Revue des sciences religieuses 81/3 | 2007 Maritain 2006 : entrée au catholicis

Revue des sciences religieuses 81/3 | 2007 Maritain 2006 : entrée au catholicisme Le philosophe et la foi Georges Cottier Édition électronique URL : http://rsr.revues.org/2363 DOI : 10.4000/rsr.2363 ISSN : 2259-0285 Éditeur Faculté de théologie catholique de Strasbourg Édition imprimée Date de publication : 1 juillet 2007 Pagination : 307-321 ISSN : 0035-2217 Référence électronique Georges Cottier, « Le philosophe et la foi », Revue des sciences religieuses [En ligne], 81/3 | 2007, mis en ligne le 01 décembre 2015, consulté le 01 octobre 2016. URL : http://rsr.revues.org/2363 ; DOI : 10.4000/rsr.2363 Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. © RSR LE PHILOSOPHE ET LA FOI 1. L’œuvre de Jacques Maritain couvre une durée particulièrement longue: les Œuvres Complètes contiennent des textes allant de 1906 à 1973, année de la mort du philosophe. Il n’est pas aisé d’établir une périodisation de cette vaste production. Certes celle-ci témoigne d’une créativité qui demeure inentamée jusque dans les dernières années. Et il est vrai aussi que l’éclosion répétée de nouvelles germi- nations a surpris et déconcerté plus d’un disciple. Michel Fourcade a, en ce sens, parlé de «maritanismes» au pluriel. Les séparations dou- loureuses n’ont pas manqué, même sur des thèmes autres que ceux de la philosophie politique. Celle-ci constitue d’ailleurs un chapitre à part, car on ne peut la dissocier de prises de position qui sont de l’ordre de la raison pratique et de diagnostics où l’empathie constitue un prérequis de la compréhension. C’est là un thème sur lequel l’au- teur d’Antimoderne donne l’exemple d’une remarquable capacité d’évolution. Beaucoup ont voulu voir là infidélité et reniement, alors qu’il s’agissait d’approfondissement et d’une attention au temps pré- sent et à l’histoire de la part du philosophe qui avait salué en saint Thomas «l’apôtre des temps modernes». C’est à dessein que je parle d’évolution et non pas de rupture, j’entends de rupture intervenant à l’intérieur de l’œuvre et au cours de sa progressive élaboration. Parce que d’une certaine rupture, nous devrons parler. Mais elle est d’une autre nature. Difficile à établir, la périodisation ne doit pas pour autant être arbitraire. J’ai pensé que je pouvais m’attacher aux ouvrages contenus dans les trois premiers volumes des Œuvres Complètes, à l’exclusion des écrits touchant la crise de l’Action Française, qui ouvrent le cha- pitre de la philosophie politique, laquelle connaîtra des développe- ments considérables. Il s’agit en l’occurrence de Une opinion sur Charles Maurras et le devoir des catholiques (1926) et de Primauté du spirituel (1927). Deux raisons justifient ce choix. La première est que jusqu’à cette date la préoccupation du politique ne semble pas avoir tenu une place significative. Maritain lui-même attribuera sa sympathie pour l’Action Française à l’influence du P. Clérissac, son Revue des sciences religieuses 81 n° 3 (2007), p. 307-321. père spirituel. La seconde raison est que le sujet a déjà été étudié, et fort bien, notamment par Philippe Chenaux1. RUPTURE 2. Rupture à l’intérieur de l’œuvre, non; et cependant rupture, oui : il convient ici de suivre attentivement la chronologie et ce que Jacques et Raïssa eux-mêmes nous rapportent. Les deux jeunes étudiants en philosophie étouffent dans le climat du positivisme et du culte du doute. Les connaissances qu’ils ont accumulées durant trois ans d’études sont «minées à la base par le relativisme des savants, par le scepticisme des philosophes». Dans leur désespoir, ils prennent une décision solennelle. Si leur appel véhément en quête du sens restait sans réponse, ils choisiraient le sui- cide. «Nous voulions mourir par un libre refus s’il était impossible de vivre selon la vérité». La vérité: voilà l’impératif qui déterminera la trajectoire de toute une vie, impératif souverain dont il faut être prêt à suivre jusqu’au bout les injonctions sans admettre aucun compromis avec les faux- fuyants. Les Grandes Amitiés nous disent l’essentiel sur cette période déci- sive2. Durant l’hiver 1901-1902, Péguy emmène ses deux jeunes amis entendre le cours de Bergson au Collège de France. Dans l’atmos- phère positiviste où ils suffoquent, c’est comme une bouffée d’air frais. Ils accueillent avec toute la force de leur passion la nouvelle phi- losophie. Mais ce n’est pas encore la réponse à laquelle ils aspirent. Jacques et Raïssa se marient en 1904. Leur quête se poursuit. C’est ici qu’intervient la découverte de Léon Bloy qui n’est pas un philosophe, mais un grand témoin de la foi. Le 11 juin 1906 ils reçoivent le baptême, en même temps que Véra. Ce qu’ils reçoivent alors, c’est vraiment la lumière de la vérité dans sa plénitude, lumière que Dieu nous communique par sa révéla- tion et par l’Incarnation de son Fils et dont la garde est confiée à l’Église. C’est donc la foi qui leur apporte la vérité si ardemment désirée. Ce point est capital. 1. Ph. CHENAUX, Entre Maurras et Maritain, une génération intellectuelle catho- lique (1920-1930), Paris, Éd. du Cerf, 1999, 262 p. ; «Humanisme intégral» (1936) de Jacques Maritain, Paris, Éd. du Cerf, 2006, 107 p. 2. Voir Les Grandes Amitiés, dans Œuvres Complètes (OC) de Jacques et Raïssa MARITAIN, Fribourg – Paris, Éd. Universitaires – Éd. Saint-Paul, XIV, 1993, p. 619- 1083. GEORGES COTTIER 308 Quelques semaines plus tard, le couple part pour Heidelberg. Jac- ques y étudie les sciences biologiques. Pense-t-il dès ce moment que par fidélité à la vérité reçue il doive renoncer à la philosophie? 3. 1907: Bergson publie L’Évolution créatrice. On voit mal que l’agrégé de philosophie qui a entrepris des études de biologie ne lise pas avec soin cet ouvrage. C’est quelques mois plus tard que la conclusion s’imposera à lui: il doit abandonner le bergsonisme, dont un certain nombre de thèses majeures ne sont pas compatibles avec la vérité de la foi. Cela signi- fiait qu’il devait renoncer à la philosophie. C’est là une véritable rup- ture. Elle est radicale, elle est commandée par la cohérence de la foi, son motif profond est la fidélité à la vérité divine. Il est donc légitime de parler de rupture, mais celle-ci se situe en amont de la philosophie. Par amour de la vérité, Maritain s’est senti en conscience obligé de faire le sacrifice de la philosophie. Il s’agit évidemment de la philosophie telle qu’il l’avait connue, celle du posi- tivisme et du scepticisme des premiers maîtres, contre lesquels il s’était rebellé, puis celle de Bergson, où il avait pensé trouver une réponse à sa soif d’Absolu. Cet épisode, spirituel et intellectuel tout ensemble, permet seul de comprendre la vocation philosophique de Maritain et son style. Les mois qui suivent, en effet, voient naître et mûrir cette voca- tion. Fin 1908, c’est la rencontre avec celui qui deviendra pour Jac- ques et Raïssa un guide spirituel et aussi intellectuel, le P. Clérissac. Ainsi nous voyons bientôt Raïssa entreprendre la lecture de la Somme de théologie de saint Thomas. Jacques s’y plongera à son tour quel- ques mois plus tard, le 15 septembre 1910 exactement. Aussitôt, «il tombe amoureux». La Somme de théologie de saint Thomas est évidemment une œuvre de théologie, mais qui fait appel, pour expliciter les richesses de la vérité révélée, aux ressources de la philosophie et de la métaphy- sique. À son contact, le métaphysicien-né qu’était Maritain prend conscience du sens de sa vocation. Il faut ajouter une considération complémentaire. Le sens du mys- tère de l’Église est un trait saillant de la grâce de conversion de Jac- ques et Raïssa. C’est donc sans résistance, et avec une docilité surna- turelle, que Jacques accueille l’invitation du Magistère à puiser dans cette source de la sagesse chrétienne qu’est l’œuvre de saint Thomas. Avec la quête de la vérité, il y va du tout de l’existence. S’il n’y a pas de vérité, la vie n’a pas de sens et ne mérite pas d’être vécue. Jac- ques et Raïssa se débattent avec cette redoutable question. Ils ont 309 LE PHILOSOPHE ET LA FOI touché au désespoir. L’instinct de la vérité qui les a conduits à la conscience de cette radicalité les pousse à se donner un sursis, qui leur permettra peut-être de trouver la libération. Ce qu’ils rencontrent, avec le don de la foi, c’est la Vérité première dans la communication qu’elle fait d’elle-même et de sa vie dans la révélation. En cette Vérité, ils ont trouvé le salut. Il est remarquable que leurs échecs antérieurs ne les aient pas portés au mépris de la raison et à une sorte de fidéisme. Au contraire, ils ne cessent d’être attentifs à toute vérité que la raison, s’appuyant sur ses propres ressources, peut découvrir par elle-même. L’autonomie relative de la raison naturelle ne peut signifier une émancipation à l’égard de la foi. Au contraire, le philosophe défendra en même temps la spécificité de la philoso- phie et son articulation avec la foi et la théologie. Non pas des vérités sectorielles, mais la vérité intégrale dans le respect des dis- tinctions. La source de l’unité est dans la vérité suprême. Le débat des années 30 sur ce qu’on appelle alors la philosophie chrétienne porte sur l’enjeu capital de l’intégralité de la vérité et, partant, de l’harmonie uploads/Philosophie/ georges-cottier-le-philosophe-et-la-foi.pdf

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