Raymond Ruyer Néo-finalisme. Ruyer 1952 selon l’Ordre des Raisons Jean-Claude D
Raymond Ruyer Néo-finalisme. Ruyer 1952 selon l’Ordre des Raisons Jean-Claude Dumoncel Philopsis : Revue numérique http://www.philopsis.fr Les articles publiés sur Philopsis sont protégés par le droit d’auteur. Toute reproduction intégrale ou partielle doit faire l’objet d’une demande d’autorisation auprès des éditeurs et des auteurs. Vous pouvez citer librement cet article en en mentionnant l’auteur et la provenance. C’est dans la Bibliothèque de Philosophie Contemporaine fondée par Félix Alcan que le Néo-finalisme de Raymond Ruyer1 a été publié par les PUF en 1952, à l’intérieur de la section « Logique et Philosophie des Sciences »2 dirigée par Gaston Bachelard, mais il a été réédité chez le même éditeur en 2012 dans la nouvelle collection « MétaphysiqueS »3. La différence entre une collection de philosophie des sciences et une collection de métaphysique indique une véritable ambiguïté du livre. Dès son titre il affiche une position expresse dans l’éternel débat entre mécanicisme et organicisme en philosophie de la biologie : le finalisme est une forme d’organicisme ou de vitalisme. Et certains des derniers chapitres de l’ouvrage, comme « Le néo-Darwinisme et la génétique » (XVII) ou « Le psycho-Lamarckisme » (XIX), semblent, au moins à première vue, se cantonner modestement à ce débat savant. Mais la « philosophie de la biologie », en tant que branche de la Philosophie des Sciences, n’est au mieux que l’ontologie régionale de la biosphère. Et la technicité à laquelle s’astreint Ruyer dans ces chapitres les a, du même coup, rendus tributaires de l’état du problème à l’époque. Cette lourde technicité un peu datée, bien que localisée à ces brefs chapitres, risquerait d’offusquer une lecture adaptée du livre si elle était prise comme étiage. Heureusement, la réédition dans la collection « MétaphysiqueS » indique le véritable registre de l’ouvrage pris comme un tout dans son architecture : c’est le livre où Ruyer a exposé sous sa forme4 la plus systématique mais aussi la plus originale sa Métaphysique. Sur ce registre, il faut même ajouter qu’il n’admet qu’un seul terme de comparaison, à savoir le Process and Reality de 1 Pour une brève introduction générale à l’œuvre et à la pensée de Ruyer, cf. notre étude « Les mutations de Raymond Ruyer » in Michel Weber et Ronny Desmet (dir.), Chromatikon V. Annuaire de la philosophie en procès — Yearbook of Philosophy in Process, 2009. 2 Sauf indication contraire, toutes nos citations sont dans cette édition originale de 1952 par le chiffre de la page, préposé ou postposé entre parenthèses. 3 Collection des PUF dirigée par Elie During, Patrice Maniglier, Quentin Meillassoux et David Rabouin. 4 Le problème de la forme en philosophie chez Ruyer et son évolution permanente à ce sujet sont expliqués dans « Les mutations de Raymond Ruyer ». www.philopsis.fr Ruyer – © Jean-Claude Dumoncel 2 Whitehead, seul autre ouvrage5 du XXe siècle à contenir à la fois une métaphysique évolutionniste et une théologie naturelle au diapason, par ailleurs aussi chef d’œuvre en mal de reconnaissance ayant trouvé en Ruyer un des rares auteurs à lui rendre justice. Néo-finalisme est le livre qui contient les lignes suivantes : Chérubin devient rapidement plus savant. Proust, à partir de l’impression vague et atmosphérique induite par le goût de la madeleine, reconstruit l’édifice immense de ses souvenirs ; le tissu ectodermique, touché par la vésicule optique, construit rapidement, à partir d’un simple épaississement de l’épiblaste céphalique, un cristallin et une cornée.6 Lorsque des devenirs aussi différents que la formation d’un œil, l’apprentissage des signes par Proust et l’éducation sentimentale de Cherubino sont alignés comme trois cas d’une seule et même Loi métaphysique, dans ce que Ruyer appellera « un Platonisme biologique » (236), nous comprenons que, pour parvenir à toute l’extension de cette loi, nous devons joindre à cette série au moins deux autres cas, plus vastes mais aussi plus connus : non seulement l’évolution des espèces, mais aussi le Big Bang et ce qui s’ensuit. La métaphysique de Ruyer est celle qui est capable d’embrasser tous ces processus à la fois dans leur parallélisme et dans leurs différences. Mais si elle y parvient c’est parce qu’elle place d’abord tous les processus, tous les devenirs, sous la législation métaphysique d’une matrice éternelle et vivante où, comme des Idées platoniciennes superposées en une gamme inépuisable, retentissent des « thèmes » demandant toutes les variations possibles. Comme Whitehead, Ruyer est un métaphysicien qui sait être à la fois « platonicien » et « bergsonien », « héraclitéen » et « parménidéen ». Toutefois la simple superposition d’un univers de thèmes supratemporels et d’un monde en devenir demeure un problème plutôt qu’une solution. La solution, c’est justement ce que va offrir un système de métaphysique, en substituant à une simple superposition une articulation capable de donner lieu à une transition. Selon Colonna les Eléments de psycho-biologie publiés en 1946 donnent « le premier exposé du système définitif de Ruyer »7. Toutefois Ruyer n’est pas seulement un bâtisseur de système : il est aussi un penseur du Système. En 1948, dans Le monde des valeurs il écrivait : L’envie de compléter un système dont on ne fait qu’entrevoir les fragments est le principe même de l’erreur, mais c’est aussi le principe de la découverte. Pour essayer de recueillir le maximum d’avantages de la pensée systématique, c'est-à-dire sa vertu inductive, tout en réduisant au minimum ses inconvénients, c'est-à-dire ses risques d’erreur, le plus expédient est de passer d’un système à l’autre, sans s’inquiéter de savoir s’il est contradictoire au premier, et en souhaitant même qu’il le soit.8 Etant donné qu’un système de philosophie digne de ce nom est supposé répondre à tous les problèmes philosophiques et que Ruyer a les aptitudes voulues pour accomplir un tel exploit, il sera utile d’en prendre d’entrée de jeu la mesure. Nous la trouvons dans les quelques lignes de Platon où, Théétète ayant déclaré qu’« aucune notion, plus que celle d’être, n’est pour toutes choses un accompagnement », l’échange se poursuit ainsi : THEETETE : Je la mets parmi les représentations que l’âme aspire par elle-même à obtenir. – SOCRATE : Et en fais-tu autant pour le semblable et le dissemblable, pour l’identique et le différent ? – THEETETE : Oui. – SOCRATE : Est-ce tout ? le beau et le laid aussi ? le bien et le mal ? – THEETETE : De ces notions, l’existence est à mon avis, 5 Si l’on excepte son propre précédent dans la métaphysique d’expression anglaise, le Space, Time and Deity de Samuel Alexander. Sur Alexander, cf. le livre de René Daval annoncé par Hermann pour la rentrée 2013. 6 Néo-finalisme, p. 77. 7 Fabrice Colonna, Ruyer, Les Belles Lettres, 2007, p. 11. 8 Le monde des valeurs, Avertissement. www.philopsis.fr Ruyer – © Jean-Claude Dumoncel 3 celle qui au plus haut point comporte la considération de rapports mutuels, puisque c’est en elle-même que l’âme fait sur le passé et le présent des supputations qui se rapportent à l’avenir. Un peu plus loin l’inventaire se conclut : SOCRATE : Mais est il possible d’atteindre la vérité par ce qui n’atteint même pas l’existence ? – THEETETE : Impossible.9 Comme on l’aura compris, Platon nous donne ici, avant la lettre, la première liste des termes transcendentaux, énumérant par là-même les objets de la Philosophie : l’Être, le Temps, l’Identité, le Vrai, le Bien et le Beau. Il y a système de philosophie lorsque tous ces concepts sont mis ensemble sur orbite. Et l’œuvre de Ruyer nous permet de dégager la division naturelle des transcendentaux. L’Être, le Temps et l’Identité sont des transcendentaux métaphysiques, alors que le Vrai, le Bien et le Beau sont des valeurs et donc des transcendentaux axiologiques. En ajoutant la métaphysique de Néo-finalisme à l’exposition du Monde des valeurs, c’est donc bien un système entier de philosophie que Ruyer a édifié, dont le champ sera couvert en 1966 par le recueil des Paradoxes. Néo- finalisme n’en expose que la Métaphysique, mais en indiquant aussi la place de l’Axiologie déjà exposée dans Le monde des valeurs depuis 1948. Le problème de Néo- finalisme est celui du statut d’existence (84) des différents êtres. Or, entre les êtres (avec leur existence) et les valeurs, la finalité, dans les êtres, vise des fins à raison de leur valeur. Elle est donc exactement le chaînon intermédiaire entre la métaphysique et l’axiologie. Néo-finalisme, en cherchant les « secrets de l’action finaliste » (79) pose donc, sur le système de Ruyer, sa clef de voûte. Le livre ainsi couronné demande alors à être situé dans l’œuvre entière de Ruyer : 1930 Esquisse d’une philosophie de la structure 1937 La conscience et le corps 1946 Eléments de psycho-biologie 1948 Le monde des valeurs 1952 Néofinalisme 1954 La cybernétique et l’origine de l’information 1958 La genèse des formes vivantes 1964 L’animal, l’homme, la fonction symbolique 1966 Paradoxes de la conscience 1969 Eloge de la société de consommation 1970 Dieu des religions, Dieu de la science 1972 Les nuisances idéologiques 1974 La Gnose de Princeton, 1977 Les cent prochains siècles Homère au féminin 1978 L’art d’être toujours content Etant donné uploads/Philosophie/ raymond-ruyer-dumoncel-commentaire.pdf
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- Publié le Apv 08, 2021
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