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Tous droits réservés © Société de philosophie du Québec, 1978 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 30 oct. 2021 12:29 Philosophiques Qu’ est-ce que cela que nous appelons la vie? Michel Henry Volume 5, numéro 1, avril 1978 URI : https://id.erudit.org/iderudit/203087ar DOI : https://doi.org/10.7202/203087ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Société de philosophie du Québec ISSN 0316-2923 (imprimé) 1492-1391 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Henry, M. (1978). Qu’est-ce que cela que nous appelons la vie? Philosophiques, 5(1), 133–150. https://doi.org/10.7202/203087ar QU'EST-CE QUE CELA QUE NOUS APPELONS LA VIE ? * par Michel Henry La vie est une notion bien vague aux significations multiples puisqu'elle se réfère aussi bien aux phénomènes élémentaires, comme ceux de la nutrition ou de la reproduction, qu'on retrouve chez tous les êtres ayant atteint un degré minimum d'organisation, qu'à l'activité quotidienne des hommes ou enfin à leurs expériences spirituelles les plus hautes. L'« import laudatif » du mot « vie », les prestiges des philosophies romantiques qui exaltent son expansion, ne reposeraient-ils pas simplement sur cette confusion ? À l'idée de vie est liée encore celle de la spontanéité qui dévalorise d'un coup le mécanisme, la logique, la pâle abstraction et la raison elle- même. C'est pour fuir l'irréalité des productions idéales qu'on se replonge dans la vie, qu'elle soit instinctive ou inconsciente, surna- turelle ou mystique. Cependant si une philosophie rigoureuse dressait le compte exact de ces diverses significations, elle retrou- verait sans doute, en chacune d'elles, une même essence mysté- rieuse, visée pour elle-même ou par analogie, celle qui fait que, nous aussi, nous sommes des vivants. Voilà pourquoi lorsque, ouvrant le vieux livre, nous lisons : « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie », lorsque Kierkegaard écrit que « la Vérité, c'est ce pour quoi on voudrait vivre ou mourir », ou lorsque Marx déclare : « Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur vie, mais leur vie qui détermine leur conscience », nous sommes, en dépit des progrès de l'analyse du langage, atteints au fond de nous-mêmes et bouleversés en notre être même. Qu'est-ce donc que cela que nous appelons la vie ? Vivre signifie être. Le concept de vie est brusquement arraché à son indétermination apparente lorsqu'il dessine d'un coup le champ et la tâche d'une ontologie, c'est-à-dire de la philosophie Conférence prononcée à l'Université du Québec à Trois-Rivières le 1er novembre 1977. 134 PHILOSOPHIQUES elle-même. Si donc la vie désigne l'être, le fait d'être, on ne peut plus la confondre avec certains phénomènes spécifiques, ceux par exemple qu'étudie la biologie ou la mystique, phénomènes qui, loin de pouvoir la définir ou l'expliquer, la présupposent au con- traire, au même titre que tout ce qui est. Ce qui fait le caractère concret de la vie et la raison pour laquelle son simple nom nous émeut, n'est-il pas perdu cependant si nous écartons d'elle des dé- terminations telles que la nourriture justement, la sexualité et toutes les activités qui font la substance de cette vie qui est celle de tout le monde et dont tout le monde parle ? Se nourrir, se vêtir, ren- contrer et étreindre l'autre, rien de tout cela assurément n'est étranger à la vie, ce sont ses manifestations premières et irré- cusables. Mais ce que nous avons à comprendre, c'est pourquoi de telles déterminations sont celles de la vie, pourquoi et comment elles sont vivantes et sur le fond en elles de quelle essence. Ce que nous avons à comprendre, c'est ce que veut nous dire Kafka quand il écrit : « Avec chaque bouchée du visible, une invisible bouchée nous est tendue, avec chaque vêtement visible un invisible vête- ment. » * Vivre signifie être. Mais l'être doit être tel, doit être compris de telle façon qu'il signifie identiquement la vie. Or ce qui caracté- rise la philosophie occidentale — de son origine grecque jusqu'à Heidegger y compris, [qu'elle se propose explicitement comme une ontologie ou qu'une ontologie implicite la meuve à son insu] —, c'est qu'elle présuppose en général un concept de l'être qui, loin de recueillir en lui l'essence de la vie, l'exclut au contraire, et cela de façon insurmontable. Voilà pourquoi le concept de vie demeure suspect aux yeux de la philosophie, non point parce que la vie serait quelque chose de vague ou de douteux, elle, la chose la plus cer- taine, mais parce que la philosophie a justement été incapable de la penser. Pourquoi ? Parce que la vie se trouve constituée en son être le plus intime et en son essence la plus propre comme une intério- rité radicale et telle, il est vrai, qu'elle peut à peine être pensée. Ce qui caractérise au contraire l'être occidental et le définit, c'est l'extériorité. Si nous considérons le mur de cette pièce par exemple, nous devons dire que c'est une réalité particulière différente de la table, différente aussi, et plus encore de son être, c'est-à-dire de ce qui fait qu'il est, et qui fait aussi être la table elle-même. Quel est 1. Journal intime, Grasset, Paris, 1945, p. 309. QU'EST-CE QUE CELA QUE NOUS APPELONS LA VIE ? 135 donc cet être du mur, ou de la table ? C'est, nous dit Fichte, en une proposition qui n'est pas seulement la sienne mais contient le destin de la métaphysique occidentale, c'est « son être en dehors de son être »2. L'être du mur ne coïncide donc pas avec le mur lui-même, c'est le mur mais dans la différence infinie qui le sépare à jamais de soi, de telle manière qu'il ne parvient à soi et ne trouve son identité que dans cette différence, dans cette extériorité et par elle. Pourquoi l'extériorité désigne-t-elle l'essence de l'être ? Parce que être veut dire apparaître, se montrer et que le déploiement de l'extériorité forme la substance de l'apparence, la phénoménalité pure de ce qui se phénoménalise, l'apparaître du mur mais d'abord de l'apparaître lui-même, le champ où cet apparaître parvient à l'intuition de soi, le devenir visible de la visibilité, la lumière dans l'effectivité de son acte de luire. L'extériorité est en elle-même le lieu où elle se montre dans un se montrer qui est cet être à l'exté- rieur comme tel. L'extériorité est en soi le pour soi. Que le concept de l'être comme extériorité ne résulte pas de sa simple spatialisation et donc d'une vue immédiate et naïve de la conscience commune, on l'aperçoit à ceci que l'espace lui-même ne se manifeste qu'à l'intérieur d'un horizon transcendantal qui ne désigne rien d'autre que cette sortie originelle de l'être hors de soi et sa première ekstase. Ou encore, comme le dit Kant, l'espace est lui-même dans le temps, compris comme la condition de tous les phénomènes, c'est-à-dire comme leur phénoménalité. Mais qu'est- ce que le temps ? Donnons la parole à Heidegger : « La tempora- lité est l'extériorité originelle en soi et pour soi. »3 Ainsi l'interpré- tation de l'esprit comme temps qui guide la philosophie occidentale depuis Hegel n'est-elle qu'une réaffirmation des présuppositions qui la déterminent à son insu depuis toujours. À ces présuppositions, à cette interprétation de l'être comme extériorité, la philosophie classique n'a-t-elle pas échappé ce- pendant dans la mesure où elle se présente, au moins depuis Des- cartes, comme une philosophie de la conscience ? Avec cette cons- cience qui se propose comme un sujet opposé à l'objet et, de plus, comme un moi, ou comme habitée par un moi, ne sommes-nous pas en présence d'une dimension subjective d'intériorité différente 2. Fichte, Initiation à la vie bienheureuse, trad. M. Touché, Aubier, Paris, 1944, p. 141. 3. Sein und Zeit, Niemeyer, Hall 1941, p. 329. 136 PHILOSOPHIQUES du monde et opposée à lui ? Quand on fait de V ego cogito le point de départ de la philosophie moderne, on oublie de remarquer combien, chez Descartes lui-même, ce moment du cogito est fragile et fugitif. Sur l'appartenance de Vego à cette conscience qui dit je pense, je doute, je désire, je veux et je ne veux pas, la deu- xième Méditation se contente d'affirmer : « Car il est de soi si évident que c'est moi qui doute, qui entends, et qui désire, qu'il n'est pas ici besoin de rien ajouter pour l'expliquer. » L'absence de toute problématique sérieuse concernant l'ipséité de Vego, au moment où cet ego est installé au centre de la perspective à partir de laquelle va se déployer la pensée moderne, explique les incerti- tudes et les errements continuels de celle-ci au sujet de son pré- tendu principe et pourquoi le moi se trouve tour à tour et avec uploads/Philosophie/ qu-x27-est-ce-que-cela-que-nous-appelons-la-vie-michel-henry.pdf
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- Publié le Nov 19, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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