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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : info@erudit.org « Introduction : interprétation et interprétationnismes » Martin Montminy Philosophiques, vol. 32, n° 1, 2005, p. 3-17. Pour citer ce document, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/011060ar DOI: 10.7202/011060ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 9 février 2017 02:41 brought to you by CORE View metadata, citation and similar papers at core.ac.uk provided by Érudit Introduction Interprétation et interprétationnismes MARTIN MONTMINY Université d’Ottawa montminy@uottawa.ca 1. Qu’est-ce que l’interprétationnisme? L’interprétationnisme en philosophie de l’esprit et en philosophie du langage lie la capacité d’avoir des pensées et de parler un langage à la possibilité qu’un interprète établisse le contenu de ces pensées et la signification des mots de ce langage1. En première approximation, ce point de vue affirme qu’un être a des pensées ou parle un langage si et seulement si ces pensées ou ce langage sont interprétables. Il existe aussi une version de l’interprétationnisme qui vise le contenu des pensées individuelles. Selon cette thèse, il est correct de dire qu’un agent croit que p si et seulement si un interprète (pleinement informé) juge- rait que cet agent croit que p. Une thèse analogue peut être formulée à pro- pos de la signification des énoncés d’une langue : l’énoncé S, tel qu’utilisé par un locuteur, signifie que p si et seulement si un interprète (pleinement informé) jugerait que S signifie que p pour ce locuteur2. Malheureusement, telles qu’énoncées, ces thèses ne suffisent pas à iso- ler un point de vue philosophique intéressant. En effet, même un réaliste à propos du contenu mental tel que Jerry Fodor, qui s’oppose farouchement à toute forme d’interprétationnisme3, peut très bien admettre que les pensées et le langage doivent en principe être interprétables. Il pourrait en effet conve- nir que bien que les faits concernant le contenu et la signification soient méta- physiquement indépendants des jugements d’un interprète, celui-ci, s’il était pleinement informé, serait en mesure de former des jugements corrects à pro- pos du contenu et de la signification. Fodor pourrait en effet stipuler qu’être un interprète pleinement informé, c’est connaître, entre autres, les relations nomologiques pertinentes entre les représentations mentales d’un individu et les propriétés de son environnement4. De façon générale, tout point de vue naturaliste réductionniste pourrait souscrire aux thèses interprétationnistes énoncées plus haut, s’il est admis qu’un interprète pleinement informé connaît les propriétés ou phénomènes naturels auxquels sont réduits les faits inten- tionnels et sémantiques. PHILOSOPHIQUES 32/1 — Printemps 2005, p. 3-17 1. J’invite le lecteur à consulter les articles d’Isabelle Delpla et Michel Seymour dans ce numéro pour des conceptions de l’interprétationnisme légèrement différentes de la mienne. 2. Voir Davidson (1986, p. 315) pour une thèse très similaire à celle-ci. 3. Voir Fodor et Lepore (1993a; 1993b). 4. Pour Fodor (1990, chap. 3 et 4), les relations nomologiques pertinentes seraient spé- cifiées par sa théorie de la dépendance asymétrique. Heureusement, il est possible de caractériser l’interprétationnisme de manière un peu plus précise. Certains auteurs sont tentés d’assimiler le contenu mental et la signification linguistique aux qualités secondes comme les cou- leurs par exemple5. De même que la couleur d’un objet dépend métaphysi- quement des impressions que cet objet causerait (dans certaines conditions optimales) chez nous, de même le contenu des pensées d’un être dépend méta- physiquement des jugements que nous serions amenés à poser si nous étions suf- fisamment informés au sujet de cet être. L’interprétationnisme peut ainsi être conçu comme une forme de vérificationnisme par rapport aux pensées et à la signification : un être a des pensées ou parle un langage si et seulement si ses pensées ou son langage sont interprétables par des êtres comme nous. L’interprétationnisme peut ainsi être contrasté à une forme de réalisme par rap- port au contenu, selon lequel il serait possible d’être radicalement dans l’erreur ou totalement ignorant au sujet des pensées d’un individu, même si nous étions dans une situation épistémique optimale à propos de cet individu6. Cette caractéristique de l’interprétationnisme est soutenue avec vigueur par Donald Davidson dans son célèbre article «Sur l’idée même de schème conceptuel7». Dans cet article, Davidson cherche, entre autres choses, à réfu- ter l’idée selon laquelle un être (ou un groupe d’êtres) pourrait avoir un système de croyances et de concepts incommensurable avec le nôtre. Cette idée, qu’il tient pour équivalente à l’idée selon laquelle un être (ou groupe d’êtres) pour- rait parler une langue qu’il nous est impossible de traduire (partiellement ou totalement) dans la nôtre, est selon lui tout simplement inintelligible. Davidson soutient que pour qu’un être ait des pensées et parle un langage, il doit être possible pour nous de comprendre ces pensées et ce langage. Que doit connaître un interprète pleinement informé ? La réponse à cette question nous permet d’isoler une deuxième caractéristique de l’inter- prétationnisme. Traditionnellement, les tenants de l’interprétationnisme s’en- tendent pour dire que les données de bases d’une interprétation doivent être de nature comportementale ou, à tout le moins, «près de la surface». On pourrait décrire la deuxième caractéristique de l’interprétationnisme comme suit : le comportement est non pas un symptôme, mais un aspect constitutif de l’esprit. Selon W. V. Quine (1960, chap. 2), un manuel de traduction radi- cale doit s’appuyer sur les dispositions verbales des locuteurs de la langue étrangère. Daniel Dennett pour sa part souscrit ouvertement au behaviorisme logique : «ce que cela veut dire de dire que quelqu’un croit que p, est que cette personne est disposée à se comporter de certaines manières sous certaines conditions» (1987, p. 50; trad. fr. p. 71). Je dois toutefois ajouter que contrai- rement au behaviorisme logique « classique », l’approche de Dennett est 4 · Philosophiques / Printemps 2005 5. Voir, entre autres, Johnston (1992) et Wright (1992). 6. Je dois toutefois mentionner que Davidson (1997) rejette l’étiquette d’anti-réalisme pour décrire son point de vue. 7. Voir Davidson (1984, essai 13). On trouve une idée similaire chez McDowell (1985, p. 396). holiste; il n’est donc pas question pour lui d’analyser une à une les pensées d’un agent en termes de dispositions comportementales. Selon le holisme, une troisième caractéristique courante de l’interprétationnisme, le contenu d’une croyance dépend du contenu de plusieurs autres croyances. Davidson souscrit lui aussi au holisme, mais il rejette le behaviorisme, puisque pour lui, les données de base d’une interprétation sont les attitudes de tenir des phrases pour vraies ou fausses. L’interprétationnisme doit expliquer comment une théorie sémantique peut être dérivée des données empiriques de base : comment détermine-t-on ce que les phrases d’une langue signifient à partir des dispositions verbales des locuteurs de cette langue? La quatrième caractéristique de l’interprétation- nisme concerne les principes qui permettent d’élaborer une interprétation du langage et des pensées à partir de telles données de base. Le principe d’inter- prétation le plus connu est sans doute le principe de charité : l’interprète doit, autant que possible, traduire des phrases acceptées (refusées) par l’agent par des phrases de sa langue qu’il accepterait (refuserait). Pour Davidson, cela revient à maximiser la vérité des croyances de l’agent. Davidson soutient aussi que l’interprétation doit être en accord avec un principe de rationalité et de cohérence, qui veut que le système de croyances de l’agent soit aussi rationnel et cohérent que possible8. Cette quatrième caractéristique est géné- ralement étroitement associée au holisme, puisque les principes d’interpréta- tion que je viens d’énoncer doivent être appliqués à un grand nombre de croyances (ou d’énoncés) simultanément. Rien ne nous empêcherait toute- fois d’énoncer des principes d’interprétation non holistes. Certaines des contraintes sur la traduction préconisées par Quine sont en fait de ce type : pensons, par exemple, à sa recommandation de préserver l’accord à propos des énoncés observationnels, pris individuellement, ou à ses critères de tra- duction des connecteurs vérifonctionnels9. Cette quatrième caractéristique est peut-être la caractéristique essentielle de l’interprétationnisme. En effet, les principes d’interprétation visent à mettre en correspondance les croyances d’un agent avec celles d’un interprète. Les normes de vérité et de rationalité qui sont appliquées aux croyances de l’agent sont, non pas des normes associées à une structure abstraite indépendante de l’interprète, mais les meilleures normes dont celui-ci dispose. Comme le souligne Davidson, «il va de soi que le locuteur peut se tromper; et on peut en dire autant de l’interprète. Il s’ensuit, en définitive, qu’il faut porter au crédit d’une méthode d’interprétation le fait qu’elle permette à l’interprète d’être, en géné- ral, d’accord avec le locuteur» (1984, p. 169; trad. fr. p. 248). Il est donc plus juste de dire que le principe de charité recommande une uploads/Philosophie/ introduction-interpretation-et-interpretationnismes-martin-montminy.pdf

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