L'interprétation de la pensée médiévale au cours du siècle écoulé Author(s): Fe

L'interprétation de la pensée médiévale au cours du siècle écoulé Author(s): Fernand Van Steenberghen Source: Revue philosophique de Louvain , 1951, Vol. 49 (1951), pp. 108-119 Published by: Peeters Publishers Stable URL: https://www.jstor.org/stable/26332557 JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at https://about.jstor.org/terms Peeters Publishers is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue philosophique de Louvain This content downloaded from 154.59.125.43 on Mon, 30 May 2022 21:05:07 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms L'interprétation de la pensée médiévale au cours du siècle écoulé 1 Lorsqu'on prend contact avec l'œuvre des grands historiens de la scolastique depuis le milieu du XIXe siècle jusqu'à ce jour, on est aussitôt frappé des divergences qui se manifestent entre eux touchant l'interprétation de la pensée médiévale et de son évolution. L'étude de ces divergences de vues est pleine de leçons pour nous et elle répond parfaitement au programme de ce Congrès. Je vou drais donc essayer de définir et de situer la position des principaux historiens de la scolastique devant ce grand problème de synthèse historique. Un classement fondamental s'impose aussitôt : il y a lieu de distinguer l'école rationaliste et l'école catholique, le groupe des historiens non croyants et celui des historiens croyants. A première vue, cette distinction peut paraître surprenante, et presque choquante. Le rôle de l'historien n'est-il pas d'établir et de reconnaître les faits ? Pourquoi l'historien croyant et l'his torien non croyant ne pourraient-ils pas constater les mêmes faits, réaliser le même travail historique, impartial et désintéressé ? On répondra qu'il ne s'agit pas seulement de constater des faits, mais de les interpréter et de les apprécier ; or, selon qu'on croit ou qu'on ne croit pas à l'origine divine du christianisme, on jugera que son influence sur le mouvement philosophique a été bonne ou mauvaise. Cette réponse ne tient pas. En effet, toute philosophie est soumise aux multiples influences du milieu culturel où elle se déve <Ί Communication présentée à la séance d'ouverture du Congrès international d'histoire de Ja scolastique, tenu à Rome, du 6 au 10 septembre 1950. This content downloaded from 154.59.125.43 on Mon, 30 May 2022 21:05:07 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms L'interprétation de la pensée médiévale 109 loppe et ces influences peuvent être tantôt stimulantes, tantôt nocives, quelle que soit la valeur intrinsèque des facteurs qui agissent. Ainsi, par exemple, une religion mythique (donc fausse comme religion) pourrait être un stimulant pour la pensée philo sophique, en soulevant des problèmes, en suggérant des idées nou velles ; par contre, la vraie religion pourrait, sous certains rapports, être nuisible au progrès philosophique, en détournant les esprits des problèmes philosophiques au profit de la religion, en calmant l'angoisse philosophique par les solutions religieuses des problèmes. On ne voit donc pas à priori pourquoi tous les historiens impar tiaux ne pourraient pas arriver à une même interprétation et à une même appréciation du mouvement philosophique au moyen âge, quelles que soient leurs opinions personnelles sur le christia nisme, sur son origine et sur sa valeur. En fait, cependant, les choses se présentent autrement. Les historiens rationalistes qui ont étudié la scolastique l'ont toujours abordée avec une mentalité plus ou moins hostile à l'Eglise, anti cléricale et antichrétienne, et avec une antipathie plus ou moins prononcée pour la culture qui a été le fruit de la chrétienté mé diévale. Cette situation s'explique par toute l'histoire de la civi lisation occidentale depuis la Renaissance et la Réforme : une scission de plus en plus profonde s'établit entre le monde chrétien et le monde des incroyants, entre l'Eglise et la société anticatho lique, entre l'humanisme chrétien et l'humanisme païen. Nous allons voir les conséquences de ce dualisme dans l'interprétation de la scolastique. I. Historiens rationalistes On sait que les humanistes, puis les réformateurs, avaient jeté le discrédit sur toute la culture médiévale et, en particulier, sur la scolastique. Le XVlf et le XVIIIe siècles ont vécu sous l'influence de cette réaction hostile au moyen âge, que l'on considère com munément, à cette époque, en dehors des milieux ecclésiastiques, comme une période de barbarie intellectuelle, où les intelligences, asservies en même temps par l'Eglise et par Aristote, sont con damnées à la stagnation. Cependant, au début du XIXe siècle, un renouveau d'intérêt se manifeste pour la civilisation médiévale et pour la scolastique. Ce phénomène s'explique surtout par une double cause : d'abord le This content downloaded from 154.59.125.43 on Mon, 30 May 2022 21:05:07 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms 110 Fernand Van Steenberghen mouvement romantique, qui éveille une curiosité sympathique pour les choses du passé et, en particulier, pour la vieille culture du moyen âge, origine de la culture moderne ; ensuite la philosophie éclectique de Victor Cousin, qui invite'les penseurs à ne pas né gliger les résultats de l'effort intellectuel accompli pendant le millénaire du moyen âge. Sous l'influence de Victor Cousin, une école historique qui s'attache à l'étude des penseurs scolastiques se développe en France et compte plusieurs savants réputés. Parmi eux, le plus célèbre, à la fois par ses travaux d'érudition et par ses ouvrages de synthèse, est Jean-Barthélémy HalJRÉAU (f 1898) ; il y a exactement un siècle, en 1850, il publiait un ouvrage en 2 volumes : De la philosophie scolastique ; plus tard, de 1872 à 1880, il fit paraître sa grande Histoire de la philosophie scolas tique, en 3 volumes. Libre penseur et voltairien, Hauréau voit dans la scolastique « le travail fervent des intelligences qui, trop longtemps asservies au joug d'un dogme révélé, s'efforcent de mériter et de conquérir leur émancipation » '2) ; « la scolastique, c'est la Révolution qui se prépare » (S). L'histoire de la scolastique est donc l'histoire des luttes entre la raison et la foi, l'effort de la philosophie pour se constituer comme discipline autonome à côté de la religion positive. Dans cette philosophie qui s'élabore au sein des écoles médiévales — de là le nom de « scolastique » — Hauréau voit surtout la querelle des universaux, la lutte entre nominalisme et réalisme ; il estime que les nominalistes ont été les vrais précurseurs du rationalisme moderne et les vrais artisans du progrès philosophique. Vers la même époque, en Allemagne, C. PRANTL publiait sa grande Geschichte der Logik im Abendlande <4). Comme Cousin et comme Hauréau, Prantl voit surtout dans la scolastique le déve loppement historique de la querelle des universaux. Aux alentours de 1900, le grand historien rationaliste de la philosophie médiévale est François PlCAVET. Son activité littéraire va de 1885 jusqy'à sa mort en 1921. Son principal ouvrage date de 1905 : Esquisse d'une histoire générale et comparée des philo sophies médiévales (2e éd. 1907). Relevons trois idées capitales dans les conceptions de Picavet touchant la pensée scolastique : (3) Histoire de la philosophie scolastique, t. I, p. 121. ("> Ibidem. <4> En 4 volumes, 1855-1870; les trois derniers sont consacrés au moyen âge. This content downloaded from 154.59.125.43 on Mon, 30 May 2022 21:05:07 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms L'interprétation de la pensée médiévale 111 1. Picavet insiste sur la complexité et la diversité de la pensée médiévale, et c'est pourquoi il parle toujours des philosophies mé diévales ; il préconise l'histoire comparée de toutes ces philosophies, en particulier de celles qui se développent dans les différents milieux religieux : chrétien, juif et musulman. 2. Picavet estime que toutes les philosophies médiévales sont des philosophies essentiellement religieuses, comme les civilisations dont elles émanent. Il refuse de distinguer, au moyen âge, philo sophie et théologie : la scolastique est tout entière un effort que l'homme religieux accomplit en vue d'expliquer rationnellement la révélation et de reconquérir ainsi les valeurs rationnelles qui avaient fait la grandeur de la philosophie antique <5). Le moyen âge est par excellence un âge théologique (e). 3. Par conséquent, le grand maître qui a inspiré la scolastique n'est pas Aristote, mais Plotin. Chez les Latins comme chez les Juifs et les Arabes, l'inspirateur de la pensée médiévale est Plotin, à qui elle doit ses tendances foncièrement religieuses et mystiques. Le moyen âge marque le triomphe du néoplatonisme. Picavet entend étudier la pensée médiévale européenne — synonyme, pour lui, de pensée chrétienne — avec l'impartialité et la curiosité sympathique de l'historien. 11 reproche aussi bien à Hauréau qu'à De Wulf d'être des « partisans ». 11 a réussi dans une certaine mesure, mieux que les autres historiens rationalistes, à s'affranchir des préjugés anticléricaux (7>. On ne peut en dire autant de M. Louis RoUGIER, qui a publié en 1925 un énorme pamphlet contre la renaissance thomiste : La scolastique et le thomisme. Selon M. Rougier, le thomisme, chef d'œuvre de la scolastique, est le rendez-vous de deux incohé rences uploads/Philosophie/ f-van-steenberghen-l-x27-interpretation-de-la-pensee-medievale-au-cours-du-siecle-ecoule.pdf

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