Busserl et Fichte : Remarques sur l'apport de l'idealisme dans le developpement

Busserl et Fichte : Remarques sur l'apport de l'idealisme dans le developpement de la phenomenologie* DENIS FISElTE Universite du Quebec Cl Montreal ABSTRACT: At first, I introduce two different paths, which lead from Husserl's phenomenology to classical German philosophy : a. Psychologism: from Kant to the Logical Investigations through Fries, Beneke and Herbart; b. Idealism, from Fichte to Husserl's late conception ofphilosophy as transcendental idealism). Then, I argue, in the first section, that Husserl's transcendental turn after the Logical Investigations could be understood as a kind of idealism, deriving from Fichte. The next part deals mainly with phenomenology's double meaning : as philosophia perennis and as intentional psychology. First Philosophy as understood by Husserl is twofold: as Wissenschaftslehre (a science ofallpossible sciences) and as justification. I argue that phenomenology's main contributions to philosophy lie in the concepts of justijication and evidence and that intentional psychology plays an important role in that context, methodological as weil as conceptual. 4. The final section is a discussion of what Husserl calls in the Krisis the "paradox ofhuman subjectivity", i.e. the relation between transcendental and empirical ego. The paper concludes with two remarks on foundationalism and intuition. RESUME: ]'introduis, dans un premier temps, deux voies differentes qui menent de La phenomenologie husserlienne a la philosophie allemande classique: le psychologisme (de Kant aux Recherehes logiques), en passant par Fries, Beneke et Herbart; et l'idealisme (de Fichte a la conception tardive, chez Husserl, de la philosophie en tant qu ·idealisme transcendantal). Je soutiens, en premiere section, que le toumant transcendantal de Husserl apres les Recherehes logiques pourrait etre compris en tant qu ·idealisme, tributaire de Fichte. La seconde partie porte principalement sur la double signijication de la phenomenologie: comme philosophia perennis et comme psychologie intentionnelle. Husserl entend la philosophie premiere de deux fafons: en tant que Wissenschaftslehre (une science de toutes les sciences possibles) et en tant que justification. Je soutiens que la contribution principale de la phenomenologie se trouve dans les concepts de justification et d'evidence. La psychologie intentionnelle joue un role capital dans ce contexte, tant au niveau methodologique que conceptueL. La troisieme section represente une discussion de ce que Husserl appelle le «paradoxe de la subjectivite humaine» dans la Krisis, c'est-a-dire la relation entre l'ego transcendantal et empirique. Je conclus par deux remarques sur le fqndationalisme et 1'intuition. L'usage consacre du terme «phenomenoJogie » renvoie ace mouvement de pensee qui s'est inspire de Ja philosophie de Husserl. Mais iJ suffit de remonter en amont du « mouvement phenomenoJogique »et de Ja philosophie Symposium, 111, 2 (1999), 185-207 186 Symposium husserlienne pour constater que ce concept n'est pas le monopole de cette seule ecole, qu'il n'est pas exclusif a ce reseau de references constitue par ceux qui revendiquent une certaine appartenance a ce mouvement. On a qu' a penser au mot de Kant dans sa lettre a Marcus Herz qui annon~ait deja une phenomenologie, designant ainsi ce qui allait devenir, quelques annees plus tard, la Critique de La raison pure; Karl Reinhold I'a egalement introduit pour designer I'etude de la conscience et Hegel, dans son ouvrage de 1807, La phenomenoLogie de L'esprit, pour designer cette « science de I'experience de la conscience ». On peut certes se demander si, par dela I'usage d'une meme notion, nous avons affaire ici au meme concept. Paradoxalement, bien que la phenomenologie soit devenue un titre general, voire un mot d'ordre, qui a rallie une bonne partie de la philosophie au vingtieme siecle, Husserl ne I'a jamais clairement defini, pas plus d' ailleurs que le concept de philosophie qui lui est associe. Voila donc une difficulte cruciale pour I'interpretation de sa pensee et un probleme quasi insunnontable lorsqu'il s'agit de la comparer a celle d'un Fichte.. De plus, le rapport entre la phenomenologie et la philosophie teIle que la con~oit Husserl est a sens unique comme le montre le developpement de sa phenomenologie. La philosophie, dans son developpement historique, tendrait en effet vers une phenomenologie, mais celle-ci demeurerait relativement autonome face a la philosophie et a la metaphysique classique comme en temoignent clairement les Recherehes Logiques et le jeune mouvement qui s'en est inspire. A ce probleme, s'ajoute le caractere singulier du Husserl historien, sa lecture de Fichte et du kantisme etant parfois guidee par une conception de I'histoire de la philosophie que I'on pourrait qualifier d'idiosyncrasique dans la mesure Oll elle tend a faire, tantat de Descartes, tantat de Kant ou de Fichte, des « precurseurs de la phenomenologie transcendantale ». C'est ce qui explique la tendance a privilegier le « motif transcendantal » qui s' annonce a travers ces grandes figures de la modernite sur le caractere propre de leur philosophie. Une troisieme difficulte est due au fait que les references ala philosophie de Fichte sont souvent aBusives et qu'elles interviennent plus souvent qu' autrement dans le contexte d' une discussion de la philosophie de Kant. De plus, sa connaissance de I'reuvre de Fichte repose pour I'essentiel sur ses ecrits populaires, bien qu'une connaissance indirecte de la Doctrine de La science via Cohn et surtout E. Lask, I'etudiant de Rickert, est a considerer1• Ce qui ne diminue en rien I'interet de Husserl pour la philosophie fichteenne comme en temoignent les cours et conferences prononcees entre 1903 et 1918, de meme que les references plus tardives, notamment dans la Krisis. Plusieurs themes sont associes au nom de Fichte dans I'reuvre de Husserl et plusieurs ont deja fait I'objet de commentaires2• Un des themes fondamentaux associes au nom de Fichte, un theme qui, a notre connaissance, n'ajamais ete Husserl et Fichte 187 exploite dans la litterature, est celui du rapport entre la philosophie transcendantale et la psychologie, theme qui est intimement lie au fameux paradoxe de la subjectivite humaine dans la Krisis. C'est par ce biais que nous voudrions examiner la question du fondement de la philosophie transcendantale chez Husserl et Fichte. Le theme psychologique peut choquer dans le present contexte. Car n'a-t- on pas appris a lire la phenomenologie husserlienne et surtout la philosophie allemande classique en refusant a la psychologie, qu'elle soit comprise comme Geistes- ou Naturwissenschaft, toute pertinence pour les questions premieres de la philosophie ? TeIle n'est pas I'attitude de Husserl face a la psychologie qui est exemplaire ici a plus d'un titre. En effet, aux deux versions de la phenomenologie que I'on retrouve dans I'reuvre de Husserl, soit celle des Recherches Logiques Oll elle est comprise comme psychologie descriptive, et la version transcendantale qui s'impose des apres lapublication des Recherches Logiques, correspondent rigoureusement a deux tendances inspirees de Kant, l'idealisme et ce que Erdmann a appele le « psychologisme »pour designer I'interpretation psychologique du criticisme. A. ces deux versions de la phenomenologie correspondent deux chemins qui menent au kantisme : le premier passe precisement par la psychologie et il va de Reinhold a la phenomenologie des Recherches Logiques, en passant bien sur par Fries, Beneke et Herbart. Le deuxieme, la voie royale si I'on en croit les commentateurs qui se sont penches sur notre theme, passe par I'idealisme et il va directement de Fichte a la philosophie transcendantale qui domine la pensee de Husserl apres les Recherches logiques. Or, a en juger par les remarques de Husserl dans l'ensemble de son reuvre sur Kant et Fichte, le theme psychologique est aussi important pour la phenomenologie que l'est l'idealisme pour la philosophie transcendantale. C'est que dans ses derniers ouvrages, Husserl reserve une place de choix ace qu'il appelle la psychologie intentionnelle dans I'ensemble de la phenomenologie et plusieurs objections dirigees contre Fichte et Kant en dependent directement. C'est pourquoi nous arpenterons rapidement la voie psychologique, nous contentant ici d' indications generales, pour ensuite emprunter la voie qui conduit a I'idealisme. Poser la question psychologique, c'est en quelque sorte ouvrir une bOlte de Pandore, que ce soit pour la majorite des partisans du kantisme ou pour les lecteurs patentes de la phenomenologie de Husserl. Plusieurs controverses dans l'interpretation contemporaine de la philosophie de Kant, notamment celle qui oppose ceux qui font de la Critique de La raison pure une contribution a la psychologie contemporaine et ceux qui resistent en contestant l'importance du theme psychologique chez Kant. Ce n'est pas le lieu d'entrer dans ce debae. Neanmoins, il ne faut pas sous-estimer l'interet soutenu de Kant pour la psychologie et ce, en depit de ses jugements severes a I'endroit de la psychologie rationnelle et surtout de la psychologie 188 Symposium empirique qu'il reduisait au rang de pseudo-science4• On ne peut pas non plus ignorer que Kant, en depit de sa critique repetee de la psychologie, a mis en place les parametres generaux qui ont rendu possible la naissance de la psychologie scientifique, la psychologie experimentale de Fechner et surtout de Wundt, et a travers celle-ci de la psychologie teIle que nous la connaissons aujourd'hui. Cela n'est pas une mince contribution lorsqu'on sait I'importance qu'elle a acquise au vingtieme siecle! Mais ce chapitre de l'histoire commence avec Karl Reinhold, le premier, semble-t-il, a avoir fait du theme psychologique chez Kant un probleme, lui qui a denonce l'usage non uploads/Philosophie/ husserl-et-fichte.pdf

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