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Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue de Métaphysique et de Morale. http://www.jstor.org Entretien avec Emmanuel Lévinas Author(s): Emmanuel Lévinas and Françoise Armengaud Source: Revue de Métaphysique et de Morale, 90e Année, No. 3, Philosophie juives (Juillet-Septembre 1985), pp. 296-310 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40902714 Accessed: 22-08-2014 18:35 UTC Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. This content downloaded from 132.248.197.194 on Fri, 22 Aug 2014 18:35:58 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions Entretien avec Emmanuel Lévinas Françoise Armengaud. - Professeur Lévinas, sur le thème de ce numéro spécial de la Revue de Métaphysique et de Morale, vous êtes de ceux qui ont le plus contribué, non seulement à instruire la question, mais encore à en montrer la fécondité, en quelque sorte par le mou- vement et par l'exemple offert. Vous avez écrit là-dessus de manière explicite à plusieurs reprises x : dans Difficile liberté, dans votre avant- propos aux Quatre lectures talmudiques, dans Noms propres, dans De Dieu qui vient à Vidée, dans votre préface à l'étude de Stéphane Mosès sur la philosophie de Franz Rosenzweig. Vous vous êtes encore récem- ment prononcé lors d'entretiens sur France-Culture 2. On pourrait donc croire que tout est dit et que le lecteur n'a qu'à lire. Je voudrais pour- tant, si vous le permettez, vous faire part de quelques questions. Emmanuel Lévinas. - Un entretien comporte des questions. Je m'attendais à être interrogé et étais à l'avance attentif et curieux. Et voici que vos premiers mots semblent orienter la conversation plus particulièrement vers moi. Judaïsme et philosophie : je pensais à leur manifestation dans l'histoire. Or vous semblez vouloir m'amener à parler de moi-même. Françoise Armengaud. - C'est exact. Lorsque, dans les entretiens auxquels j'ai fait allusion précédemment, vous déclarez que les tradi- tions de la théologie biblique et de la philosophie se sont trouvées chez 1. Emmanuel Lévinas, Difficile liberté, Paris, Albin Michel, lre éd. 1963 ; 2e éd. 1976 ; Quatre lectures talmudiques y Paris, Minuit, 1968 ; « Philosophie et religion », in : Critique, Juin 1971, et Noms propres, Paris, Fata Morgana, 1976 ; « Dieu et la philosophie », in : Le Nouveau commerce, 1975, et De Dieu qui vient à Vidée, Paris, Vrin, 1982. Stéphane Mosès, Système et révélation, Paris, Le Seuil, 1982. 2. Emmanuel Lévinas et Philippe Nemo, Ethique et infini, Pans, Fayard, 19Ö2. 296 This content downloaded from 132.248.197.194 on Fri, 22 Aug 2014 18:35:58 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions Entretien vous d'emblée d'accord sans que vous ayez jamais visé explicitement à les concilier, j'éprouve quelque surprise... Emmanuel Lévinas. - Je ne crois pas que l'on commence jamais par se poser explicitement un problème de conciliation. La distinction entre judaïsme et réflexion philosophique apparaît-elle d'emblée comme un conflit majeur ? On peut commencer - ce fut mon cas, puisque vous voulez parler de moi - dans un monde où le judaïsme a été vécu et d'une manière très naturelle : pas du tout (ou pas seulement) dans ce qu'on appelle piété ou ritualisme rigoureux, mais surtout dans la cons- cience qu'appartenir à l'humanité, c'est relever d'un ordre de suprême responsabilité. Et où les livres non juifs apparaissaient, eux aussi, comme soucieux du sens de la vie ; ce qui, certainement, s'ouvre sur le sens de l'existence humaine et déjà, peut-être, sur le sens de l'être. Je songe, par exemple, aux romans russes de ma première jeunesse, ou à Γ« être ou ne pas être » d'Hamlet, à Macbeth, au Roi Lear ou à Y Avare, au Misanthrope et au Tartuffe, ressentis comme drames de la condition humaine. La philosophie en parle aussi, mais selon un autre langage qui se veut toujours explicite, accordant ses termes et formulant des problèmes là où la cohérence s'interrompt. Mais la tradition des Ecri- tures s'est-elle jamais faite sans la transmission de ce langage d'interpré- tation, déjà dégagé des versets qui le portent, et toujours à chercher dans les interstices des propos ? Françoise Armengaud. - J'entendais aussi ne pas opposer deux thèses différentes ni deux théories sur le monde, mais bien deux lan- gages... Emmanuel Lévinas. - Les textes juifs peuvent avoir été toujours appréhendés comme sans cesse doublés de significations symboliques, d'apologues, de versions nouvelles à découvrir, bref, ils ont partout la doublure du Midrash. Et le langage de la philosophie ne signifie pas qu'un vent intellectuel a arraché le lecteur à toute littéralité, à toute particularité, à l'imposé devenant insignifiant. Ce qui a pu être souhaité comme sainteté de vie, dans le judaïsme de ma Lithuanie natale, ne se séparait pas de la sainteté de l'Ecriture elle-même. D'où méfiance à l'égard de ce qui, dans le passage déchiffré, s'obstine mythologique. Démythologisation du texte, mais recherche, jusque dans sa lettre, d'un prétexte à pensée. C'est là l'essentiel de cette lecture. Démythologisation aussi du déjà démythologisé. Quête du sens à renouveler. Comme si les versets disaient sans répit : « Interprète-moi ». Vous connaissez sans doute la formule de Rachi : « Ces versets crient darchenou ! ». Ce n'est pas encore, certes, la lecture philosophique, mais c'est proba- blement l'acquisition de Tune de ses vertus. Le discours philosophique apparaîtra comme une manière de parler s'adressant à des esprits abso- lument non prévenus qui exigent des idées entièrement explicites, où soit dit tout ce qui passe pour aller sans dire. Parole s'adressant à des 297 This content downloaded from 132.248.197.194 on Fri, 22 Aug 2014 18:35:58 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions Emmanuel Lévinas Grecs ! Façon de parler qui s'ajoute et anime cette manière plus confi- dentielle, plus fermée et plus ferme, davantage attachée aux porteurs du sens, que le signifié ne mettra jamais en congé. En cela aussi l'Ecri- ture est sainte. Tels les versets et jusqu'aux termes de leurs premiers et antiques déchiffrements par les Sages du Talmud. Signifiants inépuisa- bles ! Mais un jour on découvre que la philosophie, elle aussi, est un pluriel et que sa vérité se dissimule et comporte des étages, et sans cesse s'approfondit, que ses textes se contredisent, que des difficultés internes travaillent les systèmes. Il me paraît donc essentiel, ce fait que la lecture juive des Ecritures se poursuit dans l'inquiétude, mais aussi dans l'attente, du Midrash. Jamais le Pentateuque, jamais le Houmache, ne voit le jour sans Rachi. Françoise Armengaud. - Comme vous le dites dans Du Sacré au saint, le parchemin n'est jamais abordé « à mains nues ». Einmanuel Lévinas. - Voilà comment je réponds donc à votre pre- mière question, et je me demande si même les grands conciliateurs de civilisations ont vécu autrement leur entreprise. Je ne commets pas la faute que serait la contestation de la différence radicale d'esprit entre l'Ecriture et la philosophie. Mais en insistant sur leur accord de fait à un certain moment - peut être dans la maturité ou la modernité de la civilisation gréco-biblique - je me prépare à parler (si vos ques- tions m'y mènent) de leur connexion essentielle dans la civilisation humaine tout court, qui est mesurée ou espérée comme la paix entre les hommes. Françoise Armengaud. - Justement je voulais vous interroger, s'agis- sant de « grands conciliateurs », sur l'opposition que l'on dresse classi- quement entre Maïmonide et Jéhuda Halévi. Comment la considérez- vous ? Emmanuel Lévinas. - Je ne sais si cette division en deux est défini- tive. Je ne sais si toutes les pensées juives de la brève période philoso- phique médiévale entrent dans cette dichotomie. C'est cependant une opposition très essentielle. On a d'un côté la grande tradition philoso- phique qui trouve intelligibilité, rationalité et sens dans le savoir. Chez Maïmonide, le spirituel par excellence, c'est le connaître. Le savoir où l'être est présent à l'esprit, où cette présence de l'être à l'esprit est la vérité de l'être, c'est-à-dire sa mise à découvert. Comme si, dès lors, être signifiait présence, dut-on l'appeler éternité. Exposition à la pensée et à la mesure de la pensée - assimilation par la pensée et immanence, où la transcendance de Dieu ne peut signifier que négati- vement. Encore qu'il faille se demander comment cette transcendance, comme telle, a jamais pu faire signe à la pensée de sa séparation même. Le lien de Maïmonide - ou de cette priorité spirituelle du savoir - avec la pensée grecque, est évident ; et l'inéluctable maîtrise de Maïmonide dans la pensée juive - malgré toutes les attaques de quelques médié- 298 This content downloaded from 132.248.197.194 on Fri, 22 Aug 2014 18:35:58 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions Entretien vaux et de uploads/Philosophie/ entretien-avec-levinas-pdf.pdf

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