Présence de Maurice Blanchot dans La Déclosion - Gisèle Berkman Présence de Mau
Présence de Maurice Blanchot dans La Déclosion - Gisèle Berkman Présence de Maurice Blanchot dans La Déclosion, (Déconstruction du christianisme, I), de Jean-Luc Nancy, éditions Galilée, 2005 Gisèle Berkman La Déclosion occupe une place importante dans le champ d’une pensée qui se veut attentive au fait religieux, à sa signification, à sa possible déconstruction.[1] La singularité et la force du livre tiennent à l’articulation des thèses qui en forment la nervure sous-jacente- même si, précisément, il s’agit pour Jean-Luc Nancy de défaire toute affirmation dogmatique, toute présomption d’un sens se voulant unique et présent à soi. Déconstruire la religion chrétienne, (dans la mesure où christianisme et occidentalité, pour Jean-Luc Nancy, s’entr’appellent) en ré- ouvrant le rapport la raison, et en auscultant la provenance occidentale du sens : telle pourrait être, pour le résumer au risque de le schématiser, le programme du livre. Le sous-titre, « déconstruction du christianisme », doit être noté. Le génitif a ici une double valeur. Il s’agit aussi bien, pour Jean-Luc Nancy, d’opérer ce geste critique qu’est la déconstruction en l’appliquant au domaine ou au champ chrétien, que de montrer (ce qui est une thèse majeure du livre, prolongeant par d’autres voies les analyses importantes de Noli me tangere[2]) que le christianisme, à certains égards, c’est la déconstruction. L’autre thèse majeure de l’ouvrage, diversement argumentée et filée de chapitre en chapitre, c’est que la raison s’est amputée d’elle-même en se restreignant à l’entendement, en se fermant à l’absoluité du sens. Aussi ne s’agit-il aucunement, ici, de ressusciter la religion, d’en appeler à un « retour » du religieux, mais bien d’ « ouvrir la simple raison à l’illimitation qui fait sa vérité ». Déclore, terme que l’on ne limitera pas à sa provenance heideggérienne, c’est ici un peu plus que ré- ouvrir. La Déclosion procède à une auscultation du sens, du sens du sens, envisagé dans son rapport nécessaire au religieux. Deux chapitres sont consacrés, dans La Déclosion, à Maurice Blanchot : « Le nom de Dieu chez Blanchot, « Résurrection de Blanchot »[3] Nancy, on le sait, tisse depuis longtemps, un dialogue fraternel avec les textes de Blanchot,[4] dialogue lui-même indissociable de cette philia, de cette constellation amicale, où scintillent les noms de Philippe Lacoue-Labarthe, Jacques Derrida, Emmanuel Levinas. C’est qu’une certaine résonance, éveillée par la puissance critique de la pensée de Blanchot, se trouve comme reprise, diffractée, dans les textes de Nancy, Lacoue-Labarthe, Derrida, Levinas. L’amitié, dont on sait que c’est aussi un titre de Blanchot, passe ici par l’écriture, amitié écrite, « excrite », pour reprendre le néologisme cher à Jean-Luc Nancy. Dans La Déclosion, Nancy reprend, au sujet de Blanchot, la réflexion menée lors de la clôture du Colloque « Maurice Blanchot, récits critiques », dans ce qui est aussi une adresse à Derrida, l’ami : « […] pour autant qu’il n’ait cessé de s’opposer à toute théo-antropo-logie, Blanchot n’a jamais formellement congédié le nom de Dieu ; en revanche, il essaye, dans le même texte, de donner congé simultanément, comme il le dit, au théisme et à l’athéisme. Entre les deux ne désignant rien mais demandant, appelant la venue de quelque chose. »[5] Ajoutons que le nom de Blanchot court à travers l’ouvrage.[6] Mieux : il y a ici comme un travail silencieux de Blanchot dans le livre (au sens où Freud parle d’un « travail du rêve »), lors même que son nom n’est pas invoqué. Comment ne pas voir, par exemple, dans le chapitre « Le judéo-chrétien », qui est un commentaire de l’Épître attribuée à Jacques, (et bien sûr aussi une adresse amicale à l’autre Jacques : Derrida), un dialogue avec la pensée du mourir développée par Blanchot dès « la littérature et le droit à la mort »,[7] mais aussi, par l’intermédiaire de Jacques, ici opposé à Paul comme au tenant de la pensée dialectique, un appel à l’autre pensée, pensée qui n’est plus de relève mais d’exposition ?[8] Il nous semble nécessaire, dans un premier temps, d’envisager les thèses d’ensemble de La Déclosion, afin de mieux faire ressortir la fraternité de pensée qui les lie à l’ « athéologie » évoquée par Blanchot, dans le chapitre de L’Entretien infini, « L’athéisme et l’écriture, l’humanisme et le cri », comme cet « avenir non théologique qui n’est pas encore le nôtre.» Jean-Luc Nancy s’achemine vers l’athéologie, au sens de Blanchot et (sur un autre mode) de Bataille, en opérant, dans l’ouverture de son livre, une double déconstruction des régimes de sens qui gouvernent, respectivement, le discours théologique et le discours métaphysique. Que le christianisme, loin d’être un épiphénomène, soit immanent au déploiement même de la rationalité occidentale : telle est l’autre thèse majeure du livre, qui s’inspire, pour la redéployer autrement, de la thèse fameuse de Marcel Gauchet sur la « religion de la sortie de la religion ».[9] Le christianisme a donc partie liée avec le graphe ou l’orientation même du sens. Repérer la provenance de ce graphe, c’est aussi, en quelque sorte, se rendre attentif au destin même du nihilisme, envisagé comme pointe sombre du christianisme, lui-même posé comme courbe ou graphe même du sens. Le capitalisme est alors l’autre nom du monothéisme, ce qui l’arrime à la courbe d’un sens envisagé comme déploiement de l’unique dans l’Histoire : sens unique et unicité du principe ont ici partie liée.[10] Et le monothéisme lui-même, qu’on l’envisage dans sa provenance hébraïque, ou dans son prolongement chrétien, est l’autre nom d’un athéisme, dans la mesure où il est gouverné par cette logique du principe recteur, cette « principialité » dont l’athéisme ne peut se défaire qu’en se faisant « athéologie », ce qui est un risque de pensée majeur. L’une des grandes forces de la déconstruction opérée par Jean-Luc Nancy, c’est précisément, d’étude en étude, d’ausculter en quelque sorte le sens, envisagé dans sa provenance chrétienne, mais aussi dans ses prolongements, d’extraire, en quelque sorte, la principialité du principe,[11] selon un geste méta qui a fort à voir avec le transcendantal kantien. Face à cette fermeture, à cette saturation opérée par le sens se rebouclant sur son propre bouclage, la déclosion a valeur de proposition. Ce dont il s’agit ? Rien moins que de « rouvrir […], obstinément, le sens du sens ».[12] C’est que le christianisme, tout ensemble conforte la clôture, le bouclage saturant du sens, et en même temps, comme d’un même geste, il déclôt : à même le christianisme, soutient Jean-Luc Nancy, est lisible le mouvement d’une déconstruction.[13] Et cela engage tout un rapport au rien, un rapport effectif, pensé, actif, de la déconstruction et du battement de la « chose-rien » (conformément à l’étymologie de res, rien) : le christianisme ouvre à l’autre monde, qui n’est pas un arrière-monde, mais l’autre du monde, l’autre à même le monde. Thèse complexe, fondamentale, véritable cœur battant du livre, que l’on est tenté de gloser comme suit : le « rien » est tout sauf un nihilisme, tout sauf la promotion du néant, mais le pas-rien de l’étant, l’espacement originaire, l’écart inaperçu qui donne lieu. Ou, pour reprendre la belle image de Jean-Luc Nancy: « le désajointement des pierres et le regard dirigé vers le vide (vers la chose-rien), leur écartement. »[14] C’est aussi ce que montre remarquablement l’analyse de la création ex nihilo, laquelle est tout sauf la promotion d’un nihilisme, dans la mesure où ce dernier consiste à faire principe du rien, là où la création ex nihilo consiste à défaire tout principe, y compris celui du rien. « Vider rien de toute principialité » , écrit Nancy, « c’est la création. »[15] Cela débouche sur la question du sens, qui est l’une des questions centrales de Jean-Luc Nancy. Dans Le Sens du monde, déjà, on pouvait lire : « Faire place à cet excès du sens sur tout sens appropriable, et se déprendre, une bonne fois, de ce que Lévi- Strauss appelait « la quête épuisante d’un sens derrière le sens qui n’est jamais le bon », voilà l’enjeu –et il n’a rien de sceptique ni de résigné, il est l’enjeu même du sens, à entendre au voilà l’enjeu - et il n’a rien de sceptique ni de résigné, il est l’enjeu même du sens, à entendre au-delà de tout sens, mais venu d’aucun « au- delà » du monde. »[16] Aussi le sens vivant n’est-il pas le sens unique et présent à soi, mais bien le sens ouvert, différé, sens désajointé où se trame l’écartement, l’ouverture originaire. Posant cela, Nancy ne fait pas la promotion nihiliste du non-sens, mais il chante le sens qui perpétuellement diffère, sur un mode léger, son propre accomplissement. Dans cette ouverture « originaire » dont est indissociable la trajectoire même du sens, se lit le battement même du sujet envisagé comme altérité constitutive : penser le sens, c’est penser le rapport à l’autre dont se constitue la subjectivité, et le sujet est, pour Jean-Luc Nancy, indissociable du graphe chrétien. On pense, ici, aux analyses menées dans « Un sujet ? », montrant comment, chez Hegel, le vrai n’est uploads/Philosophie/ espace-maurice-blanchot-www-blanchot-fr-presence-de-maurice-blanchot-dans-la-declosion-gisele-berkman.pdf
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- Publié le Apv 26, 2021
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