Relecture du tao de la physique Une conversation avec Fritjof Capra animée par

Relecture du tao de la physique Une conversation avec Fritjof Capra animée par Renée Weber (Extrait de Ken Wilber – Le paradigme Holographique. Édition Le Jour 1984) WEBER: Vous avez écrit Le Tao de la physique, qui a été publié il y a cinq ans, et j'imagine qu'il y en a environ un quart de million d'exemplaires en circulation. Ainsi, des tas de gens ont été influencés par ce livre. Que pensez-vous maintenant des affirmations du livre et de certaines des réactions qu'il a suscitées? CAPRA: Le livre a été publié il y a cinq ans, mais, bien sûr, j'ai entrepris cette exploration bien avant, et je crois qu'il y a tout juste une décennie que j'ai découvert ces parallèles entre la physique moderne et le mysticisme oriental. Or, je devrais ajouter tout de suite que je n'ai pas été le seul à découvrir ces parallèles. D'autres personnes en ont donné des indices, mais je fus le seul physicien à les explorer en détail. Et j'ai entrepris les premières étapes de cette exploration en 1970; j'ai terminé le livre en 1974. WEBER: Y a-t-il d'autres livres qui adoptent le même point de vue, et croyez-vous qu'ils renforcent la perspective que vous adoptez dans Le Tao de la physique? CAPRA: Oui. Il y a eu un livre publié à peu près à la même époque que le mien, de Lawrence LeShan, intitulé The Medium, the Mystic and the Physicist. Il y a eu des livres en Angleterre aussi et il y a eu récemment un livre intitulé The Dancing Wu Li Masters (La danse des éléments) par Gary Zukav. Tous ces livres renforcent l'idée en ce sens qu'ils font connaître ces parallèles à un public plus vaste et qu'ils soulèvent des discussions. En fait, le livre de Zukav, qui est très souvent mentionné en rapport avec le mien, n'ajoute rien au débat. Zukav réitère l'idée que j'ai exprimée plusieurs années plus tôt, et que, bien sûr, il connaissait très bien parce qu'il avait lu mon livre. Mais cela est utile parce que plus ces parallèles sont discutés par le public, et aussi par divers groupes professionnels, plus ils deviennent intéressants, à mon avis. WEBER: Vous avez mentionné le fait que vous êtes vraiment le seul physicien praticien qui ait entrepris la tâche d'établir le rapport. CAPRA: Voyez-vous, je connais plusieurs physiciens qui ont pensé à ces parallèles avec le mysticisme mais qui en quelque sorte ne croyaient pas qu'ils en valaient la peine ou n'avaient pas envie de les étudier et de les explorer vraiment. Ce fut pour moi une grande décision, aussi, parce que j'ai dû prendre congé de la physique et consacrer tout mon temps et mon énergie à cette tâche. WEBER: Croyez-vous, Fritjof, que certains de ces physiciens craignaient que leur réputation professionnelle pût être affectée? CAPRA: C'était probablement un aspect très important de la question, et ma réputation en a été affectée, bien que je ne fusse pas très connu au départ. WEBER: Vous étiez très jeune quand vous avez écrit ce livre. CAPRA: J'étais jeune, et je n'étais pas tellement connu, mais cela m'a beaucoup affecté professionnellement parce que j'ai dû à toutes fins pratiques me retirer de la physique pendant environ trois ans. WEBER: Pour écrire ce livre, vous voulez dire? CAPRA: Oui. En physique, nous faisons de la recherche en écrivant des articles et puis en obtenant des subventions. Mais le genre de recherche que je faisais en bouddhisme et en taoïsme ne me valut aucune subvention en physique. Bien que je me tinsse à jour en physique durant tout ce temps, je n'étais pas actif en recherche. Ainsi, je n'eus aucun soutien financier jusqu'à ce que j'eusse, finalement, trouvé un éditeur. D'ailleurs, douze éditeurs le refusèrent. Finalement, Wildwood House en Angleterre l'accepta et me donna une avance. Ici, il fut publié par Shambhala. Ce fut mon deuxième éditeur. WEBER: Outre le fait d'avoir sacrifié du temps de recherche, croyez-vous que le propos du livre a lui- même en quelque une sorte compromis votre réputation parmi (ou dans) la communauté des physiciens? CAPRA: Je crois que ce fut certainement le cas. Cependant, lorsque le livre parut et que des physiciens le lurent, ceux qui le lurent reconnurent immédiatement que je savais de quoi je parlais quand je parlais de physique. Au meilleur de ma connaissance, il n'y a pas d'erreurs dans le livre, et qui plus est, les physiciens reconnurent que j'avais fait un assez bon travail en présentant ces concepts complexes à un auditoire de profanes. La plupart des physiciens enseignent à des étudiants de niveau universitaire ou qui n'étudient pas la physique, et ils savent que cela est très difficile. Alors je fus heureux de voir que ce fait fut reconnu dès le départ. On a pris au sérieux la moitié du livre. On ne m'a pas pris au sérieux pour l'autre moitié, mais ils y arrivèrent lentement, et je crois qu'il y a un changement certain d'opinion au sujet du livre à présent dans les cercles de physiciens. Je le sais. Je connais plusieurs physiciens qui étaient tout à fait opposés au rapport avec le mysticisme au début, mais qui maintenant offrent Le Tao de la physique à leurs amis et le recommandent. Alors, je suis très heureux, en général, du déroulement des choses dans le monde de la physique. WEBER: Vous savez que j'ai eu à Princeton une courte interview avec Eugene Wigner dans son bureau. CAPRA: Vraiment? WEBER: Oui. Et nous avons parlé un peu d'un rapport possible entre le mysticisme oriental et la physique. J'avais dans mon sac Le Tao de la physique, mais j'ai décidé de ne pas en parler jusqu'au bon moment dans la conversation. A un certain moment, j'ai vu que nous avions à peu près atteint le bon moment et j'étais sur le point de lui dire que ce livre pourrait l'intéresser quand il bondit, se dirigea vers un bureau où s'entassaient articles et livres, en tira Le Tao de la physique, me l'apporta et me dit: "Je crois que ceci pourrait vous intéresser." CAPRA: Vous savez que bien des physiciens se sont sentis menacés par ce livre. WEBER: Pourquoi cela? CAPRA: Je crois que c'est parce que le mysticisme est considéré dans la communauté scientifique comme quelque chose de très vague décrivant quelque chose de très flou, nébuleux et hautement non scientifique. Alors, le fait de voir ses précieuses théories comparées à cette activité hautement non scientifique est menaçant pour des physiciens. Plusieurs me l'ont dit. D'autre part, je sais aussi que certains des grands physiciens de notre siècle ont été immensément enrichis par la reconnaissance que les concepts fondamentaux de leurs théories étaient semblables à ceux des traditions mystiques. Certains d'entre eux trouvèrent cela difficile au début. Mais finalement, ils le considérèrent comme d'un grand apport intellectuel et culturel à leur vie. Le premier fut Heisenberg. J'ai eu plusieurs discussions avec lui. J'habitais en Angleterre à l'époque et je lui ai rendu visite plusieurs fois à Munich et lui ai montré tout le manuscrit, chapitre par chapitre. Il était très intéressé et très ouvert, et il m'a dit quelque chose qui, je crois, n'est pas connu publiquement parce qu'il ne l'a jamais publié. Il a dit qu'il était tout à fait conscient de ces parallèles. Alors qu'il travaillait à la théorie des quanta, il alla en Inde pour faire des conférences et fut un invité de Tagore. Il parla beaucoup avec Tagore de la philosophie indienne. Heisenberg m'a dit que ces conversations l'avaient beaucoup aidé dans ses travaux en physique, parce qu'elles lui montrèrent que toutes ces nouvelles idées en théorie des quanta n'étaient pas en fait si farfelues. Il comprit qu'il y avait toute une culture qui souscrivait à des idées très semblables. Heisenberg dit que ceci lui fut d'un grand secours. Niels Bohr avait eu une expérience semblable en Chine. Divers autres physiciens m'ont soit dit ou écrit qu'ils ont considéré ces parallèles comme d'un grand apport. Mais bien sûr, il faut une certaine largeur d'esprit et une certaine maturité intellectuelle pour admettre cela. WEBER: Fritjof, maintenant je voudrais vous demander quelque chose qui me frappe vraiment comme étant approprié. Vous avez dit que certains physiciens se sentaient menacés par la notion que ce qui pour eux avait toujours été synonyme de pensée embrouillée — le mysticisme — offrait tout à coup une cosmologie qui non seulement était prise au sérieux, mais qui semblait vraiment, du moins en surface, correspondre en parallèle à leur propre cosmologie. Alors, que répondriez-vous à la critique qui veut que ce qui peut sembler être des similitudes en surface et au niveau du langage n'est pas du tout nécessairement semblable au fond. Je crois que plusieurs critiques ont souligné ce point. CAPRA: Tout d'abord, nous devrions clarifier cette façon de voir le mysticisme comme étant vague et nébuleux. C'est une idée erronée. Les gens qui étudient vraiment le mysticisme, qui en font l'expérience, qui le pratiquent et qui écrivent à ce sujet savent très bien uploads/Philosophie/ fritjof-capra-amp-renee-weber-relecture-du-tao-de-la-physique-une-conversation-1984.pdf

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