114e année – no3 mai 2004 Une interview de Jean-Pierre Serre, Martin Raussen et
114e année – no3 mai 2004 Une interview de Jean-Pierre Serre, Martin Raussen et Christian Skau Le problème de Tarski, algèbre et logique, Francois Charles Algorithme de réduction des matrices dans les anneaux principaux, J.-M. Arnaudiès et Pierre Delezoide Des formes bilinéaires en combinatoire, Pierre Bornsztein et Xavier Caruso 6980: Agrégation Interne, Première épreuve 6981: Agrégation Interne, Deuxième épreuve 6984: CAPES de mathématiques, Mathématiques I 6985: École Polytechnique, Épreuve commune d’informatique, énoncé 6985: École Polytechnique, Épreuve commune d’informatique Épreuves orales des concours: corrigés Questions et réponses Du côté des élèves de Terminale S, énoncé Concours général des lycées, énoncé Bibliographie [Table des matières] Une interview de Jean-Pierre Serre par Martin Raussen et Christian Skau Sociétés norvégienne et danoise de mathématiques Le 3 juin 2003, Jean-Pierre Serre a reçu des mains du roi Harald de Norvège le premier Prix Abel, destiné à récompenser d’éminents mathématiciens et, à travers eux, à attirer l’attention – en particulier des jeunes – sur les mathématiques. La Newsletter de l’European Mathematical Society de septembre 2003 consacre plusieurs pages à cet événement et publie une interview en anglais de Jean-Pierre Serre. Nous proposons à nos lecteurs une traduction1 de cet entretien, réalisé le 2 juin 2003 à Oslo par Martin Raussen et Christian Skau sous l’égide des sociétés norvégienne et danoise de mathématiques, qui l’ont publié dans leurs Newsletters. De très nombreux autres périodiques ont commenté la nomination de Jean-Pierre Serre. Pour rester dans la langue française, on trouvera dans SMP (périodique d’informations générales scientifiques publié par le CNRS) un article très agréable de Maurice Mashaal. Topologie Martin Raussen et Christian Skau — Tout d’abord, permettez-nous de vous féliciter d’être le premier lauréat du prix Abel. Vous avez commencé votre carrière par une thèse consacrée à la topologie algébrique. C’était à l’époque, en France tout au moins, une discipline très neuve, et pas l’une des plus répandues. Pourquoi avoir choisi ce sujet ? Jean-Pierre Serre — Je participais alors au séminaire Cartan de topologie algébrique. Mais Cartan ne proposait pas de sujet de recherche à ses étudiants : ils devaient s’en choisir un, après quoi il les aidait. C’est ce qui m’est arrivé. Je me suis aperçu que la théorie de Leray (sur les fibrés et leurs suites spectrales) pouvait s’appliquer à bien plus de situations qu’on ne le pensait et que, convenablement étendue, elle pourrait être utilisée pour calculer des groupes d’homotopie. M. R. et C. S. — Je crois que l’on peut à juste titre affirmer que les méthodes et les résultats de votre thèse ont révolutionné l’homotopie et lui ont donné sa forme moderne. J.-P. S. — Ils ont certainement ouvert de nombreuses voies. Avant cette thèse, les groupes d’homotopie des sphères étaient presque complètement terra incognita ; on ne savait même pas qu’ils étaient de type fini ! Un aspect intéressant de la méthode que j’ai introduite était son caractère algébrique. En particulier, elle permettait des calculs locaux, au sens de la localisation en théorie des nombres, relativement à un nombre premier fixé. M. R. et C. S. — J’ai entendu dire que l’un des points cruciaux dans cette affaire était de définir quelque chose qui ressemblait à un fibré sans en être un exactement. J.-P. S. — Il est vrai que, pour appliquer la théorie de Leray, j’ai eu besoin de construire des espaces fibrés qui ne répondaient pas à la définition standard. De façon plus précise, j’avais besoin d’associer à chaque espace X un espace E fibré sur X dont l’homotopie soit triviale (par exemple un espace contractile). Mais comment ? Une nuit de 1950, dans le train, au retour de nos grandes vacances, j’ai vu la solution en un éclair : on prend pour E l’espace des chemins de X, d’origine fixée, la projection étant alors l’application d’évaluation qui à un chemin associe son extrémité. La fibre n’est autre que l’espace des lacets. Sans aucun doute, c’était bien ça ! J’en ai réveillé ma femme pour lui en parler. . .(Bien entendu, il me restait à montrer que la projection en question méritait d’être appelée fibration, et que l’on pouvait lui appliquer la théorie de Leray. Un travail technique, certes, mais pas si facile.) Il est étrange qu’une construction si simple ait eu tant de conséquences. Thèmes et syle de travail M. R. et C. S. — Cette histoire d’illumination soudaine rappelle celle rapportée par Hadamard dans son petit livre La psychologie de l’invention en mathématiques, qui raconte comment Poincaré a eu une révélation brutale en montant dans le tramway. Êtes-vous enclin à privilégier l’inspiration, le travail systématique, ou un mélange des deux ? J.-P. S. — Il y a des sujets auxquels je reviens périodiquement (les représentations l-adiques, par exemple), mais pas systématiquement. J’y vais au flair. Quant aux éclairs que décrit Hadamard, c’est tout juste si j’en ai vécu deux ou trois en cinquante ans. Des moments merveilleux. . .mais bien trop rares ! M. R. et C. S. — De tels éclairs surviennent, j’imagine, après de longs efforts ? J.-P. S. — Efforts, non. Il s’agit plutôt d’une longue maturation et d’un travail inconscient, comme l’explique si bien le joli livre de Littlewood, A Mathematician’s Miscellany. M. R. et C. S. — À la suite de votre période topologique, vous vous êtes essentiellement consacré à la théorie des nombres et à la géométrie algébrique. J.-P. S. — Vous savez, on pourrait croire que je travaille dans des domaines très variés, mais ces domaines sont en fait liés. Je n’ai pas l’impression de changer. Par exemple, en théorie des nombres, en théorie des groupes aussi bien qu’en géométrie algébrique, j’utilise des notions topologiques, telles que la cohomologie, les faisceaux et les obstructions. Ainsi, j’ai pris grand plaisir à travailler sur les représentations l-adiques et les formes modulaires : on doit utiliser la théorie des nombres, la géométrie algébrique, les groupes de Lie réels et l-adiques, les q-séries de la combinatoire. Un mélange merveilleux. M. R. et C. S. — Votre façon de penser est-elle de nature plutôt géométrique, plutôt algébrique, ou bien les deux à la fois ? J.-P. S. — Plutôt algébrique, mais je comprends mieux le langage géométrique que le langage algébrique : entre un groupe de Lie et une bigèbre, je choisis le groupe de Lie ! Pourtant, je ne me considère pas comme un vrai géomètre, comme Bott et Gromov. J’aime aussi beaucoup l’analyse, mais je ne peux pas non plus prétendre être un véritable analyste. Le vrai analyste voit au premier regard ce qui est grand, petit, probablement petit et démontrablement petit (ce qui n’est pas la même chose). Cette vision intuitive me fait défaut, et j’ai besoin d’écrire noir sur blanc des inégalités explicites. M. R. et C. S. — Au cours de votre longue carrière, vous avez travaillé sur un grand nombre de sujets différents. Parmi les théories que vous avez créées et les résultats que vous avez obtenus, lesquels vous tiennent le plus à cœur ? J.-P. S. — Une question délicate ! Demanderiez-vous à une mère lequel de ses enfants elle préfère ? Je peux simplement dire que certains de mes articles furent très faciles à écrire et d’autres réellement difficiles. L’article FAC, sur les faisceaux algébriques cohérents, appartient à la première catégorie. Quand je l’ai écrit, j’ai eu l’impression de copier un texte qui existait déjà ; cela ne m’a demandé pratiquement aucun effort. En revanche, je me rappelle un article sur les sous-groupes ouverts des groupes profinis, qui m’a donné tellement de mal que, jusqu’au bout, je n’arrivais pas à savoir si je démontrais le théorème ou si je contruisais un contre-exemple ! Autre cas d’article difficile : celui dédié à Manin, dans lequel j’énonçais des conjectures très précises (et très téméraires) sur les représentations galoisiennes modulaires (modulo p) ; celui-là fut même si éprouvant que, lorsque je l’eus terminé, je m’arrêtai de publier pour plusieurs années. Du côté plaisir, il me faut mentionner un article dédié à Borel, sur les produits tensoriels de représentations en caractéristique p. J’ai toujours beaucoup aimé la théorie des groupes, et j’y ai même démontré quelques théorèmes. Mais ce résultat sur les produits tensoriels, obtenu quand j’approchais soixante-dix ans, fut le premier qui m’ait véritablement donné du plaisir. J’ai eu le sentiment que la théorie des groupes, après quarante ans de cour assidue, consentait à me faire une bise. M. R. et C. S. — Comme mathématicien, vous êtes resté en première ligne pendant plus de cinquante ans. Hardy a fait cette remarque, souvent reprise, que les mathématiques sont un jeu de jeune homme. N’est-ce pas complètement faux ? N’êtes-vous pas le contre- exemple parfait ? J.-P. S. — Pas complètement : avez-vous remarqué que le Prix Abel fait principalement référence à des travaux effectués avant mes trente ans ? Il est cependant certain que les gens de ma génération (Atiyah, Borel2 , Bott, Shimura, etc.) continuent à travailler plus longtemps que ceux de la génération précédente (avec de remarquables exceptions, comme Elie Cartan, Siegel, Zariski). J’espère que cette évolution va uploads/Philosophie/ rms114-3.pdf
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- Publié le Fev 21, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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