Le temps Gustave Guillaume, la langue et le temps André Sauge Philopsis : Revue

Le temps Gustave Guillaume, la langue et le temps André Sauge Philopsis : Revue numérique http://www.philopsis.fr Les articles publiés sur Philopsis sont protégés par le droit d'auteur. Toute reproduction intégrale ou partielle doit faire l'objet d'une demande d'autorisation auprès des éditeurs et des auteurs. Vous pouvez citer librement cet article en en mentionnant l’auteur et la provenance. Il suffit de parcourir les titres des articles formant le contenu de Langage et science du langage (1964) pour reconnaître l’importance de la réflexion de G. Guillaume sur le « temps » et son statut dans le « langage ». Je me propose, dans ce qui suit, d’abord de m’appuyer sur Guillaume lui-même, pour rendre compte de sa « représentation » du temps, construite, pense-t-il, à partir d’une observation de son expression, essentiellement dans les langues indo-européennes, particulièrement le français ; dans le mouvement de cet exposé, je serai d’emblée conduit à relever ce que cette représentation a de problématique, c’est-à-dire à montrer qu’elle est une construction qui nous renseigne sur la conception guillaumienne du temps et non sur le rôle des langues dans la construction du temps. J’attirerai plus particulièrement l’attention sur l’inadéquation de la définition guillaumienne de l’aspect et du mode dit « subjonctif ». Après cette entreprise de « déconstruction » - ce concept derridien a l’avantage de laisser entendre que le travail critique n’est pas un travail de démolition, mais est préalable à une reconstruction par simple redistribution d’un matériau sur lequel le critique n’a d’autre prise que celle de la mise en évidence de ses caractéristiques – il me faudra proposer une analyse des langues telle qu’elle rende compte de leurs constituants immédiats – bien plus primitifs que les constituants immédiats syntaxiques de la grammaire générative ; c’est à partir de ces constituants immédiats qu’il nous sera possible d’examiner de quelle façon les langues intègrent la dimension du temps et l’analysent. A – Exposé critique de la théorie Quelle est l’affirmation principielle de Guillaume, celle que l’on retrouve dès Temps et verbe. Théorie des aspects, des modes et des temps (1929)1 ? Le psychisme 1 Parmi les ouvrages publiés du vivant de Guillaume, L’architectonique du temps dans les langues classiques est de 1945 ; la subjectivité guillaumienne de la représentation du temps apparaît particulièrement dans cet ouvrage. Que le futur latin soit ascendant (aille du présent vers l’avenir) tandis que le futur grec est construit une « représentation » du temps, construction qui est opérante en toute expression langagière : toute chronothèse (position de temps, présent, par exemple, etc.) suppose une chronogénèse, soit une opération mentale qui construit d’abord l’aspect, puis le mode, enfin le présent avec ses chronotypes, futur et passé. Je laisse la parole au linguiste (In Leçons de linguistique de Gustave Guillaume 1948-1949. Structure sémiologique et structure psychique de la langue française I, leçons publiées par Roch Valin)2. « Dans ce travail délicat de reconstruction du système psychique à partir de la donnée sémiologique, une part importante appartient au raisonnement, et, osons le dire — c’est nécessaire —, à une spéculation hardie qui, finalement, éclaire les faits apparents par la connaissance des faits secrets profonds, et les faits secrets profonds par celle, de plus en plus claire, des faits apparents. Dans le cas du système verbo-temporel français, et plus généralement dans le cas de n’importe quel système verbo-temporel, l’opération spéculative de départ, indispensable, est de poser l’existence d’une opération de pensée qui est celle, dans l’esprit, de la formation instantanée — il ne s’agit pas de formation historique — de l’image-temps. Cette opération de pensée extrêmement brève sera, aux fins d’analyse, représentée par une ligne de force vectrice. Et simultanément il sera fait application du principe selon lequel la pensée, ayant à prendre connaissance de ce qui se passe en elle, recourt à un moyen, le seul à sa disposition, qui est de prendre, par le travers, des coupes de sa propre activité. C’est en partant de ce principe de portée universelle — et plus déterminé par la réflexion que par l’observation (et donc d’origine surtout spéculative) — que l’on a réussi à reconstituer, dans ses grandes lignes de structure, la systématique verbo-temporelle du français. L’opération de pensée formatrice du temps est la chronogénèse. Elle se développe et progresse sur un axe vecteur longitudinal, et de ce qui se passe sur cet axe — c’est-à-dire de la chronogénèse elle-même — la pensée prend connaissance par des coupes transversales interceptives successivement portées. Le résultat de chaque coupe est une chronothèse montrant par profil ce que la chronogénèse a entièrement édifié en elle. Chaque chronothèse a pour indice de sa position en chronogénèse un mode, et le mode signifié se recompose de temps portant la même caractéristique modale. Chaque chronothèse apparaît ainsi être et devoir être — car ici la nécessité s’accorde avec la réalité, les deux ne faisant qu’un — un système de temps sous même caractéristique modale. La caractéristique modale sert à dater le système des temps dans la chronogénèse. Ainsi, en chronogénèse française, trois chronothèses, trois systèmes de temps sous caractéristique modale se succèdent : le système nominal comprenant, comme temps, l’infinitif, le participe en -ant et le participe passé ; le système subjonctif, comprenant, comme temps, le présent et l’imparfait du subjonctif ; le système indicatif, comprenant, comme temps, en premier lieu le présent, et corrélativement, par extension latérale du côté du passé, le prétérit défini et l’imparfait, et, du côté du futur, le futur proprement dit et le conditionnel, lequel est en français un temps du mode indicatif. Le futur proprement dit est le plus souvent désigné par nous futur catégorique, et le conditionnel futur hypothétique, terminologie dont on aura soin ultérieurement de faire ressortir le bien-fondé. Par l’effet des coupes transversales successivement portées en vue de l’intercepter à des moments différents d’elle-même, la chronogénèse apparaît être perspectivement un échelonnement de réalisations modales de temps, réalisations d’autant mieux achevées que l’on s’est avancé davantage en chronogénèse. Ceci explique que le système des temps descendant (vienne de l’avenir vers le présent), c’est, me semble-t-il, une pure vue de l’esprit, dépendant, qui plus est, de ce cliché selon lequel, pour les Grecs anciens, le destin était tout puissant. 2 Mon choix aurait pu porter sur les articles publiés dans Langage et science du langage (1964), « La représentation du temps dans la langue française » (1951), p. 184 sqq. ; « La représentation du temps dans la langue française » (suite), (1951), p. 193 sqq. ; pour la distinction des chronotypes, « De la double action séparative du présent dans la représentation française du temps » (1951), p. 208-219. gagne en complétude au fur et à mesure que l’on progresse en chronogénèse, et qu’il soit au maximum avec le mode indicatif, dernier en <position> et dernier en chronogénèse. […] La chronogénèse est essentiellement une opération de pensée selon laquelle on part de l’infinitude du temps, exempte de toute ordination, <pour aller > à une division intérieure, à une infinitude du temps ordonnée relativement à une finitude intervenue, inter- polée, portée à la plus grande étroitesse possible. Cette finitude est le présent, dont à propos du verbe aller on a déjà indiqué la composition, faite de deux chronotypes, α et ω, respectivement représentatifs de la parcelle de futur et de la parcelle de passé retenues, en énexie, dans le présent, dans la finitude étroite que le présent constitue. Ainsi, dès l’instant qu’on considère, comme il se doit, la chronogénèse pour ce qu’elle est intérieurement, par mécanisme opératif, on est conduit à voir en elle une progression allant de l’infinitude totale du temps, exempte de toute finitude intériorisée, à une vision d’infinitude du temps, ordonnée relativement à une finitude intériorisée : c’est-à- dire, pour ce qui est du mécanisme opératif, une marche à l’étroit, au plus étroit possible, interpolé dans le plus large — le plus étroit possible en question étant le présent porté, comme séparateur, dans l’infinitude du temps » (pp. 88-90). 1 - Aspect : théorie guillaumienne ; critique de la théorie Quelque part Guillaume précise, à propos du « système nominal comprenant, comme temps, l’infinitif, le participe en -ant et le participe passé » : « La distinction de la forme simple et de la forme composée, et même parfois surcomposée du verbe (avoir eu marché), est une distinction non pas de temps, mais d’aspect, et c’est à tort que les grammairiens, pour la plupart, la font entrer, ce qui embrouille les choses, dans le système des temps » (in Langage et science du langage, p. 189). Guillaume a d’abord développé cette théorie de l’aspect dans Temps et verbe, chapitre II, « La réalisation de l’image verbale dans les temps in posse. Théorie des aspects et des modes nominaux » (dans la réédition du texte en 1965, p. 15-27). À ce moment-là, il expliquait l’infinitif (« marcher ») sous l’aspect de la « tension » (le sujet se représente le procès dans son déploiement, comme « tendu » vers un arrêt « à venir »), de la « tension-détension » (« marchant » uploads/Philosophie/ gustave-guillaume-la-langue-et-le-temps.pdf

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