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HAL Id: halshs-02412451 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02412451 Submitted on 15 Dec 2019 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Le statut des normes grammaticales dans l’enseignement de l’arabe ou comment les enseignants transmettent une vision hagio-mythologique de l’arabe Catherine Pinon To cite this version: Catherine Pinon. Le statut des normes grammaticales dans l’enseignement de l’arabe ou comment les enseignants transmettent une vision hagio-mythologique de l’arabe. Savants, amants, poètes et fous. Séances offertes à Katia Zakharia., 2019. ￿halshs-02412451￿ Le statut des normes grammaticales dans l’enseignement de l’arabe ou comment les enseignants transmettent une vision hagio‑mythologique de l’arabe Catherine Pinon « Pour que, peut-être, une nouvelle génération d’enseignants, plus attentive à son public, moins empêtrée dans la crainte de faillir en délaissant une part de la boule de neige, parvienne à faire aboutir ce que nous avons rêvé pour une langue que nous parlons et une culture que nous avons en partage 1. » Katia Zakharia Comme toute langue, l’arabe souffre de préjugés. Dans le cas de l’enseignement de l’arabe comme langue vivante étrangère en France, ces préjugés peuvent revêtir différentes formes : de la part des apprenants francophones, l’image d’une langue difficile à apprendre ; de la part des apprenants arabophones et/ou musulmans 2, celle d’une langue sacrée et inaccessible ; de la part des enseignants, parfois, celle 1. Zakharia 2015, p. 35. 2. Nous comprendrons plus bas pourquoi il est important de faire cette distinction entre apprenants ayant un lien avec la langue, qu’il soit culturel ou religieux, et ceux qui n’en ont a priori aucun. Rappelons simplement que tous les arabophones ne sont pas musulmans et que, parmi les élèves qui apprennent l’arabe pour des raisons religieuses, tous ne sont pas arabophones (c’est le cas des berbérophones, des turcophones, des iranophones, etc.). savants, amants, poètes et fous 334 d’une langue difficile à enseigner ; pour l’avis de beaucoup, fonctionnaires de l’Éducation nationale ou simples citoyens, celle d’une langue dérangeante dont l’enseignement serait injustifié, voire inutile 3. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de clarifier mon point de vue, celui d’une enseignante agrégée d’arabe, chercheur en linguistique et en didactique, ardente défenseur de l’enseignement de l’arabe, langue étrangère vivante méritant, ni plus ni moins que les autres, d’être offerte à la connaissance des élèves et étudiants de France et d’Europe, avec un enseignement de qualité. Or, l’enseignement de l’arabe en France pose objectivement problème, quel que soit le point de vue que l’on adopte à son sujet. D’un idéal fantasmé où l’arabe serait l’égal des autres langues au sein du système scolaire français à la réalité du terrain, le gouffre est énorme et la tâche bien rude pour qui défend son enseignement. Il faut reconnaître qu’ils sont nombreux, ceux qui ne comprennent pas que l’arabe soit enseigné en France, car cet enseignement reste en réalité largement lié aux communautés d’origine maghrébine. Dans le secondaire, les élèves sans attache géographique ou culturelle avec le monde arabe sont assez rares. Quand ils souhaitent apprendre l’arabe, s’ils ont l’appui de leur famille, ils se heurtent régulièrement aux problèmes de “carte scolaire” : l’arabe n’est proposé que dans un nombre réduit d’établissements souvent intégrés au programme REP (réseau d’éducation prioritaire), dont la réputation est moins bonne que d’autres 4. Je ne reviendrai pas ici sur la question du public d’apprenants dans le secondaire en France, ni sur les conditions réelles de l’enseignement de l’arabe comme langue vivante étrangère au sein de l’Éducation nationale 5. Je m’intéresserai à la langue 3. Cet article développe une communication intitulée « Les normes grammaticales et l’enseignement de la grammaire ou pourquoi croit-on que l’arabe est une langue particulière », présentée lors du Forum du groupement d’intérêts scientifiques « Moyen-Orient et mondes musulmans » qui s’est tenu à l’ENS de Lyon les 3 et 4 novembre 2016. Il avait pour objet « enseigner les mondes musulmans. Langues, histoires, sociétés ». 4. Restons honnête : oui, il existe des établissements d’excellence qui proposent l’arabe, ainsi que des filières internationales, mais ils sont très peu nombreux à l’échelle de l’Hexagone. Le problème de la « ghettoïsation » des établissements est bien réel, tout comme celui des options linguistiques « blanches », qui permettent d’obtenir un établissement grâce à une option que l’élève n’a en réalité pas l’intention de suivre. Militant auprès du proviseur d’un lycée de Lyon où l’arabe n’était proposé qu’en LV2, avec 100 % d’élèves arabes primo- arrivants ou français d’origine arabe, pour qu’il ouvre une option LV3 qui aurait permis d’amener un peu de mixité, j’ai essuyé une fin de non-recevoir très claire : « vous comprenez, ouvrir l’arabe en LV3 attirerait une certaine partie de la population qui en ferait fuir une autre », m’a-t-il dit. 5. Sur l’état de l’enseignement de l’arabe en France, voir entre autres Falip et Deslandes 1989, Le statut des normes grammaticales de l’arabe 335 arabe en elle‑même, et plus particulièrement à l’enseignement de sa grammaire, en partant du constat que l’arabe a la réputation d’être une langue difficile 6. En tant que linguiste et didacticienne, je ne partage pas ce point de vue. Pourtant, en tant qu’enseignante d’arabe qui se donne pour objectif d’amener ses étudiants à comprendre l’arabe, à progresser dans cette langue et tout simplement à aimer l’apprendre, je dois avouer que l’arabe est une langue difficile à enseigner. Du côté des élèves, on observe bien souvent un rejet de la langue plus ou moins assumé et une motivation qui disparaît rapidement. Mais pour comprendre ce qui rend l’enseignement de l’arabe si délicat, au-delà du contexte sociétal, il est aussi nécessaire d’observer la manière dont la grammaire arabe est enseignée : on s’aperçoit alors que, parfois, les enseignants véhiculent eux aussi une certaine idée de sacralité de la langue. L’arabe semble baigner dans un flou idéologique, mythologique et identitaire que peu de professeurs ont à cœur de clarifier et qui contribue à desservir l’enseignement de l’arabe 7. Si l’on se focalise sur le contenu des grammaires arabes et des cours de langue, on constate que les enseignants d’arabe hésitent parfois entre véhiculer la tradition grammaticale purement et simplement et enseigner la langue contemporaine avec ses ambiguïtés, ses variations. Qu’est-ce qui peut alors l’aider à se positionner, à se faire une idée moins “passionnelle” et fantasmée de la langue ? Les enseignants d’arabe eux-mêmes contribueraient-ils à transmettre une vision hagio-mythologique de l’arabe par le biais de la grammaire ? Je propose d’exposer ici les différentes raisons qui font de la grammaire arabe un objet de convergence et de cristallisation de fantasmes divers, qu’elles soient socio-historiques, religieuses, mythologiques ou même idéolinguistiques 8. Nous verrons ensuite quelle distanciation l’enseignant devrait opérer par rapport à ces Deheuvels et Dichy 2008 et les actes du centenaire de l’agrégation d’arabe publié par le Ministère de l’Éducation nationale 2008, Cheikh 2010, Jegham 2013. Pour le supérieur, se referrer au Livre blanc du GIS Moyen-Orient et mondes musulmans (2014). Sur les questions sociolinguistiques liées à l’image de la langue chez les élèves d’origine maghrébine et sur la ghettoïsation de l’enseignement de l’arabe en France, voir les travaux de Billiez et alii 2001, 2002, 2012, Barontini 2008 et 2013, Filhon 2009, Varro 1992 et 1999 ainsi que Caubet 2003. Sur les difficultés d’apprentissage de l’arabe dans le secondaire, en rapport avec la charge émotionnelle liée à la langue arabe, voir Pinon 2013. 6. La langue dont il est question ici est l’arabe littéral. 7. Pour une vue synthétique et complète de la question, voir Miller (2009) : « L’arabe : le poids du passé plombe-t-il les espoirs de l’avenir ? », qui conclut en suggérant que « c’est très certainement une forme d’enseignement trop tourné vers un héritage mythique et des méthodes d’apprentissage sclérosées qui détournent de nombreux jeunes arabophones de la langue arabe standard normée associée à des discours officiels figés et “une langue de bois” gouvernementale ». 8. Larcher 2008. savants, amants, poètes et fous 336 représentations et comment il peut concrètement la mettre en place en classe de langue. La construction d’un concept mythique, la « langue arabe » Commençons par brosser le portrait de ce concept qu’est la langue arabe en expliquant l’origine de chaque doxa qui lui est attachée. Étudier ces représentations collectives et les replacer dans leur contexte d’apparition nous aidera à exercer un recul critique sur la transmission, consciente ou inconsciente, desdites représentations en classe de langue 9. Doxa théologique : l’arabe est une langue sacrée et pure L’arabe, une langue révélée par Dieu ? Chez les grammairiens arabes, un débat sur la nature de la langue arabe voit le jour aux alentours de la fin du ive uploads/Philosophie/ ifpo-presses-pifd-295-pinon-12-pinon-copie.pdf

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