2012 « Dire à l’autre dans le déjà dit : interférences d’altérités – interlocut

2012 « Dire à l’autre dans le déjà dit : interférences d’altérités – interlocutive et interdiscursive – au cœur du dire », L’intertextualité dans le dialogue (actes du colloque international IADA, Barcelone, septembre 2009), Arco/Libros, Madrid pp19­44 DIRE Á L’AUTRE DANS LE DEJÁ-DIT : INTERFERENCES D’ALTERITES – INTERLOCUTIVE ET INTERDISCURSIVE – AU CŒUR DU DIRE Jacqueline Authier-Revuz SYLED – Université Paris 3 (France) La problématique de ce colloque1 invite à penser ensemble les deux aspects – interlocutif et interdiscursif – du fonctionnement langagier que les descriptions ont tendu à instituer – fructueusement mais séparément – en deux domaines qui tendanciellement s’ignorent. D’un côté l’univers de la « bulle dialogale », avec ses mécanismes d’interaction langagière dégagés par l’analyse conversationnelle, assurant, dans l’alternance de paroles, en contact, la co-construction d’un fil fait à deux2 qui apparaît comme relevant d’une fonctionnalité interne – enclose dans cet espace de paroles factuellement échangées par les participants à l’échange – est, tendanciellement, peu envisagée dans sa dépendance à une extériorité interdiscursive. A l’inverse, le centrage sur les relations intertextuelles d’un texte avec l’ailleurs d’autres textes (notamment dans le champ littéraire), ou sur les rapports de détermination d’un discours (notamment politique, idéologique, dans le cadre de l’analyse de discours dite « française ») par l’ailleurs de l’interdiscours dans et par lequel il se produit, ne fait, tendanciellement, que peu de place au versant interlocutif du dialogue ou de l’« adresse ». En deçà de travaux éclairant, pertinemment, dans un discours donné3, des aspects de l’incidence conjointe de ces deux dimensions interlocutive – réalisée dans la forme concrète du « dialogal » ou plus largement dans le dire adressé et reçu – et interdiscursive, c’est à un plan général4, celui du fait énonciatif, posé comme foncièrement traversé d’hétérogénéités, qu’est envisagée dans les observations qui 1 « Polyphonie et intertextualité dans le dialogue », colloques IADA, Barcelone, 15­18 septembre 2009. 2 tours de parole, « échange » au sens d’enchaînement de répliques, couples questions/réponses, reprises « diaphoniques », séquences « échos », stratégies relatives aux positions et « faces » des interlocuteurs, etc… 3 tels la mise en relief de la dimension d’adresse dans l’analyse du « discours communiste adressé aux chrétiens » par Courtine (1981), ou la prégnance de l’interdiscours dans le jeu polylogal étudié par F. Sitri (2003). 4 comme le font Brès et Nowakowska (2008), dans le cadre praxématique, et en référence au « double dialogisme » bakhtinien, en traitant des spécificités interlocutives et/ou interdiscursives d’un ensemble de « marqueurs dialogiques ». suivent, plus descriptives que vraiment théoriques, la question de l’articulation au cœur du dire de l’un, de l’autre-à-qui-il-s’adresse avec l’ailleurs du déjà-dit. Avant de parcourir (en 2 et 3) une variété de formes sous lesquelles se manifeste l’interférence de ces deux hétérogènes – formes marquées ou non ; relevant de l’auto ou de l’hétéro- commentaire – on rappellera (en 1) quelques points de cette approche « hétérogénéisante » de l’énonciation. 1. HÉTÉROGÉNÉITÉ ÉNONCIATIVE : PLUSIEURS AXES – INTERLOCUTIF, INTERDISCURSIF, … – ET DEUX PLANS – CONSTITUTIF/REPRÉSENTÉ.5 Si, dans ce qui suit, on s’en tient aux deux axes d’hétérogénisation du dire par son inscription dans l’interlocution et dans l’interdiscours, rejoignant ce que Bakhtine appréhende comme (double) « dialogisme », il importe de rappeler que ces hétérogènes, tenant au rapport du dire avec d’autres dires, ne sont pas « le tout » des hétérogénéités ou non-coïncidences énonciatives : tout aussi inhérentes au fait énonciatif sont les hétérogènes – non « dialogiques » – qu’y inscrit le réel de la langue, sous ses deux aspects de système fini abstrait et de corps substantiel d’équivoques, respectivement « fauteur », dans le dire, de manque à « faire un » avec les choses dans la nomination et d’excès d’autres mots et sens jouant dans « le » mot-sens visé6. Les hétérogènes, dont le jeu combiné va nous retenir, tiennent donc au fait que le dire prend forme dans son rapport à du dire autre, saisi, en termes de « dialogisme », hétérogénéité, non-coïncidence – interdiscursive, d’une part, avec l’extériorité du milieu du déjà-dit des autres discours, – interlocutive, d’autre part, avec cet autre dire spécifique de – ou prêté à – celui à qui on s’adresse. Ce rapport du dire à une altérité discursive s’établit à deux plans, solidaires mais distincts : 5 Je renvoie, pour l’étude des hétérogénéités énonciatives, à Authier­Revuz (1995), étude amorcée dans Authier­ Revuz (1982b), (1984), et envisagée, par exemple, sous l’angle littéraire dans Authier­Revuz (2007). 6 Ces deux axes d’hétérogénéité – celui de la « non­coïncidence des mots avec les choses », inscrivant un irréductible « écart » dans la nomination d’un réel infini, continu, singulier, par un ensemble fini d’unités discrètes, abstraites ; celui de la « non­coïncidence des mots à eux­mêmes », ouvrant tout mot sur le foisonnement des polysémie, homonymie, paronymie, paragrammatisme, etc… – sont envisagés dans Authier­Revuz (1995), à l’instar des hétérogènes « dialogiques », au double plan de leur fonctionnement contitutif de l’énonciation et représenté dans celle­ci (cf. par exemple, respectivement : pour ainsi dire, si tant est que le mot convienne, c’est/ce n’est pas le mot, etc… et à tous les sens du mot, pas au sens propre, c’est le cas de la dire, etc…) – celui d’une altérité représentée par laquelle le dire, réflexivement, via des formes observables, fait place en lui-même à des émergences de ces deux autres, de l’interdiscours et de l’interlocution, telles, respectivement : comme dit l…, ce que l appelle…, au sens de l…, [l renvoyant à toute source discursive distincte de je et de tu : il, on, la presse, les médecins, les femmes, …] comme tu dis, ce que vous appelleriez, pardonnez-moi l’expression,… – celui d’une altérité constitutive, au sens où c’est dans et de ce rapport à l’autre que le dire se produit, foncièrement constitué, « fait » par et avec de l’autre. Contrairement aux formes des hétérogènes représentés qui relèvent de l’observation linguistique, le fait des hétérogènes constitutifs suppose l’appui à des théorisations du langage, du sens, du sujet – excédant le linguistique. 1.1. L’hétérogénéité interdiscursive Pour l’hétérogénéité interdiscursive, deux références s’imposent qui, avec des différences sensibles, touchant notamment au « sujet » qu’elles font jouer, se rejoignent pour introduire la préséance pour tout dire du réel d’une discursivité qui, sur le mode d’une extériorité agissante, constitutive de son intérieur, le contraint, le conditionne, le nourrit tout à la fois qu’elle le déporte – ou décentre – hors de lui-même. Pour Bakhtine, le milieu du déjà-dit est le produit de l’histoire qui a stratifié et saturé la langue, en telle sorte que Comme résultat du travail de toutes ces forces stratificatrices, le langage ne conserve plus de formes ou de mots neutres "n'appartenant à personne". […] Chaque mot renvoie à son contexte ou à plusieurs dans lesquels il a vécu son existence socialement sous-tendue. [(1978 :114)] La pensée « dialogique » du dire est celle d’un mouvement, celui du discours [qui] rencontre le discours d'autrui sur tous les chemins qui mènent à son objet, et il ne peut pas ne pas entrer avec lui en interaction vive et intense. [in Todorov (1981 : 98), je souligne] La figure, chère à Bakhtine, de « l’Adam mythique abordant avec le premier discours un monde vierge et encore non dit », est là pour rappeler que, hors le mythe, c’est dans tout dire que résonne cet extérieur : L'auteur (le locuteur) a ses droits inaliénables sur le discours, mais […] en ont aussi ceux dont les voix résonnent dans les mots trouvés par l'auteur (puisqu'il n'existe pas de mots qui ne soient à personne) […] Le discours […] se joue en dehors de l'auteur, […]. [in Todorov (1981 : 83), je souligne] Avec Pêcheux7, dans le sillage de « l’ordre du discours » de Foucault et de la théorie althussérienne des idéologies, la pensée de l’extériorisation interne du dire s’accompagne d’un souci opératoire, méthodologique (traitement de corpus) et 7 Cf. le recueil de textes et la présentation proposée par D. Maldidier (1990) sous le titre « L’inquiétude du discours ». conceptuel (interdiscours/intradiscours, « traces » du premier dans le second, préconstruit, discours transverse,…) et s’inscrit dans la perspective – différente de celle de Bakhtine – d’un « interdiscours au principe du discours », dans un rapport de détermination qui, derrière les illusions d’un « je parle » fait jouer un « ça parle » toujours « ailleurs, avant et indépendamment »8 qui, irreprésentable pour le sujet, le déboute de son intentionnalité souveraine. On pourrait multiplier les références – de nature philosophique, littéraire, psychanalytique, … – qui nourrissent cette pensée d’un dire non « self-contained », et d’un sujet dépossédé, dans l’ailleurs discursif, de sa maîtrise sur des mots jamais pleinement à lui : telles Flaubert et son vertige du Livre « entièrement recopié », l’horreur de Nietsche pour la « maladie du langage » qu’est sa « grégarité », la parole « désindividualisée » de Deleuze, Barthes et son constat du « tout est citationnel », ou encore « l’inappartenance foncière uploads/Philosophie/ dire-a-l-x27-autre-dans-le-deja-dit-interferences-d-x27-alterites-interlocutive-et-interdiscursive-au-coeur-du-dire.pdf

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