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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Compte rendu par Denis Fisette Philosophiques, vol. 18, n° 2, 1991, p. 184-188. Pour citer la version numérique de ce compte rendu, utiliser l'adresse suivante : http://id.erudit.org/iderudit/027162ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/documentation/eruditPolitiqueUtilisation.pdf Document téléchargé le 19 juin 2010 04:17 Ouvrage recensé : Jacques Derrida, Le problème de la genèse dans la philosophie de Husserl, Collection Épiméthée, Presses Universitaires de France, Paris, 1990, 292 p. 184 PHILOSOPHIQUES Jacques Derrida, Le problème de la genèse dans la philosophie de Husserl, Collection Épiméthée, Presses Universitaires de France, Paris, 1990. 292 p. par Denis Fisette « Fallait-il publier cet écrit de 1953-1954?... ». Telle est la question lancée par J. Derrida dans « l'avertissement » à cet ouvrage qui a servi de « mémoire » pour le diplôme d'études supérieures en philosophie à l'École normale supérieure. Malgré sa « signification documentaire » — les nombreuses occurrences du terme « dialectique » témoignent de l'influence de Cavaillès et de Tran-Duc-Thao —, cette publication rappelle que Derrida est l'auteur de nombreux textes sur Husserl et que ceux-ci ont marqué, à tort ou à raison, le commentaire français de la phénoménologie. Mais ce ne sont certainement pas ces textes qui lui ont valu la place qu'il occupe aujourd'hui encore sur la scène philosophique et littéraire en France et plus encore en Amérique. L'oeuvre de Derrida s'est plutôt imposée, en philosophie du moins, par ce qu'il a appelé « la déconstruction de la métaphysique » — le mot est de M. Heidegger, un autre phénoménologue — qui consiste à « démonter » les constructions qui ont fait système dans la philosophie traditionnelle depuis Platon. L'écriture est un cas exemplaire de cette entreprise qui fait corps avec le programme d'une grammatologie que pratique Derrida dans nombre de textes qui continuent de se multiplier et dont le style singulier rompt avec l'usage consacré par la tradition. La publication de cet écrit de jeunesse peut donc surprendre aussi bien le phénoménologue qui persiste que le déconstructeur qui résiste. Ce dernier peut sans doute y voir les traces lointaines de la « différence » — on y retrouve l'expression « contamination différentielle ». Mais rien qui vaille le déplacement. Ce livre, autant par son thème que par son style, semble donc destiné aux lecteurs de Husserl et Derrida avoue, non sans remords, qu'il a cédé aux sollicitations de ses amis des P.U.F. Le lecteur de Husserl y trouvera le jeune Derrida, plutôt perspicace, aux prises avec un thème particulièrement retors, celui de la genèse, qui malgré le travail des années, demeure problématique en phénoménologie. Il va sans dire que l'ouvrage est ambitieux: Derrida entreprend une « lecture panoramique » de l'oeuvre de Husserl en suivant la genèse d'un thème. Pour ce faire, il sectionne le développement de la pensée de Husserl en quatre moments dont les deux premiers font l'objet de la première partie de son livre, le troisième moment est examiné dans la deuxième partie, alors que le thème proprement phénoménologique de genèse occupe les deux dernières parties. Pour le dire rapidement, le premier moment (1887-1896) est organisé autour des recherches de Husserl sur l'origine du concept de nombre. C'est donc très tôt que le problème de la genèse s'est COMPTESRENDUS 185 imposé à Husserl et c'est à ce titre que Derrida s'intéresse aux recherches de Husserl sur le fondement des mathématiques dont une partie a été publiée dans le premier tome de sa Philosophie de Varithmétique (1891). Or on sait que le deuxième tome de cet ouvrage n'a jamais vu le jour. C'est que, comme le remarque justement Derrida (p. 78), Husserl, sous l'influence de Frege, a vite reconnu l'insuffisance du psychologisme — de la psychogénèse — pour une entreprise qui n'a jamais cessé de préoccuper la phénoménologie. Derrida attribue cet échec à une conception psychologisante de l'intentionnalité: Il parle bien « d'analyse intentionnelle » mais si ces analyses paraissent si fragiles à Frege, si, plus tard, il en abandonnera le principe, c'est qu'il s'embarrasserait encore d'une intentionnalité psychologique dont l'idée était trop fidèlement héritée de Brentano: intentionnalité constituée, signification ou structure de la conscience, caractère attribué à un sujet substantiel, (p. 77) Le deuxième moment (1896-1905) de l'oeuvre de Husserl se caractérise par la tentative d'obtenir un concept de signification et un concept d'intentionnalité qui échappe aux objections de Frege par exemple. Cette période est marquée par la publication des Recherches Logiques (1900/1901) dont le premier tome, Prolégomènes à la logique pure, constitue une attaque en règle contre la forme de psychologisme que pratiquerait Husserl dans son premier ouvrage et qui était largement répandue à cette époque. Husserl y relègue la psychologie à une « science des faits » et il fait valoir qu'à ce titre, elle est en principe incapable de fonder l'objectivité de la logique et des mathématiques. On peut dire que c'est précisément cet anti-psychologisme qui l'a poussé à une forme de platonisme dans les Recherches Logiques. Maintenant, le thème génétique est « neutralisé » durant cette période et Derrida soutient que « c'est la difficulté de cette "neutralisation" qui [...] anime tout le mouvement de la pensée husserlienne de 1901 à 1919-1920 » (p. 107). Cette thèse, pour problématique qu'elle soit, rappelle que les Recherches Logiques constituent un ouvrage de « percée » et que Husserl, insatisfait de la conception de la phénoménologie qu'il y défend, procédera, peu de temps après sa publication, à un long travail qui aboutira à la phénoménologie transcendantale des Idées directrices (1913). C'est durant la période qui remplit le troisième moment (1905-1918) de ce développement que Husserl donne à la phénoménologie sa véritable méthode, celle de la réduction, et que, abandonnant le réalisme naïf des Recherches Logiques, il se convertit à une forme d'idéalisme transcendantal. Encore ici, Derrida n'est pas très explicite. Il craint, avec raison semble-t-il, le résultat « inquiétant » auquel Husserl aboutit au fameux § 49 des Idées directrices où il évoque l'hypothèse de la destruction du monde: le monde « réduit » est conçu comme le corrélat intentionnel et son existence est indifférente à la conscience. Derrida se contente donc d'évoquer cette expérience de pensée, attribuant la cause de cet idéalisme aux « structures de 186 PHILOSOPHIQUES la corrélation noético-noématique » dans lesquelles s'enferme l'analyse statique des Idées directrices (p. 144). On n'en sait pas davantage sur le sens de cette corrélation et plus généralement sur la manière dont il conçoit la théorie husserlienne de l'intentionnalité. Car, après tout, le passage de l'analyse statique à l'analyse génétique ne semble pas affecter l'idéalisme de Husserl. Cette ambiguïté grève lourdement les analyses des deux dernières parties du livre où il est finalement question de la dernière phase du développement (1919-1939), période au cours de laquelle Husserl opère un retour à la question de la genèse (« on n'échappe pas à la dialectique » p. 190). Il s'agit en fait d'une lecture des principaux textes de cette période dont le thème central est la « Lebenswelt ». En « quête d'une ultime source génétique » (p. 223), Derrida interroge la possibilité principielle d'une phénoménologie génétique: Le devenir génétique n'étant plus constitué, dans sa signification, par l'activité d'un sujet transcendantal, mais constituant 1'« ego » lui-même, la sphère de la phénoménologie n'est plus définie par l'immanence vécue des structures noético-noématiques; elle n'est plus immédiatement transparente à un spectateur théorique des essences. C'est à un devenir génétique que doit, en un certain sens, aboutir la phénoménologie. C'est là qu'elle doit s'accomplir, mais elle doit le faire en devenant ontologie ou en entretenant avec l'ontologie des rapports fondamentaux, (p. 179) Ce passage et d'autres me semblent témoigner d'un certain nombre de confusions dont est victime le jeune Derrida. La première concerne l'identification de la phénoménologie à une analyse des essences et ce malgré l'insistance avec laquelle Husserl s'est efforcé, et ce dès les Idées directrices, à les dissocier. Le thème principal de la phénoménologie est l'intentionnalité — l'analyse des essences relevant de ce que Husserl appelle singulièrement l'ontologie. La question est bien plutôt de savoir si cette théorie de l'intentionnalité peut composer avec les exigences d'une phénoménologie génétique. C'est à cette question que cherche à répondre l'un des derniers textes de Husserl dont le titre complet est « La question de l'origine de la géométrie comme problème historico-intentionnel ». Selon Derrida, cette tentative ultime échoue à « fonder l'analyse intentionnelle ». Ce fondement, Derrida le cherche dans une forme d'ontologie, peut-être une forme d'eksistentialisme, à laquelle n'aurait pas accès une phénoménologie sise sur l'idée d'un ego transcendantal. uploads/Philosophie/ fisette-d-jacque-derrida-le-probleme-de-la-genese-dans-la-philosophie-de-husserl.pdf

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