Jean-Claude Anscombre. LA SÉMANTIQUE FRANÇAISE AU XXe SIÈCLE: DE LA THÉORIE DE

Jean-Claude Anscombre. LA SÉMANTIQUE FRANÇAISE AU XXe SIÈCLE: DE LA THÉORIE DE LA RÉFÉRENCE À LA THÉORIE DES STÉRÉOTYPES. 1. Introduction. Malgré le titre quelque peu ronflant de cette étude, on ne trouvera pas ici une étude détaillée des diverses théories (et de leurs nombreuses variantes) qui ont émaillé l'histoire de la sémantique française au XXe siècle (et de la sémantique en général). Plus modestement, nous voudrions esquisser les grandes lignes de l'évolution de la sémantique française non pas tant au travers des individualités qui y ont contribué, mais plutôt en termes de parcours conceptuels, d'orientations majeures. On ne trouvera donc pas ici une liste de «héros» de la sémantique linguistique. Une telle liste présenterait de toutes façons l'inconvénient d'être par nature partiale et partielle, et entraînerait ipso facto le double désagrément de mécontenter les élus (qui trouveraient qu'on ne les mentionne pas assez) et les non-élus (qui estimeraient avoir autant droit à la couronne de laurier que les précédents). Les noms qui apparaîtront ici ainsi que dans la bibliographie seront ceux de linguistes que nous trouvons particulièrement représentatifs de telle ou telle position théorique. Levons tout d'abord une petite ambiguïté, celle que recouvre le terme de sémantique française. S'agit-il de la sémantique qui se donne le français pour objet d'étude, ou de la sémantique telle qu'elle se pratique en France? Reconnaissons (à regret) qu'en dehors de la francophonie (Belgique, Canada, France, Suisse, etc.), la sémantique du français reste marginale parce qu'isolée: pays d'Afrique du Nord, pays nordiques (qu'on pense par exemple aux travaux de K.Togeby), Espagne, et quelques autres. On peut s'en rendre compte en comparant par exemple le nombre et le dynamisme des publications de sémantique française hors de la francophonie avec ceux des publications générativistes concernant l'espagnol. On ne peut que le déplorer - toute langue est aussi digne d'intérêt qu'une autre - d'autant plus que les causes sont de nature politico-économiques plutôt que scientifiques. Quoi qu'il en soit, il nous semble que le peu d'écho qu'a rencontré la sémantique J. F. Corcuera, M. Djian y A. Gaspar, eds. La Lingüística francesa. Situación y perspectivas a finales del siglo XX, Zaragoza, 1994 (et donc la sémantique du français) jusqu'à une date récente a pour origine un certain nombre de facteurs, parmi lesquels: a) Le poids certain d'une tradition séculaire. b) La difficulté qu'a toujours éprouvé la sémantique à définir son objet et sa méthodologie. c) La difficulté qu'a toujours éprouvé la sémantique à acquérir une autonomie (même partielle) vis-à-vis d'autres champs conceptuels: philosophie, logique, sociologie, psychologie, etc. d) La difficulté qu'a toujours éprouvé la sémantique à se situer par rapport à d'autres disciplines du même champ: morphologie, pragmatique, et surtout syntaxe. Ce sont ces différents aspects que nous voudrions évoquer ici, afin de retracer l'évolution de la sémantique quand elle s'est trouvée confrontée aux problèmes qu'ils reflètent. 2. Qu'est-ce que la sémantique? Le poids de la tradition. Une trace du peu de crédit accordé à la sémantique est le mot sémantique lui-même. Ainsi, le mot syntaxe est attesté très tôt (à l'orthographe près), dès le VIe siècle (chez Priscien, synîaxis = «disposition des mots», terme bas-latin qui reprend en fait le grec suntaxis de même sens). Son sens est proche du sens actuel, et il continue à être utilisé au cours des siècles: sens et orthographe actuels seraient dus à Ramus (XVPsiècle). Or rien de semblable dans le cas de sémantique. Le mot apparaît au XVIe siècle, sous la forme symentique (1561), et sans beaucoup de succès, semble-t-il. C'est Michel Bréal qui dans «Les lois intellectuelles du langage: fragment de sémantique» (1883) et dans son Essai de sémantique, en 1897, confère au terme ses lettres de noblesse. Cependant, comme chez Vendryes (1923), il désigne essentiellement la lexicologie historique, même s 'il sert occasionnellement à qualifier l'étude du langage du point de vue du sens. Saussure, on le sait, utilise séméiotique, et d'une façon très générale, tant le terme que le domaine paraissent avoir du mal à s 'imposer. Ils bénéficient par ailleurs d ' un préjugé nettement défavorable, comme on peut le constater au vu des définitions fournies dans les dictionnaires et encyclopédies officielles: «...le mot est aussi devenu le nom de diverses disciplines à caractère plus philosophique que linguistique {sémantique philosophique, sémantique générative)...» (Robert, Dictionnaire historique de la langue française, t.2, p. 1912. Dans La grammaire aujourd'hui: guide alphabétique de linguistique française (1986), la sémantique n'apparaît définie que comme suscitée par et en liaison étroite avec les travaux de grammaire générative, à dominante syntaxique. En fait, la désignation de l'étude des phénomènes de sens par le terme de sémantique, pour ce qui est du niveau de l'énoncé ou d'unités supérieures!, semble s'être imposé en linguistique par le biais de la logique et de la philosophie. On attribue fréquemment à R. Carnap l'usage généralisé de ce terme. Il se trouve en effet que l'étude des systèmes formels (partie de la logique née vers le milieu du XIXe siècle, avec les travaux de G.BOOLE) a connu un essor considérable dans la première moitié du XXe siècle. Un système formel est une syntaxe, i.e. un ensemble de symboles et de règles de manipulation de ces symboles. Ces règles sont par ailleurs indépendantes de l'interprétation que l'on peut vouloir donner aux symboles, et qui constitue précisément la sémantique du système. Par exemple, la logique propositionnelle habituelle est un système formel, qui possède donc une syntaxe, à laquelle on peut adjoindre une sémantique familière à tous, celle des tables de vérité. Or il se trouve que certains travaux de logique et de philosophie - nous pensons en particulier à ceux de l'Ecole d'Oxford - ont été conduites sur ou à propos de problèmes de langage. Si la masse de ces travaux à contribué au développement de la sémantique proprement linguistique, elle a également fait que cette sémantique ait eu le plus grand mal à se dégager du cadre philosophico-logique. Ajoutons à cela un mythe assez tenace: celui selon lequel les phénomènes syntaxiques seraient au moins partiellement visibles, alors que les phénomènes sémantiques seraient totalement opaques. Cette croyance repose, nous semble-t-il, sur une confusion entre matière et forme, por reprendre la terminologie de Hjelmslev. Le linguiste travaille en fait sur une matière, phonique ou graphique, mais qui n'est pas encore organisée en système(s). Ce que fait le linguiste, c'est d'y apercevoir des formes, qu'il considère alors comme des traces d'un système, ou comme dirait Hjelmslev, d'une substance. Si l'on imagine qu'il y a une substance de l'expression et une substance du contenu, on distinguera alors une syntaxe et une sémantique. Mais rien n'indique a priori auquel des deux composants on attribuera la responsabilité de telle ou telle forme. La ligne de partage est à définir à chaque instant (cf. Milner; 1978), et aucune forme n'est plus visible qu'une autre, sauf à faire l'hypothèse que la structure syntaxique est directement lisible dans la matière: mais c'est là confondre matière et forme. Il faut bien reconnaître que la tradition grammaticale a aidé à cette confusion. Il s'agit en effet d'une théorie linguistique qui ne se déclare pas comme telle, mais se présente comme une norme raisonnée du bon usage. D'où l'idée diffuse que dominer le bon usage grammatical c'est maîtriser le système de la langue. Idée dont on trouve le reflet chez les sujets parlants non linguistes, qui estiment que connaître une langue à fond c'est par là-même être linguiste (d'où un fréquent effarement devant la complexité croissante des recherches linguistiques). Par ailleurs, la tradition grammaticale (occidentale) a toujours fait de la sémantique le parent pauvre de la linguistique. Alors que les meilleures grammaires comportent de longs développements de phonétique/phonologie, morphologie, syntaxe, les considérations de sens sont souvent secondes, voire absentes ou reléguées à l'arrière- plan2. Dans le meilleur cas, il s'agit de sémantique lexicale, et reliée à la morphologie de façon assez souvent impressionniste. Ainsi Grevisse définit le suffixe -ature comme désignant «...l'ensemble des caractères indiqués par le radical...» (p.111). Si cette description convient à peu près pour musculature, elle est insuffisante pour ossature, J. F. Corcuera, M. Djian y A. Gaspar, eds. La Lingüística francesa. Situación y perspectivas a finales del siglo XX, Zaragoza, 1994 qui ne désigne pas seulement un ensemble, mais une structure. Et totalement inopérante pour miniature, température, filature, etc. La sémantique reste la grande absente des grammaires, quels que soient par ailleurs leurs mérites. Les phénomènes sémantiques y sont considérés comme allant de soi, et allant de soi au travers d'une syntaxe qui est à la linguistique ce qu'est la noblesse au tiers-état. La sémantique étant par nature dérivée de la syntaxe, la grammaire seule suffit. D'où des explications embarrassées lorsqu'un phénomène n'est pas réductible à la syntaxe. Ainsi dans leur Précis de syntaxe, Wartburg et Zumthor font de mais une conjonction de coordination reliant deux propositions, et à valeur adversative. Confrontés alors à des exemples comme: Mais qu'est-ce que tu fais là? ils s'en sortent difficilement: «...La valeur la plus courante de mais est simplement adversative...La langue familière emploie souvent mais, au début d'un discours, sans aucune uploads/Philosophie/ dialnet-lasemantiquefrancaiseauxxesiecle-4033337-pdf.pdf

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