FABRICE JAMBOIS DELEUZE ET LA PULSION DE MORT 1 Abréviations AŒ Capitalisme et

FABRICE JAMBOIS DELEUZE ET LA PULSION DE MORT 1 Abréviations AŒ Capitalisme et schizophrénie, t1 : L’Anti-Œdipe (écrit avec Félix Guattari), Minuit, 1972. B Le bergsonisme, PUF, 1966. CC Critique et clinique, Minuit, 1993. D Dialogues avec Claire Parnet, Flammarion, 1977. DR Différence et répétition, P.U.F., 1968. E L’épuisé, in Samuel Beckett, Quad, Minuit, 1992. ES Empirisme et subjectivité, P.U.F., 1953. F Foucault, Minuit, 1986. FB-LS Francis Bacon. Logique de la sensation, La Différence, 1984. ID L’île déserte, Minuit, 2002. IM Cinéma 1. L’image-mouvement, Minuit, 1983. IT Cinéma 2. L’image-temps, Minuit, 1985. K Kafka. Pour une littérature mineure (écrit avec Félix Guattari), Minuit, 1975. LS Logique du sens, Minuit, 1969. FABRICE JAMBOIS DELEUZE ET LA PULSION DE MORT 2 MP Capitalisme et schizophrénie, t. 2 : Mille plateaux (écrit avec Félix Guattari), Minuit, 1980. N Nietzsche, P.U.F., 1965. NPh Nietzsche et la philosophie, P.U.F., 1962. P Pourparlers, Minuit, 1990. PCK La philosophie critique de Kant, 1963. Pli Le Pli. Leibniz et le Baroque, 1988. PS Proust et les signes, P.U.F., 1964 (nous citons l’édition augmentée de 1970). PSM Présentation de Sacher-Masoch, Minuit, 1967. PV Périclès et Verdi. La philosophie de François Châtelet, Minuit, 1988. QPh ? Qu’est-ce que la philosophie ? (écrit avec Félix Guattari), Minuit, 1991. RS Deux régimes de fous, Minuit, 2003. S Superpositions (avec Carmelo Bene), Minuit, 1979. SPE Spinoza et le problème de l’expression, Minuit, 1968. SPP Spinoza. Philosophie pratique, Minuit, 1981. FABRICE JAMBOIS DELEUZE ET LA PULSION DE MORT 3 Introduction – Incorporer son ennemi « La représentation de notre propre mort a quelque chose d’« impénétrable » et Freud situe cette caractéristique parmi celles qui concernent le souhait inconscient de la mort à l’adresse de l’étranger et l’ambivalence à l’égard de la personne aimée. Accueillir la mort dans notre représentation, c’est pouvoir en faire un objet d’inclination – une certaine tendresse vis-à-vis de soi-même -, c’est garantir qu’elle reste pour nous en tous cas une pensée à objet et qu’elle constitue une modalité définitive de la seule figuration possible de soi au regard d’un Autre tel que nous en signifions le désir primitif dans le narcissisme d’être aimé ». Pierre Fédida, « L’hypocondrie du rêve » (Nouvelle revue de psychanalyse, n°5, p. 229). A. La désignation de l’ennemi 1. La question préjudicielle de la schizo-analyse Cet essai d’interprétation de L’Anti-Œdipe se présente comme une introduction générale à la lecture de cet ouvrage et en réorchestre les thèmes principaux. Le questionnement qui s’y déploie a pour foyer d’origine trois motifs d’étonnement. En premier lieu, dans le premier tome de « Capitalisme et schizophrénie », paru en 1972, Gilles Deleuze et Félix Guattari se proposent de substituer la discipline qu’ils inventent – la FABRICE JAMBOIS DELEUZE ET LA PULSION DE MORT 4 schizo-analyse – à la psychanalyse, ou du moins de transformer de l’intérieur celle-ci par celle-là. Jugée impropre à donner accès à la racine de l’expérience vitale, c’est-à-dire à la fabrication du processus désirant dans les régions les plus profondes de l’inconscient, la psychanalyse, saisie sur un plan théorique du point de vue de la philosophie spontanée qu’elle contient, s’inscrit selon eux dans le prolongement d’une tradition philosophique idéaliste et nihiliste qui dévalorise le désir en l’assignant au manque et amenuise notre expérience vitale en la polarisant sur une forme personnelle. Le chapitre IV de L’Anti-Œdipe esquisse le programme propre à la schizo- analyse sous la forme de « tâches » qu’il lui reviendra d’accomplir. Pourtant, en 1980, dans Mille plateaux, second tome de « Capitalisme et schizophrénie », la schizo-analyse se dilue et passe au second plan ; son programme est apparemment abandonné1. Abandon qui entraîne une cascade de questions : quel sens faut-il accorder à cet inaboutissement ? Ne contamine-t-il pas en retour le projet même qu’énonce L’Anti-Œdipe et ne repousse-t-il pas la schizo- analyse dans l’obscurité d’un imaginaire théorique vague – celui d’une discipline qui, virtuelle sans être réelle, n’est qu’une ombre portée fantaisiste de la psychanalyse ? Et quel contenu 1 Deleuze apporte une réponse à cette question dès 1973, affichant une FABRICE JAMBOIS DELEUZE ET LA PULSION DE MORT 5 conceptuel la schizo-analyse abrite-t-elle ? Quels effets pratiques est-elle susceptible de produire, notamment à l’intérieur de la psychanalyse ? Le second motif d’étonnement concerne la présence sous- jacente et ambiguë du thème de la mort dans L’Anti-Œdipe. Dans son cours du 27 mai 1980, consacré à « L’Anti-Œdipe et autres réflexion », Deleuze revient longuement l’identité entre le « principe vital » et le processus ou « voyage » schizophrénique, dans lequel se comprime le processus primaire de l’inconscient : processus et vie ne font qu’un, et aucun préparatif de mort ne trouve place au sein du processus. Deleuze y exprime l’horreur que lui inspire l’idée de concevoir la mort comme une composante interne du processus et formule, de manière minimaliste, ce que signifie, selon lui, le spinozisme : être spinoziste se ramène à concevoir la mort comme ce qui vient du dehors, comme ce qui abolit du dehors le processus. Ce qui équivaut à refuser aussi bien de concevoir la mort comme le processus à l’œuvre que comme l’œuvre d’un processus interne : le rapport logique entre vie et processus est celui de deux éléments contradictoires. Dans cette résistance face à l’idée d’inclure la mort dans le processus de la vie inconsciente s’enracine le principe d’une FABRICE JAMBOIS DELEUZE ET LA PULSION DE MORT 6 condamnation totale et sans appel des positions philosophiques qui placent la mort à l’intérieur du processus ou, pire, font d’elle le moteur de celui-ci. Deleuze y voit une « offense à la pensée, à la vie, à tout vécu »2. D’où la conviction que celui qui se dit « ami de la mort » doit être regardé comme une « erreur de la nature », comme un « monstre ». La position philosophique que cette hostilité commande se déploie aussi sur un versant esthétique qui, de façon encore plus troublante, laisse apparaître une forme refus incapable de transiger avec la position qui s’y objecte : malgré la beauté des pages qui célèbrent la mort, « nulle beauté ne peut passer par ce chemin- là »3 ; « Le culte de la mort, c’est ça l’ennemi », conclut Deleuze. Précisément, la condamnation de l’instinct de mort 2 François Dosse rapporte l’anecdote suivante : « Au dire de ses étudiants de Paris-VIII, Deleuze ne se départait pas d’une attitude courtoise, malgré les interruptions intempestives des partisans de Badiou, mais aussi des nombreux schizophrènes venus assister à son cours. Pourtant, il se met une fois en colère lorsqu’il trouve sur son bureau un tract d’un « commando de la mort » appelant au suicide. Dans son cours du 27 mai 1980, il affirme que la mort ne peut venir que de l’extérieur et ne peut en aucun cas être pensée comme un processus : « Quand j’entends l’idée que la mort puisse être un processus, c’est tout mon cœur, tous mes affects qui saignent » ». .(Gilles Deleuze, Félix Guattari. Biographie croisée, Paris, La Découverte, 2007, p. 437). 3 « J’en dénie la beauté ! », insiste Deleuze, dans ce même cours du 27 mai 1980. Avant d’ajouter : « La mort n’a pas de philosophie (et je ne devrais pas dire ça…) ». FABRICE JAMBOIS DELEUZE ET LA PULSION DE MORT 7 constitue le cœur de L’Anti-Œdipe, dont les plus belles pages, que tout, dans l’Histoire, a confirmé dans leur vérité depuis 1972 et qui suffisent à prouver que cet ouvrage est tout autre chose qu’un pamphlet de circonstance soudé au contexte de l’après Mai 68, sont certainement celles que Deleuze et Guattari consacrent à la description d’une axiomatique mortuaire qui sous-tend le mode de production capitaliste et propage une pulsion de mort dans l’ensemble de l’appareil productif, de ses agents et emporte l’humanité dans un mouvement d’abstraction que plus rien n’arrime à l’affirmation d’une puissance vitale. La gigantomachie qui oppose le dispositif de la production inconsciente du désir et son vis-à-vis, la pulsion de mort émanant de l’appareil d’anti-production capitaliste devenu immanent à la production sociale, se comprime dans les orientations de la théorie et de la cure psychanalytique : l’un des enjeux de L’Anti-Œdipe consiste bien à faire passer la psychanalyse au service du désir pour la soustraire à l’appareil de répression de la formation de pouvoir capitaliste qui se prolonge en elle et en fait son instrument. La schizo-analyse désigne de ce point de vue le discours critique nécessaire à la réforme de la psychanalyse. Sa visée se rapporte à une lutte effective entre puissances de vie et forces de mort pour s’emparer de la psychanalyse, et le moyen d’un rééquilibrage FABRICE JAMBOIS DELEUZE ET LA PULSION DE MORT 8 des forces en présence dans cette lutte réside notamment dans l’esquisse d’une nouvelle métapsychologie, adéquate au fonctionnement réel de l’inconscient, à l’affirmation du désir et au déploiement d’une puissance vitale accrue. D’où la création philosophique d’un réseau conceptuel inédit ordonné à cette exigence vitale et aux stations ou positions qu’elle implique. Or, parmi uploads/Philosophie/ deleuze-et-la-pulsion-de-mort.pdf

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