LE RAISONNEMENT PAR L’ABSURDE UNE ÉTUDE DIDACTIQUE POUR LE LYCÉE Dominique BERN
LE RAISONNEMENT PAR L’ABSURDE UNE ÉTUDE DIDACTIQUE POUR LE LYCÉE Dominique BERNARD IREM de Lyon Denis GARDES IREM de Dijon Marie-Line GARDES Institut des Sciences Cognitives, Université de Lyon Denise GRENIER Institut Fourier, Université Grenoble-Alpes Résumé : Le raisonnement par l’absurde (reductio ad absurdum) a de multiples intérêts, tant pour son efficacité — voire sa nécessité — dans certaines démonstrations que pour son apport dans la compréhension d’une preuve. Il semble mal connu ou peu travaillé dans l’enseignement, parfois confondu par les élèves et étudiants avec le raisonnement par contraposition, ou considéré comme incompatible avec un raisonnement par récurrence. Dans cet article, après avoir caractérisé le raisonnement par l’absurde, nous proposons une classification de ses différents aspects et domaines d’application, et quelques éléments d’épistémologie permettant d’aider à une mise en œuvre judicieuse dans l’enseignement. Nous donnons ensuite les résultats de notre étude de plusieurs collections de manuels de lycée — définitions, exemples et exercices d’application proposés — et l’analyse de leur pertinence. Enfin, nous proposons quelques problèmes pour une meilleure compréhension et utilisation de ce type de raisonnement en classe. Mots-clés : raisonnement par l’absurde, contraposition, logique, démonstration, analyse de manuels. Abstract : Reasoning by contradiction (reductio ad absurdum) has multiple interests, for its effectiveness — and even its necessity — in certain proofs, as well as for its contribution to their understanding. It seems to be hardly known or even set aside in teaching, sometimes confused by students with reasoning by contraposition, or considered incompatible with reasoning by induction. In this article, after defining reasoning by contradiction, we propose a classification of its various aspects and fields of application, and some elements of epistemology to promote a judicious implementation in teaching. Then, we present the results of our study of several series of high school textbooks — through the proposed definitions, examples, applications and exercises — and an analysis of their relevance. Finally, we propose some problems for a better understanding and use of this type of reasoning in class. Keywords : reductio ad absurdum, contraposition, logic, proof, analysis of school books. Introduction Cet article ne reprend pas les notions de base de la logique des propositions, pour lesquelles de nombreux travaux épistémologiques et didactiques ont été publiés (Durand-Guerrier, 2005 ; Fabert & Grenier, 2011 ; Grenier, 2012 ; Mesnil, 2014). Un numéro spécial de la revue Petit x a été consacré à la logique et au raisonnement mathématique, à destination des enseignants et des formateurs (Hérault et al., Gardes et al., Murphy et al., in Petit x, 2016). Ces notions sont inscrites dans les programmes des trois années de lycée en France depuis 2009, en particulier les principaux « types » de raisonnement, le modus ponens (direct) et modus tollens (par Petit x - n° 108, 2018 - pp. 5 à 40 5 contraposition), pour démontrer des propositions écrites sous forme d’implications, ainsi que les raisonnements par condition nécessaire/suffisante ou par l’absurde. Le raisonnement par l’absurde permet d’étudier aussi bien des propositions élémentaires (c’est-à- dire non décomposables en plusieurs propositions), que des propositions composées, construites avec les connecteurs « et », « ou », « implique », etc. Il a été beaucoup utilisé par les mathématiciens grecs. On peut citer plusieurs démonstrations1 de l’irrationalité de !2 mettant en jeu des concepts arithmétiques ou géométriques différents, mais qui sont toutes basées sur une reductio ad absurdum ; ou encore, la démonstration d’Euclide que l’ensemble des nombres premiers est infini. À ce jour, ces démonstrations sont toujours considérées comme efficaces et convaincantes. Nous les décrivons ci-après. Pour certains mathématiciens et philosophes, il est toujours possible d’éviter ce type de raisonnement, il pourrait être remplacé par un raisonnement direct (Gardies, 1991 ; Lombardi, 1997) en tout cas pour toute proposition qui n’implique pas l’infini (Arnauld & Nicole, 1992). Cependant, le raisonnement par l’absurde peut parfois simplifier de manière significative une démonstration, ou la rendre plus convaincante parce qu’il consiste à confronter une hypothèse qui va se révéler fausse avec la conséquence de cette hypothèse — une proposition fausse — (voir par exemple Lombard (1996), ou un texte de Bkouche disponible en ligne)2. Cet aspect du raisonnement par l’absurde peut jouer un rôle non négligeable sur le sens et la compréhension de la proposition étudiée. Nous sommes convaincus que ce type de raisonnement a de multiples intérêts, tant pour son efficacité dans certaines démonstrations que pour son apport dans la compréhension d’une proposition. L’objectif de cet article est d’apporter quelques éléments épistémologiques et didactiques pour redonner à ce type de raisonnement une vraie place en tant qu’outil de démonstration et objet d’apprentissage de la logique. Après avoir défini le raisonnement par l’absurde, nous proposons une classification de ses différents aspects et domaines d’application. Nous donnons ensuite les résultats de notre analyse de plusieurs collections de manuels de lycée (définitions, exemples et exercices d’application). Enfin, nous proposons quelques problèmes pouvant apporter une meilleure compréhension de ce raisonnement en classe. Partie I. Le raisonnement par l’absurde, un outil de la logique classique 1. Définition, caractérisations et exemples 1.1. Définition Le raisonnement par l’absurde est une forme de raisonnement mathématique qui consiste à démontrer la vérité d’une proposition A3 en prouvant que sa négation entraîne la vérité d’une proposition que l’on sait fausse, ou en contradiction avec l’hypothèse que (non A) est vraie. Ce raisonnement en logique classique repose sur deux principes : • Le principe de tiers exclu : pour toute proposition A, ( Aounon A) est vraie — autrement dit, A est vraie, ou (non A) est vraie. Le tiers exclu ne dit pas que le « ou » est exclusif. 1 Nous n’avons pas distingué dans cet article les termes « preuve » et « démonstration » (Balacheff, 1987). 2 http://michel.delord.free.fr/rb/rb-absurd.pdf (consulté le 21 avril 2019). 3 La proposition A peut être une proposition élémentaire ou une proposition composée, par exemple une implication ou une conjonction de plusieurs propositions. Petit x - n° 108, 2018 6 • Le principe de non-contradiction : pour toute proposition A, ( Aet non A) est fausse — autrement dit, A ne peut pas être à la fois vraie et fausse. La conséquence de ces deux principes est que toute proposition mathématique est soit vraie soit fausse. Ainsi, comme on a Avraie "(non A) fausse, démontrer par l’absurde que A est vraie, c’est démontrer que (non A) est fausse en exhibant une proposition C telle que : (1) [(non A)"C ] vraie et C fausse ou encore [(non A)"C ]et(nonC ) (2) [(non A)"(C et (nonC))] vraie ou encore [(non A)"(C et (nonC))] Précisons que quelle que soit la proposition C, [C et(nonC )] est une proposition fausse par le principe de non-contradiction. D’après les règles de l’implication logique représentées par la « table de vérité » ci-après, si l’implication est vraie et le conséquent faux alors nécessairement la prémisse est fausse. De plus, les deux dernières colonnes sont identiques, ce qui établit l’équivalence : ( A" B)#[(non A)ou B ]. On en déduit : non(A" B)# Aet (nonB). A B non A non B A ou B A et B A" B non A ou B V V F F V V V V V F F V V F F F F V V F V F V V F F V V F F V V Rappelons que pour toute proposition universellement quantifiée $ x , A(x), sa négation est une proposition existentielle % x ,non A(x). Dans le cas d’une implication $ x , A(x)"B(x), sa négation n’est pas une implication et s’écrit % x , A(x)et non B(x). 1.2. Cas où la proposition est élémentaire Le raisonnement « par l’absurde » s’applique bien sur certaines propriétés relativement simples qui ne font pas intervenir les quantificateurs ou l’implication. En voici trois exemples. Bien sûr, d’autres types de démonstration sont possibles, il peut être intéressant de les confronter du point de vue de la compréhension du résultat démontré. Exemple 1 • Proposition Le nombre 0 n’a pas d’inverse dans &. • Démonstration On suppose que 0 a un inverse dans &. On le note a. Par définition de l’inverse, 0'a=1. Or pour tout réel x, 0'x=0. On en déduit que 0=1. Ce qui est faux. On en déduit que 0 n’a pas d’inverse dans &. On a le schéma (1) avec la proposition A : « zéro n’a pas d’inverse dans & » et la proposition C : « 0=1 », qui est fausse. Exemple 2 • Proposition Il existe une infinité de nombres premiers. • Démonstration Petit x - n° 108, 2018 7 On suppose qu’il existe un nombre fini de nombres premiers. Notons p1, p2,... , pn ces nombres, n() *. Considérons l’entier N =p1' p2'...'pn+1. Par définition, N *2, donc il admet un diviseur premier appartenant à l’ensemble { p1, p2,..., pn}. Soit pi ce diviseur premier, 1+i+n. Alors, pi divise N et pi divise p1' p2'...' pn. Donc pi divise leur différence, égale à 1, On en conclut que pi=1, proposition fausse car 1 n’est pas un nombre premier. L’hypothèse uploads/Philosophie/ igr18018.pdf
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- Publié le Aoû 20, 2022
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