LE SEXE DE L'HYSTÉRIQUE Nicolle Kress-Rosen Le sexe de l'hystérique, cela peut
LE SEXE DE L'HYSTÉRIQUE Nicolle Kress-Rosen Le sexe de l'hystérique, cela peut s'entendre de deux manières. La première peut paraître caduque aujourd'hui, car elle concerne la question quel est le sexe de l'hystérique ? Est-ce un homme ou une femme ? Or c'est une question qu'on ne se pose plus guère depuis Charcot et Freud, mais qui, jusque là, et ce n'est pas tellement loin, a toujours reçu de l'histoire la même réponse: c'est une femme. Nous pouvons certes considérer que tout cela, c'est dépassé, et que maintenant que nous tenons la vérité, il n'y a plus lieu de s'en inquiéter. Mais ce serait d'abord avoir de la vérité une conception discutable, et surtout faire bon marché de deux réalités, elles, indiscutables : que, du XXe siècle avant Jésus-Christ à la fin du XIXe après lui, l'hystérie a été sans la moindre hésitation exclusivement féminine, et que, depuis cette fin du XIXe à nos jours, il n'y a que les spécialistes qui sachent qu'il y a des hommes hystériques. Pour le commun des mortels, hystérique, cela continue de s'accorder au féminin. Alors que penser de ce préjugé ? On peut évidemment l'ignorer, en tant que préjugé. On peut aussi, et c'est ce que je ferai, s'interroger sur sa persistance et sur ce qu'elle peut indiquer précisément du rapport de l'hystérie au féminin. Quant à la deuxième manière d'entendre ce titre, elle concerne la sexualité de l'hystérique, son rapport au sexe, ce qui renvoie au rapport entre les sexes. Il est évident que ce deuxième point est étroitement lié au premier, et qu'il y a de l'artifice à l'en séparer. Néanmoins il ne me parait pouvoir être abordé que comme une conséquence, donc une fois la première question élucidée. Nous savons donc comment, depuis la plus haute antiquité, l'histoire a lié l'hystérie à la femme, et plus précisément au corps de la femme. Et tant que cette affection conservera ce nom, - ce que les derniers développements de la psychiatrie permettent de mettre en doute, celui-ci continuera de rappeler par son étymologie le mythe, précisé par Hippocrate, de l'utérus vorace et migrateur, sans cesse en quête d'un peu de sperme. Ce que l'on peut noter avec intérêt, c'est que ce mythe, tout ahurissant qu'il soit au regard de la science, a continué de prévaloir, sous une forme certes de plus en plus édulcorée, jusqu'à la fin du XIXe siècle, et cela malgré les progrès de l'observation scientifique. Que l'on ait en effet, à partir d'un moment, remplacé l'utérus par les humeurs qui en venaient, parce que, tout de même, la migration de l'organe lui-même devenait impossible à soutenir, on voit bien que cela ne change pas grand chose au mythe lui-même. Il y a également ce point généralement méconnu, et que Diane Chauvelot nous a évoqué hier, c'est que l'on avait observé de façon très précoce, dès le début du IIe siècle PC, qu'il y avait de l'hystérie masculine, donc de quoi remettre largement la théorie utérine en question, mais que, malgré une reprise de l'observation à la Renaissance, celle-ci était restée complètement lettre morte. On peut évidemment mettre cette résistance à accepter la nouveauté au compte de l'obscurantisme de ces temps, dont il faut bien dire qu'ils n'acceptaient pas facilement de se laisser éclairer, mais on constate que même au siècle dit des Lumières, un Sydenham, par exemple, ne fera que traduire en termes plus acceptables par la raison le préjugé que ce sont les femmes qui sont hystériques, du fait de la sensibilité et de l'irritabilité particulière de leurs fibres nerveuses. Il semble donc que ce préjugé repose sur quelque chose de bien puissant pour que ni l'observation ni les progrès de l'esprit scientifique ne soient parvenus à le déloger, quelque chose qui se présente comme un savoir qui résiste à la science. Pour ce qui concerne la suite de l'histoire, c'est généralement là que l'on dit avec soulagement : « Enfin Charcot vint... », ou « Enfin Freud vint... », parce que, grâce à eux, les choses auraient enfin été vues avec l'objectivité souhaitable. L'hystérie ne serait donc plus une maladie de la féminité, mais une névrose, qui affecte les deux sexes. Or il convient de regarder les choses de plus près. Il est tout à fait exact, certes, que Charcot a affirmé avec force l'existence de l'hystérie masculine, et qu'il en a présenté de nombreux cas, ne faisant d'ailleurs en cela que reprendre une question à l'ordre du jour, puisque, entre 1875 et 1880, il avait paru cinq dissertations de médecine sur ce sujet, et qu'en Amérique, c'était l'époque où le débat autour du Railway-spine battait son plein. On peut remarquer cependant que tous les cas d'hystérie masculine présentés par Charcot sont très particuliers, en ce qu'ils se rapportent tous à des hommes qui, à la suite d'un accident grave, ont présenté des troubles qu'il reconnaît comme hystériques, mais qui les situent pourtant dans une classe très circonscrite de la maladie. Quant à Freud, dont on sait ce qu'il a appris de Charcot, si l'on relève tous les endroits de son œuvre où il est question d'hystérie masculine, on a la surprise de constater que non seulement ces références sont très peu nombreuses, mais qu'il s'agit pour la plupart de renvois aux travaux de Charcot et que, pour l'essentiel, elles se situent avant 1905, le plus souvent même entre 1892 et 1896. Elles ne nous apprennent d'ailleurs rien sur la question, si ce n'est qu'il étend à ces hystéries, comme aux autres, la théorie de l'origine sexuelle des névroses, sous la forme qu'elle avait dans ces premières années d'élaboration. Il n'y a peut-être que cette petite phrase qui mérite d'être relevée dans les Trois Essais, et qu'il reprend de Mœbius : « Nous sommes tous des hystériques », et qui, au-delà de la résonance militante qui évoque le fameux « Nous sommes tous des juifs allemands » de mai 68, n'est pas sans poser des questions importantes que nous reprendrons par la suite. Il n'en reste pas moins que Freud ne propose nulle part d'exposé clinique sur l'hystérie masculine, le cas restant à tout jamais celui de Dora, dont, comme on le verra, il n'est pas du tout indifférent qu'elle soit femme. Et puis, il y a cet énoncé, dans Inhibition, symptôme et angoisse, où il dit : « Il est certain qu'il y a une affinité sélective entre l'hystérie et la féminité, comme entre la névrose obsessionnelle et la masculinité ». C'est que, depuis les années 90, et depuis Dora, Freud a avancé dans une direction qui l'a conduit, à partir des années 20 surtout, à reconsidérer sa théorie des névroses du point de vue qu'il y a, non pas un seul sexe, mais deux, Inhibition, symptôme et angoisse étant un exemple des conséquences de cette réflexion. Alors, à partir de ces quelques considérations, il est possible d'adopter deux attitudes, la première étant de juger la question sans intérêt, puisque l'expérience confirme que l'hystérie peut être féminine et masculine. On peut constater que c'est l'option prise par exemple par le Manuel d'Henri Ey, qui n'évoque pas la question en tant que telle, et utilise toujours, pour parler de l'hystérique, le il indifférencié. L'autre attitude possible est de continuer à s'interroger sur les raisons de cette « affinité sélective », dont parle Freud, et qu'il serait aussi partial de méconnaître que d'avoir méconnu pendant des siècles l'hystérie chez l'homme. Il me semble par ailleurs impossible de résoudre la question en faisant appel à la notion de « sujet parlant », qui ne ferait que la contourner sans tenir compte d'un point essentiel et dont on rencontre sans cesse les effets dans la clinique, à savoir ce que Freud appelait les « quelques conséquences psychiques de la différence anatomique entre les sexes » et qu'on pourrait aussi nommer le réel, auquel le sujet parlant a à faire. C'est pourquoi je voudrais reprendre le mythe de l'utérus migrateur, né dans la nuit des temps, parce qu'il me paraît une introduction tout à fait adéquate à la question des rapports de l'hystérie et de la féminité, que je développerai ensuite à partir de Dora. Cette théorie a souvent été comparée aux mythes amérindiens de « vagin denté », sans doute à cause de l'appétit supposé aux organes féminins dans les deux cas. Mais cette comparaison me paraît très approximative et faire manquer ce qu'il y a de spécifique dans le mythe hippocratique. En effet, elle méconnaît que l'utérus n'est pas à proprement parler un organe sexuel, du moins pas celui auquel l'homme a à faire. C'est en fait essentiellement la matrice, c'est-à-dire l'organe à l'intérieur duquel se déroule la gestation de l'enfant, et qui donc fait de la femme une mère. Est-ce donc à la recherche de la satisfaction sexuelle que l'utérus est censé se porter au cours de ses pérégrinations, lorsqu'il se met en quête du sperme qui lui fait défaut, ou est-ce, plus logiquement, à la recherche de la matière qui va lui permettre de se remplir? On uploads/Philosophie/ le-sexe-de-l-x27-hysterique 1 .pdf
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- Publié le Aoû 19, 2021
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