy-Félix Duportail Érès | « Psychanalyse » 2017/2 n° 39 | pages 97 à 111 ISSN 1770-0078 ISBN 9782749255231 DOI 10.3917/psy.039.0097 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-psychanalyse-2017-2-page-97.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Érès. © Érès. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Érès | Téléchargé le 08/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 200.123.140.169) © Érès | Téléchargé le 08/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 200.123.140.169) Extérieurs © Érès | Téléchargé le 08/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 200.123.140.169) © Érès | Téléchargé le 08/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 200.123.140.169) © Érès | Téléchargé le 08/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 200.123.140.169) © Érès | Téléchargé le 08/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 200.123.140.169) De la grammaire analytique (Wittgenstein et Lacan) Guy Félix Duportail Le nom de Wittgenstein apparaît à plusieurs reprises dans le séminaire de Lacan 1. Le sens de la relation entre les deux penseurs est loin cependant d’avoir été élucidé. Nettement moins commenté que la référence à Hegel ou à Heidegger, le rapport à Wittgenstein constitue pourtant un point crucial chez Lacan 2. Comme nous voudrions le montrer, à contre-courant de la doxa sur cette question 3, l’angle de lecture witt­ gensteinien éclaire puissamment la psychanalyse et son concept central : l’inconscient. Lacan lui-même nous indique le chemin. Dans L’envers de la psychanalyse, il situe en effet « l’opération analytique » dans le champ « de ce qui se trouve incarné par Wittgenstein » : « Il n’y a pas d’autre métalangage que toutes les formes de la canaillerie, si nous dési- gnons par là ces curieuses opérations qui se déduisent de ceci, que le désir de l’homme, c’est le désir de l’Autre. Toute canaillerie repose sur ceci, de vouloir être l’Autre, j’entends le grand Autre, de quelqu’un, là où se dessinent les figures où son désir sera capté. Aussi bien cette opération dite wittgensteinienne n’est-elle rien qu’une extraordinaire parade, qu’une détection de la canaillerie philosophique 4. » L’espace commun aux deux penseurs est donc délimité par l’absence de méta­ langage 5. Dans les termes de Lacan, la critique de l’idée de métalangage s’appuie sur le fait qu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre, de sorte que tout discours qui prétend énoncer le vrai sur le vrai est une forme d’imposture, dont les philosophes ne sont pas Guy Felix Duportail, dupsf@aol.com 1. À propos du sujet du signifiant, dans La logique du fantasme, séance du 23 novembre 1966, de l’absence de métalangage, dans L’envers de la psychanalyse, séance du 21 janvier 1970, de la monstration du nœud borroméen, dans …Ou pire, séance du 9 février 1972, pour ne citer que ces trois temps. 2. Comme l’a récemment souligné Élisabeth Rigal-Granel (2013), qui écrit : « À vrai dire, Wittgenstein occupe une place excentrique mais stratégique dans ce que l’on pourrait nommer la galerie lacanienne des philosophes » (Psychanalyse, n° 28, Toulouse, érès, septembre 2013, p. 107). 3. Le plus célèbre des wittgensteiniens, en France, Jacques Bouveresse, donna le ton avec son ouvrage Philosophie, mythologie et pseudo-science. Wittgenstein lecteur de Freud, Paris, éditions l’Éclat, 1991. 4. Jacques Lacan, L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p. 68-69. 5. Ibid. Situation que met au jour l’article d’Élisabeth Rigal-Granel. © Érès | Téléchargé le 08/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 200.123.140.169) © Érès | Téléchargé le 08/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 200.123.140.169) 100 Psychanalyse n° 39 exempts. Dans les termes de Wittgenstein, cela signifie que nous ne pouvons dire dans un ­ (méta)­ langage ce qui s’exprime de soi-même dans le langage, que nous ne pou- vons que le montrer à travers notre usage sensé du langage 6. Comme on sait, dans le Tractatus logico-philosophicus, ce refus du métalangage conduit Wittgenstein à la posi- tion terminale d’un élément mystique dans l’usage du langage (le fameux « ce dont on ne peut parler, il faut le taire 7 »). Traduit sur le plan épistémique, la critique du méta- langage correspond au rejet des « métadisciplines ». Wittgenstein considérait encore qu’il s’agissait sur ce point d’un « principe directeur » de sa philosophie 8. Dans les années 1930, on retrouve l’expression de cette position dans la critique de l’idée d’un fondement des mathématiques (comme position d’une métamathématique, ce dernier terme ne s’appliquant pas seulement au programme de Hilbert mais à toute tentative de fondation des mathématiques), critique de l’attitude fondamentaliste dont le ver- sant positif est l’assertion du caractère grammatical des propositions mathématiques 9. L’idée de « grammaire » est centrale chez le second Wittgenstein 10. Le terme y désigne à la fois les règles constitutives d’un langage et la recherche philosophique sur ces règles 11. Dans le contexte de la réflexion sur les mathématiques, l’important n’est pas alors de s’interroger sur l’origine transcendantale (Kant) ou sur le fondement onto- logique (Platon) des propositions, mais de savoir comment elles sont utilisées. Il s’agit d’examiner le rôle de ces propositions dans une perspective foncièrement pratique 12. Ainsi, dans ses Remarques sur les fondements des mathématiques 13, Wittgenstein revient inlassablement sur le fait que les propositions mathématiques sont utilisées comme des règles de grammaire, c’est-à-dire comme des normes pour la bonne formation du sens des propositions empiriques. Elles ne disent donc pas ce qui permet de représenter le monde. La grammaire du second Wittgenstein n’est donc pas davantage un métalangage que ne l’était la syntaxe logique du Tractatus. En quoi cependant cette grammaire concerne-t-elle l’œuvre de Lacan ? Nous poserons l’implication suivante : si l’inconscient est structuré comme un langage, alors il doit avoir une grammaire. Comme on le voit, l’hypothèse est simple. Cette simplicité toute­ fois oblige. Pour découvrir et saisir clairement cette grammaire de l’in- conscient, une confrontation plus serrée entre Lacan et le second Wittgenstein s’avère indispensable. 6. Ludwig Wittgenstein, Tractatus, 4.121. 7. Ibidem, 7. 8. Ludwig Wittgenstein, Grammaire philosophique, Paris, Gallimard, 1980, I, § 72-73. 9. Ludwig Wittgenstein, Remarques sur les fondements des mathématiques, traduction française, Paris, Gallimard, 1983. 10. Ludwig Wittgenstein, Les cours de Cambridge, 1930-1932, Mauvezin, ter, 1988. 11. Ibid. 12. Ludwig Wittgenstein, Remarques sur les fondements des mathématiques, op. cit.. 13. Ibid. © Érès | Téléchargé le 08/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 200.123.140.169) © Érès | Téléchargé le 08/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 200.123.140.169) De la grammaire analytique 101 L’approche wittgensteinienne des mathématiques éclaire le statut des mathèmes Nous l’avons rappelé ci-dessus, Wittgenstein, à la suite de l’échec du logicisme de Frege et de Russell, s’opposa à l’idée d’un fondement des mathématiques. Les propo- sitions mathématiques ne répondent d’aucune réalité et sont injustifiables à ses yeux. Elles sont arbitraires et dénuées de sens, en ceci qu’elles appartiennent aux conditions du sens et qu’elles ne sont pas elles-mêmes représentatives de quoi que ce soit. Elles ne sont donc ni vraies ni fausses et ne peuvent a fortiori dire le vrai sur le vrai. Positivement, les propositions mathématiques sont considérées comme apparte- nant à la grammaire de nos langages. En tant que règles de grammaire, elles ne parlent de rien, mais elles conditionnent la parole sensée, qui, elle, dit ou représente quelque chose et peut être vraie ou fausse. Wittgenstein écrit à la fin des années 1930 : « La proposition démontrée par la preuve sert de règle, donc de paradigme. Car nous nous guidons d’après la règle. […] La proposition mathématique doit nous montrer ce que l’on peut dire avec sens 14. » Il y a donc une région du langage qui montre les présupposés de tout discours signi- fiant. Cette région est celle des propositions qui servent de règles pour exprimer quelque chose au sens prégnant du terme. Selon Wittgenstein, ce domaine est celui des propo- sitions mathématiques démontrées. Ce qui est en position de fondement, ce sont alors les propositions paradigmatiques qu’il ne viendrait à l’esprit de personne de remettre en question. Ces règles sont en effet à la base de nos pratiques et nous faisons fond sur elles. Par exemple, les propositions mathématiques sont de véritables normes pour compter les objets présents dans le monde. Ainsi, la proposition 2 x 2 = 4 autorise de passer de « il y a deux paires de pommes dans le seau » à « il y a quatre pommes dans le seau 15 ». Nous nous adossons à cette proposition mathématique (2 x 2 = 4) pour dire quelque chose de vrai à propos du monde empirique (« il y a quatre pommes dans le seau »), et si d’aventure, après avoir annoncé « il y a deux paires de pommes dans le seau », nous n’y trouvions que trois pommes, uploads/Philosophie/ de-la-grammaire-analytique-wittgenstein-et-lacan.pdf

  • 29
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager