8 | 2012 Insulte, violence verbale, argumentation Insulte, disqualification, pe
8 | 2012 Insulte, violence verbale, argumentation Insulte, disqualification, persuasion et tropes communicationnels : à qui l’insulte profite-t-elle ? Insult, Disqualification, Persuasion and “Communicational Trope”: Who would benefit from insults? Diane Vincent et Geneviève Bernard Barbeau https://doi.org/10.4000/aad.1252 Résumé | Index | Plan | Texte | Bibliographie | Annexe | Notes | Illustrations | Citation | Cité par | Auteurs Résumés FRANÇAIS ENGLISH Partant d’une acception très large de l’argumentation, nous nous intéressons ici au lien entre insulte et persuasion afin de repenser la relation persuadeur / persuadé sous l’éclairage de celle d’insulteur / insulté. Cette conception fondamentalement interactionniste place au centre de l’analyse l’objet de persuasion et la (possibilité de) satisfaction de l’acte, ainsi que toute la mise en scène, le décor et le public qui assiste à la représentation (pour reprendre la métaphore théâtrale de Goffman), sans négliger la dimension émotive de l’insulte. Insistant sur la dimension argumentative de l’insulte, nous tentons de montrer, à partir d’extraits de sites Internet d’évaluation de professionnels, que toute disqualification devant un tiers a comme visée de le persuader d’adhérer à la thèse implicite de la validité de la qualification péjorative, ce qui se manifeste, sur le plan perlocutoire, de deux manières : persuader de haïr (faire adhérer à la disqualification d’autrui) et persuader d’agir (faire poser une action conséquente avec l’adhésion à la disqualification d’autrui). Haut de page Entrées d’index Mots-clés: argumentation, émotion, évaluation de professionnels sur Internet, insulte Keywords: argumentation, emotion, insult, review site Haut de page Plan 1. Insulte et argumentation 1.1 Insulte, argumentation et émotion 1.2 Insulte, disqualification et persuasion 2. Les sites d’évaluation de professionnels 2.1 Les disqualifications adressées au disqualifié 2.2 Les disqualifications adressées aux tiers 2.3 Persuader d’agir, persuader de haïr 3. Conclusion Haut de page Texte intégral PDFSignaler ce document 1Pour plusieurs, l’insulte, comme le coup de poing, c’est l’absence d’arguments : impuissant devant un adversaire, l’individu n’a plus que cette ressource comme réponse. Or, cette vision extrême de l’insulte ne tient compte que d’une faible part de la réalité, celle où l’insulte marque à la fois la capitulation devant l’adversaire et le coup final qu’on tente de lui porter. Dans les faits, l’insulte permet à l’énonciateur de poser un jugement négatif sur autrui ou sur ses actions. Partant d’une acception très large de l’argumentation, nous nous intéressons ici au lien entre insulte et persuasion afin de repenser la relation persuadeur / persuadé sous l’éclairage de celle d’insulteur / insulté. Cette conception fondamentalement interactionniste place au centre de l’analyse l’objet de persuasion et la (possibilité de) satisfaction de l’acte, ainsi que toute la mise en scène, le décor et le public qui assiste à la représentation (pour reprendre la métaphore théâtrale de Goffman), sans négliger la dimension fondamentalement émotive de l’insulte. 2Sous l’influence de la rhétorique aristotélicienne, l’argumentation a traditionnellement été définie comme l’art de persuader ou de convaincre, c’est-à-dire d’amener autrui à adopter un certain comportement ou à adhérer à un certain point de vue. Dans cette perspective classique, seuls les discours dont l’intention de persuader était explicite, cette dernière étant perceptible dès l’émergence d’un raisonnement formel, étaient considérés comme argumentatifs. De tous les courants qui ont façonné le discours sur l’argumentation, ceux qui s’inscrivent dans l’interactionnisme (à partir de Bakhtine notamment) sont certainement ceux qui ont ébranlé le plus fortement cette conception de l’argumentation. 3En effet, les théories classiques de l’argumentation sont spécifiquement mises à l’épreuve : a) lorsque le discours ne respecte pas les composantes définitoires du genre (thèse – argumentation – conclusion), mais qu’il possède malgré tout une dimension persuasive – les actes indirects et les implicites sont au moins aussi redoutables que les raisonnements formels ; b) lorsqu’il offre un raisonnement argumentatif classique, mais qu’il ne peut avoir cette visée, soit parce que le récepteur est déjà convaincu, soit parce qu’on sait qu’il ne le sera jamais. Force est de constater que les stratégies de persuasion sont similaires, que des individus de même allégeance discutant politique accumulent des arguments qui font consensus ou que des individus d’allégeances différentes les étalent sans présumer sincèrement qu’ils pourront convaincre l’autre de la supériorité de leur argumentation. C’est sans doute la raison pour laquelle Amossy (2006 [2000] : 37) conçoit l’argumentation très largement, comme étant constituée « des moyens verbaux qu’une instance de locution met en œuvre pour agir sur ses allocutaires en tentant de les faire adhérer à une thèse, de modifier ou de renforcer les représentations et les opinions qu’elle leur prête, ou simplement de susciter leur réflexion sur un problème donné ». 4Dans la même veine, et de façon encore plus large, plusieurs chercheurs considèrent l’argumentation comme une manière de faire voir le réel, où l’individu s’affiche comme ayant des convictions et comme participant à un monde cohérent : « Even in the face of the vague, indescribable, open, fluid and ever changing nature of human life, language can work ‘to make it appear as if’ it is well ordered and structured » (Shotter 1993 : 122). 5L’insulte est une manière de faire voir le réel, à travers des normes sociales, des valeurs et des croyances qui auraient été transgressées par l’insulté, selon l’insulteur, et c’est dans cette perspective que nous l’envisageons. Après avoir précisé le cadre dans lequel nous situons la portée persuasive de l’insulte et de certains phénomènes apparentés, nous analyserons des données provenant de sites d’évaluation de professionnels, qui offrent parfois un regard dévastateur sur autrui. 1. Insulte et argumentation 6Nous envisageons le lien entre l’insulte et l’argumentation dans une perspective où cette dernière ne consiste parfois qu’en « une simple tentative de donner à voir un pan de réel ; il [le locuteur] ne désire pas prouver, et parfois même s’en défend. Il ne peut manquer, cependant, d’orienter le regard et de conférer au paysage qu’il prend comme thème une coloration ou un sens particuliers » (Amossy 2006 [2000] : 34). Ainsi, le rapport entre des acteurs impliqués dans l’acte de persuader et l’insulte sous-tendra notre travail, considérant qu’il n’est pas toujours aisé de savoir vers quoi ou vers qui le locuteur cherche à orienter le regard d’autrui en énonçant une insulte. Autrement dit, dans cette formule A persuade B de (y) 7nous postulons que l’acte de persuader ne serait que partiellement interprété si l’on faisait l’économie des conditions de son énonciation. L’interprétation serait aussi parcellaire si était négligée la dimension fondamentalement émotive de l’insulte, car, comme le soulignait Aristote (1991 : 83-84), la persuasion d’autrui repose non seulement sur le discours lui-même, mais également sur le caractère moral de l’orateur et sur les sentiments, ou la disposition, de l’auditoire à son égard. Autrement dit, « il importe de toucher aussi bien que de convaincre si l’on veut emporter l’adhésion et modeler les comportements » (Amossy 2006 [2000]: 10). 1.1 Insulte, argumentation et émotion 1 Nous n’avons pas comme objectif ici de préciser la nature de cette émotion « contre ». 8L’insulte est, par essence, un « énoncé d’émotion » (Plantin 1997 ; Doury 2000) puisque, dans sa formulation même, un élément nominal ou nominalisé, souvent exclamatif (voir Lagorgette 2004), est l’expression d’un cri du cœur. De plus, la nominalisation et le contexte d’énonciation donnent une information à la fois sur les causes (le déclencheur de l’émotion) et sur les conséquences de la disqualification d’autrui (l’effet perlocutoire). Ainsi, en tant que véhicule d’une émotion « contre », donc d’une émotion articulée à un jugement négatif sur autrui – qu’il s’agisse de désapprobation, de rejet, de dégoût, d’indignation1 –, l’insulte entretient une relation biunivoque avec l’argumentation : l’argumentation de l’émotion et l’émotion dans l’argumentation (Plantin 1997 : 82), car on peut « justifier une émotion par l’existence d’un état de choses, tout comme on peut, par exemple, arguer d’une émotion pour justifier une action ». 9En outre, l’insulte est un révélateur des normes sociales, où « l’utilisateur estime avoir été outragé, personnellement ou dans les normes du groupe qu’il utilise comme référence au moment de l’échange » (Lagorgette & Larrivée 2004 : 6). C’est donc à une transgression face à des attentes qui reposent sur des normes, des croyances et des valeurs que l’insulte répond, et ce, parfois avec excès (Fisher 2004), ce qui accentue sa composante émotive. 10Par ailleurs, parce qu’il y a énoncé d’émotion, l’insulte est aussi un acte de présentation de soi, voire de performed self (Goffman 1959 : 252) : l’insulte laisse voir l’insulteur comme un être qui affiche ses émotions (être outragé, être prompt à réagir, être agressif), mais, surtout, qui détient certains pouvoirs ou droits, notamment ceux de critiquer (de reconnaître les normes et de dénoncer les transgressions) et de recommander (dire de ne plus faire, dire de réparer, etc.), donc de se placer en position haute, comme nous le préciserons plus loin. Autant de lieux qui mettent en péril l’image de l’insulteur que de lieux d’acquisition d’un certain prestige si son pouvoir n’est pas contesté. 1.2 Insulte, disqualification 2 et persuasion 2 Nous utilisons le terme de disqualification pour englober des phénomènes différents, mais qui conv (...) 11L’insulte est un acte uploads/Philosophie/ insulte-disqualification-persuasion-et-tropes-communicationnels.pdf
Documents similaires
-
22
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Apv 24, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2885MB