1 Gérard GRIG Master 1 Philosophie 18/10/2019 Faut-il renoncer à expliquer le m

1 Gérard GRIG Master 1 Philosophie 18/10/2019 Faut-il renoncer à expliquer le mal ? Selon la philosophie chrétienne contenue dans les Évangiles, personne ne saurait expliquer le mal, parce qu’il est insensé. Dieu lui-même ne l’explique pas, car il peut seulement l’atténuer et le partager en la personne de son Fils qui a vécu sa Passion. C’est une manière de répondre à la question de l’explication du mal. Néanmoins, une autre question plus fondamentale se pose à nous. Il faudrait se demander pourquoi nous cherchons à expliquer le mal. Mais ne vaudrait-il pas mieux se demander plutôt s’il convient de renoncer à expliquer le mal ? Comment alors définir ce renoncement ? Serait-il accepté par nécessité ou voulu pleinement ? Il est possible de renoncer à expliquer le mal, à cause de son mystère lié à sa radicalité et à son universalité (I). Or il faudrait plutôt renoncer, mais de façon active, à expliquer rationnellement le mal, en choisissant la Révélation contre la Raison (II). Néanmoins, il existe une autre forme de renoncement actif à expliquer le mal, en essayant de le comprendre et de lui donner un sens sans l’excuser (III). I) Il est possible de renoncer à expliquer le mal, à cause de son mystère lié à sa radicalité et à son universalité. Dans La religion dans les limites de la simple raison, Kant défend la thèse de la radicalité du mal moral. Ce mal est inconnu de nous. Il est inexplicable, incompréhensible et inextirpable. Il n’est réductible ni à la finitude humaine, ni au malheur. Il est universel. L’Antiquité avait peu posé la question du mal. Il était une erreur ou une méprise de la raison en conflit avec les passions, ou bien un manque d’information. Chez les Stoïciens, que Cicéron approuvera, la souffrance morale était affaire de jugement porté sur les biens et les maux. Le jugement qualifiant les évènements de malheureux ou non est donc de notre totale responsabilité. Cela pose néanmoins le problème de l’indifférence aux souffrances que je cause à autrui, puisque je peux me dire que s’il est éduqué au stoïcisme, il le prendra forcément bien. Dans l’Antiquité tardive, la pensée de Plotin, parallèle à la pensée chrétienne en formation, posera véritablement la question de l’explication du mal. Il y a un principe du mal, engendré comme un terme limite par le bien qui ne peut exister seul. Ce principe du mal s’appelle la matière, et donc le corps. Le mal survient quand l’âme humaine se détourne des réalités intelligibles pour descendre dans le corps. La théologie patristique, qui christianisera Plotin, en assimilant l’Un, l’Intellect et l’Âme aux trois hypostases chrétiennes, se donnera pour tâche de redresser la pensée plotinienne. Ainsi, pour saint Augustin, la matière créée par Dieu ne peut qu’être nécessairement bonne, tandis que l’origine du mal est à chercher dans l’homme et dans la perversion de sa volonté, due au péché originel. 2 Gérard GRIG Master 1 Philosophie 18/10/2019 Tout en mettant l’accent sur la liberté humaine, la philosophie kantienne, qui est dans la tradition luthérienne de la positivité du mal, a fait de ce péché une réalité nouménale, car il y a une a-temporalité du péché originel comme acte libre. Le péché d’Adam, comme faute morale assimilable à un mensonge, est donc l’origine rationnelle du mal. Il n’est pas un péché héréditaire, car il aurait une origine temporelle qui serait la négation de la liberté humaine. L’action mauvaise n’a pas de cause naturelle, ni n’est la conséquence d’aucune conduite antérieure. D’une part, il faut donc écarter les mobiles sensibles, comme les passions ou les inclinations naturelles, pour trouver l’origine du mal. Elles auraient même plutôt tendance à nous faire préférer les intentions vertueuses. D’autre part, il serait diabolique de faire le mal pour le mal dans le but de s’opposer à la loi morale. Une corruption de la raison pratique serait impensable. Le mal radical n’est donc pas absolu. Certes, il constitue en un sens un début d’explication rationnelle, mais celle-ci débouche sur un mystère, ce qui nous amène à renoncer à toute explication. En effet, pourquoi l’homme qui a une « disposition originelle au bien » est-il aussi « mauvais par nature », au point de dévier occasionnellement des maximes de la loi morale, dont il est parfaitement conscient ? Pourquoi s’exempte-t-il parfois d’obéir à la loi morale, comme Adam l’avait fait avec le commandement divin ? Pourquoi une mauvaise foi inconsciente pervertit-elle son jugement moral par amour-propre, quand il commet certaines mauvaises actions ? En tant que personnalité qui agit librement, il est inexplicable que l’homme fasse le mal par un penchant qui est identique à celui d’Adam à l’occasion du péché originel. Au centre du mystère, il y a le vouloir et donc la rationalité de l’homme, que celui-ci choisit de subvertir par une action mauvaise, en répétant un mensonge originel. Néanmoins, ce déficit de volonté dans le mal semble contradictoire avec le principe du « tu dois, donc tu peux ». Mais Kant espère et croit en la liberté de l’homme, car il est humaniste. D’une autre manière, Schelling résoudra dans l’Esprit, comme Liberté absolue, la contradiction entre Nature et Liberté, entre un Dieu immanent et un homme libre qui peut choisir le mal. En outre, on pourrait se demander si le mal est totalement mystérieux et s’il faut aussi renoncer à expliquer la faillabilité. De plus, si l’acte de pécher est inexplicable, car il est un acte libre, l’acte libre vertueux n’est-il pas lui aussi inexplicable ? Enfin, Kant admet la prédestination, comme saint Augustin, mais à condition de ne pas en faire une mécanique, une fatalité. La prédestination, qui ne concerne que certains élus, est l’efficace de leur vouloir. Le libre-arbitre accordé à tous les hommes n’est qu’un pouvoir. Mais si par sa grâce Dieu couronne les actions bonnes des élus, en même temps qu’il couronne tous ses propres dons, Dieu n’est-il donc pas souverain en ce qui concerne le bien et le mal ? Même saint Augustin ne savait pas expliquer la prédestination. Ne faudrait-il pas alors abandonner la rationalité, pour justifier un renoncement à expliquer le mal, mais en s’appuyant sur une autre raison, qui est celle de la Révélation ? 3 Gérard GRIG Master 1 Philosophie 18/10/2019 II) Il faudrait plutôt renoncer, mais de façon active, à expliquer rationnellement le mal en choisissant la Révélation contre la Raison. Il existe une forme de renoncement actif qu’illustre bien le moine bouddhiste, car il n’est pas un renoncement au monde, même s’il s’en détache. De même, un croyant comme Blaise Pascal se détournera des vérités de la raison, mais pour les vérités du cœur qui les fondent, celles de la Révélation que l’on vit intimement jusque dans son corps. Au Dieu de la Raison, Pascal a préféré le Dieu de la Bible, le « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob », allant jusqu’à nous conseiller de nous « abêtir ». Dans la dimension de la Révélation, qui attaque les vérités de la raison au nom de la croyance, le renoncement à expliquer le mal épouse la logique absurde de celui-ci, qui est celle d’un Dieu irrationnel aux décisions arbitraires, dans l’espoir d’être délivré du mal par la prière à Dieu de faire un miracle, de rendre possible ce que la raison tient pour impossible. Léon Chestov a donné une version moderne et existentielle de la pensée pascalienne, après « La Nuit de Gethsémani », dans « Athènes et Jérusalem ». La prière prend alors la forme d’une invective, celle de Job quand Dieu éprouve sa foi par des maux, parce que Job ne le tient pas quitte de ses malheurs. En un sens, la colère de Job est divine, dans la mesure où elle manifeste sa liberté qui est identique à celle de Dieu. Chestov ne nie pas la réalité et le scandale du mal, car l’existant n’est pas condamné à se renoncer. Au contraire, le rationalisme a cherché par ses raisons à expliquer le mal, à le justifier, à l’accepter, à s’en consoler, à le nier comme mal apparent et bien réel, avant de renoncer à l’expliquer à cause de sa radicalité, tout en espérant une forme de salut humaniste ou métaphysique au problème du mal. Le véritable croyant sait que Dieu ne peut être soumis à la logique de la raison, à la nécessité des lois de la nature, à la morale, à la connaissance du bien et du mal, à la vertu gréco-romaine. La sagesse de Dieu est folie aux yeux du monde. Dieu est libre absolument, comme l’homme qu’il a créé à son image, et cette liberté n’est pas la possibilité de choisir entre le bien et le mal. Il faut déclarer « bien » ce que Dieu accepte et aime, et « mal » ce qu’il repousse et n’aime pas. En vérité, il est logique de ne pas être rationaliste et nécessitariste, dans la mesure où la raison repose elle aussi sur la croyance. Qui pourrait prouver que les lois naturelles sont éternelles ? Que uploads/Philosophie/ faut-il-renoncer-a-expliquer-le-mal.pdf

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