1 L’esthétique au XVIIIe siècle entre théorie de la perception et callistique T
1 L’esthétique au XVIIIe siècle entre théorie de la perception et callistique Travail d’Histoire des Idées Présenté par Daniele Gaio D. E. S. E. – Doctorat d’Etudes Supérieures Européennes XXVe cycle – L’Esthétique de la nature Alma Mater Studiorum – Università degli studi di Bologna 2 Introduction La première page de l’Esthétique de Hegel (sous le titre de Délimitation et place de l’Esthétique) commence par cette affirmation : «Avec ce terme nous excluons immédiatement le beau naturel». Dans ses cours, en effet, Hegel propose de concentrer sa réflexion sur la beauté artistique en tant qu’elle est «générée et régénérée par l’esprit». Par conséquent, objet de l’esthétique est «le vaste royaume du beau et, plus de près, […] l’art, ou mieux, le bel art». Ayant ce but, donc, Hegel ne peut pas ne remarquer que le terme «Esthétique» est inadéquat puisqu’il «indique plus exactement la science du goût, du sentir, et, dans cette signification d’une science nouvelle […], il a eu son origine dans l’école wolffienne, au moment où, en Allemagne, on considérait les œuvres d’art en relation aux sentiments qu’elles devaient produire». Étant donné que la science qu’il entend considère non pas le beau en général, mais purement le beau de l’art, Hegel remarque que même le terme «Callistique», proposé par certains, est insuffisant ; enfin, il conclut son introduction en affirmant que «le véritable terme pour notre science est «philosophie de l’art», et plus spécifiquement «philosophie du bel art»1. Cette définition est très utile comme point de départ de ce travail puisqu’elle nomme explicitement plusieurs problèmes qui seront abordés dans les pages suivantes. Avant tout, l’allusion à l’école wolffienne nous révèle quelle est la signification, du point de vue étymologique, du terme «esthétique», comme il est conçu par Baumgarten au moment où il crée ce terme en 1735. Ensuite, la délimitation proposée par Hegel (le bel art) manifeste deux des limites parmi lesquelles se situe l’esthétique au XVIIIe siècle, c’est-à-dire le beau et l’art. Enfin, chez Hegel il y a l’exclusion du territoire de l’esthétique d’un champ sur lequel la pensée européenne n’a pas cessé de réfléchir : «nous excluons immédiatement le beau naturel…». 1 G. W. F. Hegel, Vorlesungen uber die Ästhetik, Stuttgart, F. Frommann, 1964, p. 1: «Durch diesen Ausdruck nun schließen wir sogleich das Naturschöne aus. [...] Denn die Kunstschönheit ist die aus dem Geiste geborene und wiedergeborene Schönheit. [...] Diese Vorlesungen sind der Ästhetik gewidmet; ihr Gegenstand ist das weite Reich des Schönen, und näher ist die Kunst, und zwar die schöne Kunst ihr Gebiet. Für diesen Gegenstand freilich ist der Name Ästhetik eigentlich nicht ganz passend, denn „ Ästhetik“ bezeichnet genauer die Wissenschaft des Sinnes, des Empfindens, und hat in diese Bedeutung als eine neue Wissenschaft oder vielmehr als etwas, das erst eine philosophische Disziplin werden sollte, in der Wollfischen Schule zu der Zeit ihren Ursprung erhalten, als man in Deutschland die Kunstwerke mit Rücksicht auf die Empfindungen des Angenehmen, der Bewunderung, der Furcht, des Mitleidens usf. Um des Unpassenden oder eigentlicher um des Oberflächlichen dieses Namens willen hat man denn auch andere, z. B. den Namen Kallistik, zu Bilden versucht. Doch auch dieser zeigt sich als ungenügend, denn die Wissenschaft, die gemeint ist, betrachtet nicht das Schöne überhaupt, sondern rein das Schöne der Kunst. Wir wollen es deshalb bei dem Namen Ästhetik bewenden lassen, weil er als bloßer Name für uns gleichgültig und außerdem einstweilen so in die gemeine Sprache übergegangen ist, dass er als Name kann beibehalten werden. Der eigentliche Ausdruck jedoch für unsere Wissenschaft ist „Philosophie der Kunst“ und bestimmter „ Philosophie der schönen Kunst“». Pour améliorer la fluidité de lecture, on a traduit les citations des sources primaires directement dans le texte et on a indiqué la version originale aux notes au bas de la page. 3 L’objet de ce travail est celui d’explorer les tendances qui ont contribuées à la naissance de l’esthétique moderne, naissance qui a eu lieu au XVIIIe siècle et qui s’est caractérisée aussitôt pour la pluralité des thèmes qui ont été l’objet de la réflexion philosophique. Il faut pourtant dire que non seulement la réflexion philosophique est à la base de la naissance de cette nouvelle discipline, mais qu’elle se développe à partir des influences du siècle précédent, notamment la discussion autour de la querelle des Anciens et de Modernes et le développement des anciennes disciplines, comme la poétique et la rhétorique, qui au XVIIe siècle atteignent un bon niveau de systématisation théorique. À travers une approche « par problèmes », je tracerai les parcours qui ont contribués à la définition du champ de l’esthétique au cours du XVIIIe siècle. On verra que ces parcours sont strictement liés aux différentes traditions nationales ; pourtant, il y a des échanges culturels entre ces traditions et leur rencontre permit la naissance de l’esthétique en tant que discipline moderne. Dans un premier temps, je traiterai la question de la naissance du terme «esthétique» au sein de la tradition allemande. Cela nous permettra de voir que la définition donnée par Baumgarten est une tentative de délimiter un champ très varié dans lequel trouvent leur place la doctrine de la sensibilité et les théories de l’art, la question de l’imagination productive et celle de la réceptivité du goût. Ensuite, je passerai à traiter la question du goût dans l’esthétique anglaise. Enfin, je me pencherai sur la réflexion autour du concept du beau, qui se déroule surtout dans le milieu français, avant de conclure mon travail en faisant allusion au problème de la conception esthétique de la nature. Si l’on tient compte de la pluralité des questions face auxquelles l’esthétique se pose au XVIIIe siècle, on peut affirmer qu’il est impossible de donner une réponse ontologique à la question « qu’est-ce que l’esthétique? ». D’ailleurs, la question qui concerne la possibilité d’une «esthétique de la nature» soulève encore plus de problèmes. Le but de ce travail est donc de démontrer qu’on peut trouver l’issue à cette impasse si l’on met l’accent sur le concept d’expérience esthétique, à partir du fond commun de chaque expérience esthétique représenté par la sensibilité. 1. Le « baptême de l’esthétique »2 L’esthétique en tant que « science » naît – plus exactement est « baptisée » – en 1735, lorsque Alexander Gottlieb Baumgarten publie sa dissertation sous le titre de Meditationes philosophicae de nonnullis ad poema pertinentibus. Le terme que Baumgarten choisit pour nommer cette nouvelle science dérive de l’emploi nominal de l’adjectif grec αισθητική. La référence au cadre de la 2 V. le titre de l’anthologie de textes de Baumgarten et Kant édité par L. Amoroso (A. G. Baumgarten – I. Kant, Il battesimo dell’estetica, a cura di L. Amoroso, Edizioni ETS, Pisa 1993). 4 sensation, de la sensibilité et de l’imagination est bien explicitée par l’origine étymologique du terme: l’adjectif αισθητική dérive du nom αἴσθησις qui signifie justement «sensation». La proposition de Baumgarten s’insère dans la tradition de la pensée de Leibniz et Wolff, où le problème de la sensibilité est reconduit à l’intérieur de la sphère de la connaissance. Dans cette tradition, les connaissances sont classées en claires et obscures : les claires sont ultérieurement subdivisées en confuses et distinctes ; les connaissances confuses entrent dans le domaine de la connaissance sensible, tandis que les connaissances distinctes entrent dans le domaine de la connaissance rationnelle. Baumgarten, à travers la définition de l’esthétique, veut fonder « une science qui dirige la faculté cognitive inférieure », comme la logique dirige la faculté cognitive supérieure. En même temps, chez Baumgarten l’esthétique est une théorie des beaux-arts (notamment de l’art poétique) : ses Meditationes visent en effet à fonder une « philosophie poétique », c’est-à-dire une science de la poésie. Cela peut être compris si l’on tient compte que chez Baumgarten la beauté est la « perfection de la connaissance sensible » et le poème est « un discours sensitif parfait ». Ainsi, il y a chez Baumgarten le rencontre entre science de la sensibilité et théorie des arts 3. Dans les Meditationes on trouve un autre problème qui occupe une place centrale dans la naissance de l’esthétique : celui de l’imagination. En effet, Baumgarten affirme que « les sensibles » (τά αισθητά) ne sont pas seulement les sensations présentes au moment où nous sentons, mais ils correspondent aussi à des données senties et pourtant non présentes, c’est-à-dire les images (phantasmata, dans le texte latin). Après cette éclaircissement, Baumgarten conclut ainsi le paragraphe : « Donc, on peut connaître τά νοητά [les intelligibles] avec la faculté supérieure, objet de la logique, alors que [on peut connaître] τά αισθητά [avec la faculté inférieure, objet] de l’επιστήµη αισθητική, à savoir l’esthétique »4. Cela veut dire que le nom destiné à désigner la discipline naissante a été conçu dans une tradition où le thème de la sensibilité est au centre de la réflexion concernant les problèmes des arts et implique une émancipation créative-poétique de l’imagination et de son pouvoir productif. 3 A. G. Baumgarten, Meditationes, § 115: «Philosophia poetica est per § 9 scientia ad perfectionem dirigens orationem sensitivam. Cum uploads/Philosophie/l-x27-esthe-tique-au-xviiie-sie-cle.pdf
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- Publié le Jui 16, 2022
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