COLLECTION « CRITIQUE» COLLOQUE DE ROYAUMONT NIETZSCHE LES EDITIONS MINUIT © 19

COLLECTION « CRITIQUE» COLLOQUE DE ROYAUMONT NIETZSCHE LES EDITIONS MINUIT © 1967 by FONDATION ROYAUMONT En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire integralement ou partiellement Ie present ouvrage sans autorisation de \' editeur ou du Centre fran~ais d' exploitation du droit de copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris ISBN 2-7073-0297-X AVANT-PROPOS Le VII" colloque philosophique international de Royaumont, c Nietzsche :t, s'est tenu sous la presidence de M. Gueroult, du 4 au 8 j uillet 1964. Nous en presentons les actes, divises en trois parties : I. L'homme et Ie monde, ou la conception nietzscheenne du monde, et de la situation de l'homme dans Ie monde, est par- ticulierement analysee. - II. Confrontations, ou Nietzsche est considere des points de vue de la critique des textes, de la comparaison liUeraire ou artistique, et d'une melhodologie comparee. - III. Experiences et concepts, ou les notions de c valeur :t, de c volonte de puissance " c d'eternel retour, sont analysees dans leur contenu vecu et philosophique. Mal- gre son caract ere arbitraire, ceUe division nous a semble avoir des avantages de clarte. A notre profond regret, nous n'avons pu reproduire la con- ference de M. Goldbeck, sur Nietzsche et la musique. Car toute cette conference renvoyait it l'audition simultanee de me- lodies de Nietzsche, que nous devions it l'obligeance de 1'0. R. T. F., et it la partition de Manfred, que MIle de Sabran et M. Goldbeck avaient bien voulu jouer. Nous ne saurions trop dire combien, dans ce livre, nous regrettons cette lacune. Dans la plupart des cas, les discussions ont etC reproduites. CelIe qui suivit Ia conference de M. Karl Lowith a pu ~tre reconstituee grace it l'obligeance de M. Lowith et des parti- cipants. Nous avons dO. renoncer, dans la seconde partie, it publier certaines discussions que les exigences d'horaire avaient trop vite interrompues. Puisqu'il n'existe pas actuellement d'Mition complHe et critique de base, nous avons laisse sub sister une certaine va- riete dans les referenees, conformement au choix des con fe- renders. C'est pourquoi les textes du Nachlau sont cites de manieres diverses. MM. Colli et Montinari, qui ont bien voulu dire dans ce colloque l'intention et l'etat de leurs travaux, se proposent de publier prochainement une Mition en fin com- plete et exacte de l'reuvre, comprenant l'ensemble des noles suivanl l'ordre ehronoIogique. INTRODUCTION M. GUEROULT annonce l'ouverture du colloque, en Ie pla- ~ant sous Ie signe des Trois Metamorphoses : c comment l'esprit devient chameau, comment Ie chameau devient lion, et comment enfin Ie lion devient enfant :. (1). CeUe triple metamorphose correspond-elle a la psychologie de Nietzsche, a son evolution telle qu'il la pense? Ou a nne histoire de I'humanite, histoire qui commencerait a peine, et s'acheverait dans Ie surhumain ? Ou bien a une structure des experiences et des concepts qui traversent toute la philo sophie de Nietzsche? Sans doute tout cela a la fois. Chaque moment de la metamorphose a des caractcres par- ticuliers, qui doivent etre eonsideres de pres. L'esprit qui de- vient chamean est fort, vigonreux, courageux, patient, respec- tueux. II est a proprement parler c heroique :.. Ses activites sont multiples : de Ia religion a la morale, de Ia morale a Ia connaissance. Mais ce qui est commun a toutes ees activites, c'est de porter. Aussi l'esprit-chameau porte-t-il toutes les va- leurs : les valeurs divines, puis les valeurs hnmaines de la morale, les valeurs de la connaissance elle-meme. Dire oui, pour lui, c'est toujours assumer, se charger. Tel est Ie heros, dont Nietzsche dira qu'il ne sait pas c deteler :. (2). Sa devise est Tu dois - que Ie devoir lui vienne d'un Dieu, d'un maitre ou de lui-meme. Mais I'esprit-chameau, charge de tous ces poids, se hAte vers Ie desert. Ce desert n'est-il pas - au-dela des valeurs divines et humaines - Ia decouverte d'une absence radicale de la valeur? Le moment meme ou Ie dernier homme pousse son cri : c tout est vain! :. Mais a ce point, Ie chameau de- vient lion. Car au lieu de sombrer dans Ie nihilisme du der- nier homme et du desert, il s'en prend au principe mcme dont (1) Zarathonstra, I - cr. aussi un texte moins .. image ., mais tont II rait analogue. ed. Kroner XIII, pp. 59 sq. (2) Zarathoustra, II, • Desbommes sUblimes •. 10 NIETZSCHE les valeurs dependaient, et dont dependait aussi Ie neaqt des valeurs. Au c Tu dois :t, Ie lion oppose un c Je veux :t. Au principe des valeurs, il oppose un tout autre principe, pour des evaluations futures jusqu'alors inconnues. Au Oui du cha- meau, qui consiste a assumer, il oppose un Non triomphant : il pietine tous les fardeaux, meme celui du nihilisme. II est Hbre, il sait deteler. Mais il manque au lion une derni~re metamorphose : Ie devenir-enfant, Ie moment de la transmutation. Car l'enfant fait mieux que de luUer : il a deja oublie, il ne sait pas en- core porter ; il est c innocence et oubli :t. C'est en lui que les evaluations creatrices se substituent non seulement aux valeurs etablies, mais au principe de toute valeur etablie pos- sible. Aussi dCpasse-t-il Ie Non du Lion vers un nouveau Oui - mais ce Oui n'est plus celui du chameau qui porte, c'est celui de l'enfant-joueur qui cree, une affirmation qui se confond avec la Ieg~rete. Nous devons penser au destin final de la philosophie de Nietzsche : ceUe philosophie, avec toute sa puissance de destruction, reste tout enti~re tendue jusqu'au dernier moment vers cet ideal d'affirmation, de joie, presque de beatitude. PREMIERE PARTIE L'HOMME ET LE MONDE SELON NIETZSCHE DE LA B:EATITUDE CHEZ NIETZSCHE HENRI BIRAULT II Y a quelque chose de doublement paradoxal dans Ie chots. de I'idee de beatitude comme introduction possible a la pen- see de Nietzsche. D'une part, en eiTet, Ia beatitude en elle-meme ne se presente jamais comme une introduction, mais comme une conclu- sion, elle n'est pas initiale ou initiante, mais terminale ou concluante. C'est toujours a Ia fin d'un certain itineraire de l'ame (itinerarium mentis) que nous la trouvons, comme la r&. compense, comme la fine fleur ou encore comme Ie beau mi- rage d'un grand travail, d'une Iente maturation, d'une vieille nostalgie. En bonne logique done, on ne devrait pas com- mencer par eUe, on pourrait tout au plus finir avec eUe. Mais, d'autre part, et surtout, (car il s'agit mainlenant non plus de la place de cet expose dans notre coUoque, mais de la legitimite meme de ceUe notion) on peut se demander ee que la beatitude peut bien avoir a faire avec Ia pensee de Nietzsche. Quels sont, en eiTet, les concepts fondamentaux de ceUe phi- losophie? La tradition en distingue trois : Ie Surhomme, l'Eternel Retour, la Volonte de Puissance. Le sens propre, l'or- dre logique (et meme simplement chronologique) de ces trois notions demeurent, aujourd'hui encore, pnssablement obseurs. Mais une chose au moins esl claire, c'est que, parmi ces trois themes essentiels, auelin ne semble tn"oir de rapport direct avec la beatitude. La beatitude, ou plutot, Ie concept que toutes Ies philosophies et toutes les religions du monde nous apportent de la beatitude ne peut ainsi manquer de susciter chez Ie nielzscheen peu averti et aussi chez Ie nietzsche en tres averti des resistances immediates et peut-eire invincibles. Le nietzscheen peu averti oubHe aisement I'EterneI Retour et demande tout de suite comment on pourrait jamais conel- Her I'inevitable quietude de la beatitude avec l'idee de depas- sement sans Hmites qU'evoquent aussi bien Ie Surhomme (c un pont et non un but :., une fleche et non une cible), que ceUe 14 NIETZSCHE Volonte de puissance qui est toujours, elle aussi, volonte de plus de puissance (mehr, plus von Macht). Le nietzscheen tres averti connait bien en revanche Ie earact~re religieux ou c evangelique :. de la doctrine d~ l'Eternel Retour (1). Mais enfin, it se mefie aussi de la beatI- tude car it se souvient que Nietzsche ne veut pas verser du Yin nouveau dans des outres anciennes, il sait que la reli- gion de ceUe religion est formellement differente de c.elle de toutes les autres religions, aussi essentiellement, aUSSl subs- tantiellement differente que Ie gai savoir de la sagesse tra- gique est different en sa forme et en. son. fond de t~utes le~ autres modalites de la sagesse, et Ie CmqUIeme evanglle, celm de Zaralhoustra, des quatrc autres. II sait que la volonte d~ puissance ne debouche pas, ne s'enlise pas dans l'amor fall ou dans la pensee de l'eternel retour pour Y trouver quelque chose comme Ie repos du Septieme Jour. L'Eternel Retour, en effet, est autant, et davant age peut-etre, Ie terminus a quo que Ie terminus ad quem de la volonte de puissa?ce. L'eternel retour est c Ie poids Ie plus lourd :. (das grosste Schwer- gewicht) que seuls peuvent supporter les hommes les plus forts. En ce sens, la volonte de puissance conditionne l'eternel retour. Mais uploads/Philosophie/ gilles-deleuze-nietzsche.pdf

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