Héraclite et Les Éléates PREMIERE PARTIE LES PRESOCRATIQUES Chapitre III Héracl

Héraclite et Les Éléates PREMIERE PARTIE LES PRESOCRATIQUES Chapitre III Héraclite Les Éléates Note du traducteur : Dans le livre originel (je suis la quatrième édition, de mai 2000), Héraclite apparaît à la fin du premier chapitre, avec les Ioniens. Si je me suis per- mis de le déplacer à ce chapitre, c’est pour garder l’ordre prévu par le programme. 4. Héraclite La naissance d’Héraclite doit être située vers la moitié du VIème siècle avant le Christ et la fin de sa vie vers l’an 480. Il était originaire d’Éphèse et de famille aristocratique. Il est le dernier des philosophes ioniens qui est resté chez lui. Les témoignages qui nous sont parvenus sur sa personne nous présentent un philosophe au caractère arrogant, orgueilleux, qui méprise tout les autres hommes à cause de leur incapacité de comprendre les vérités qu’il enseigne ; pour les mêmes raisons, il juge avec sévérité les doctrines des anciens poètes et des autres philosophes. A partir de ces traits, soulignés consciencieusement par ses biographes plus anciens, nous pouvons reconstituer la figure d’Héraclite comme celle d’un philosophe bien conscient de la nouveauté et de la grandeur de sa doctrine, dont les conséquences pratiques ont fait de lui en personnage choquant et incompris. Sa philosophie est exposée dans un ouvrage intitulé Sur la nature, dont un bon nombre de fragments ont été conservés. Cependant, l’abondance des textes dispo- nibles ne dissipe pas le caractère cryptique et presque oraculaire de ses affirmations, qui lui ont fait gagner dès l’ancienneté le surnom « l’Obscur ». C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles Platon et Aristote ne lui accordent que très peu d’attention et ne mettent pas d’intérêt à essayer de décrypter sa pensée, en réduisant sa philosophie à un mobilisme exagéré qui est devenu depuis lors sa caractéristique particulière et presque exclusive. Le mobilisme La mobilité de toutes les choses (panta rei, tout change) est affirmée aussi bien dans certains des fragments les plus connus d’Héraclite que par des témoi- gnages postérieurs : Tu ne peux pas descendre deux fois dans les mêmes fleuves, car de nouvelles eaux coulent toujours sur toi. Héraclite, fragment 12 Ils auront peut-être pensé, avec Héraclite, que tout passe et que rien n'est stable. Platon, Cratyle C’est sur ce point que se manifeste en premier lieu la nouveauté d’Héraclite par rapport aux Milésiens. Le problème du mouvement est présent aussi bien chez Héraclite que chez ses prédécesseurs, mais pour ceux-ci le problème ne se pose que de façon impli- cite, tandis qu’Héraclite le propose comme un sujet a se et comme point de départ de sa doctrine. Les Milésiens, en cherchant un premier principe, ils voulaient unifier la multiplicité, expliquer la diversité et le changement ; c’était la réalité du mouvement qui en définitive les poussait à la recherche de l’arjé. La nouveauté de la doc- trine d’Héraclite consiste précisément en se focaliser sur la mobilité, en souligner le dynamisme essentiel de tout le réel ; tout change, les choses changent, nous chan- geons, seul le devenir demeure, et c’est en cela qu’il faut trouver la réalité des choses, leur essence. C’est celui-ci l’aspect le plus célèbre de la doctrine d’Héraclite ; mais ce n’est pas l’aboutissement de sa doctrine : c’en est plutôt son départ. L’harmonie des opposés Héraclite expliquait le changement continuel qui est présent partout comme une alternance incessante des contraires. Déjà Anaximandre avait fait intervenir les contraires pour expliquer le devenir naturel des choses. Mais pour Héraclite les opposés n’expliquent pas le passage d’une substance à une autre, mais l’essence même de chaque chose. C’est précisément l’opposition permanente des contraires qui constitue le fondement de la stabilité, de la réalité des choses : Guerre est le père de toutes choses, roi de toutes choses : de quelques-uns il a fait des dieux, de quelques-uns des hommes ; de quelques-uns des esclaves, de quelques-uns des libres Héraclite, fragment 53 Nous devons savoir que la guerre est commune à tous, et que la lutte est justice, et que toutes choses naissent et périssent (?) par la lutte. Héraclite, fragment 80 Platon et Aristote ont exagéré le dynamisme d’Héraclite, sans comprendre qu’il a une limite, que les choses ont une réalité, une stabilité fondée, il est vrai, sur l’opposition permanente des contraires, sur la tension permanente entre eux : Les hommes ne savent pas comment ce qui varie est d’accord avec soi. Il y a une harmonie de tensions opposées, comme celle de l’arc et de la lyre. Héraclite, fragment 51 La guerre est le préalable de la stabilité, de la paix, de l’harmonie que chaque réalité présente, en masquant sa véritable nature/ La nature aime à se cacher. Héraclite, fragment 123 Pour Héraclite donc le seul monde vrai est le monde des opposés, dans lequel les contraires s’exigent mutuellement : C’est la maladie qui rend la santé agréable; mal, bien ; la faim, satiété ; la fatigue, repos. Héraclite, fragment 111 Les contraires, en s’opposant, s’harmonisent, s’unifient jusqu’à coïncider ou, tout au moins, jusqu’à éliminer leur distinction absolue : C’est la même chose en nous, ce qui est vivant et ce qui est mort, ce qui est éveillé ou ce qui dort, ce qui est jeune ou ce qui est vieux; les premiers sont changés de place et deviennent les derniers, et les derniers, à leur tour, sont changés de place et deviennent les premiers. Héraclite, fragment 88 De même que chaque réalité renferme une synthèse de contraires, l’ensemble de toutes les réalités est aussi compris par Héraclite comme une unité, une har- monie universelle qui unifie et embrasse toute multiplicité : Il est sage d’écouter, non pas moi, mais mon verbe, et de confesser que toutes choses sont un. Héraclite, fragment 50 Et cette harmonie est Dieu, le divin : Le dieu est jour et nuit, hiver et été, guerre et paix, surabondance et famine ; mais il prend des formes variées, tout de même que le feu, quand il est mélangé d’aro- mates, est nommé suivant le parfum de chacun d’eux. Héraclite, fragment 67 Le feu comme premier principe L’une des caractéristiques de l’interprétation moderne d’Héraclite est de souligner le problème des opposés, le caractère dialectique de sa philosophie. Les an- ciennes écoles nous avaient transmis une doctrine du mouvement qui faisait d’Héraclite un physicien de plus, plutôt qu’un logicien. Probablement les deux positions sont unilatérales. Bien que l’on puisse reconnaître chez Héraclite une certaine modernité, on ne peut pas nier son intérêt pour la question physique, la continuité étroite qui existe entre sa pensée et celle des Milésiens, qui se manifeste dans la détermination qu’il fait du feu comme premier principe : Ce monde qui est le même pour tous, aucun des dieux ou des hommes ne l’a fait ; mais il a toujours été, il est et sera toujours un feu éternellement vivant, qui s’al- lume avec mesure et s’éteint avec mesure. Héraclite, fragment 30 Toutes choses sont un échange contre du feu et le feu pour toutes choses, de même que les marchandises pour l’or, et l’or pour les marchandises. Héraclite, fragment 90 Le motif pour lequel Héraclite désigne le feu comme principe matériel de toutes les choses semble clair si l’on pense à ses caractéristiques, qui expriment mieux que celles de n’importe quelle autre substance la mobilité continuelle et l’harmonie qui pour Héraclite sont présentes dans toute la réalité. Ce feu premier, de même que l’eau de Thalès ou l’air d’Anaximène, change et prend les formes les plus diverses ; toutes les choses procèdent de lui et il de- meure en elles comme le substrat inaltérable : Les transformations du feu sont, en premier lieu, mer ; et la moitié de la mer est terre, la moitié vent tourbillonnant. Héraclite, fragment 31 Cependant, les interprètes ne sont pas tous d’accord pour considérer le feu d’Héraclite comme une substance matérielle. Quelques-uns pensent qu’il s’agirait plutôt d’une image ; mais s’il en était ainsi, il serait difficile de comprendre sa cosmologie. Ce même principe est appelé par Héraclite logos ou verbe, la règle selon laquelle toutes les choses sont faites, la loi commune à toutes les choses : Ce verbe, qui est vrai, est toujours incompris des hommes, soit avant qu’ils ne l’entendent, soit alors qu’ils l’entendent pour la première fois. Quoique toutes choses se fassent suivant ce verbe, ils ne semblent avoir aucune expérience de paroles et de faits tels que je les expose, distinguant leur nature et disant comme ils sont. Mais les autres hommes ne s’aperçoivent pas plus de ce qu’ils font étant éveillés, qu’ils ne se souviennent de ce qu’ils ont fait en dormant. Héraclite, fragment 1 En interprétant le feu comme un élément matériel, il est difficile de comprendre qu’Héraclite puisse l’identifier au logos ou loi universelle. On doit tenir compte cependant que ce qui peut nous paraître aujourd’hui contradictoire pourrait ne pas l’être pour celui qui, comme Héraclite, ne possédait pas les catégories de matériel et immatériel. Connaître le logos suppose pour Héraclite connaître la vérité : La sagesse est une seule et uploads/Philosophie/ he-raclite-et-les-e-le-ates-philosophie-ancienne.pdf

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