1 John Toland (1670-1722) L’étoile flamboyante des Lumières Par Antoine Peillon

1 John Toland (1670-1722) L’étoile flamboyante des Lumières Par Antoine Peillon J’appelle aujourd’hui à témoin devant vous les cieux et la terre : j’ai placé devant toi la vie et la mort, le bonheur et la malédiction. Choisis la vie !, et tu vivras, toi et ta descendance. Nitsavim (Tous debout) / Deutéronome, XXX, 19 Le libre arbitre est de soi la chose la plus noble qui puisse être en nous, d’autant qu’il nous rend en quelque façon pareils à Dieu et semble nous exempter de lui être sujets, et que par conséquent, son bon usage est le plus grand de tous nos biens, il est aussi celui qui est le plus proprement nôtre et qui nous importe le plus, d’où il suit que ce n’est que de lui que nos plus grands contentements peuvent procéder. Lettre de Descartes à Christine de Suède, 20 novembre 1647 Car ce qui évolue, ce n’est pas la matière, confondue avec l’énergie dans une même permanence. C’est l’organisation, l’unité d’émergence toujours capable de s’unir à ses pareilles pour s’intégrer en un système qui la domine. Sans cette propriété, l’univers ne serait que fadeur : un océan de grains identiques, inertes, s’ignorant les uns les autres… François Jacob, La Logique du vivant, Gallimard, 1970 I / Renaissance La rumeur court chez certains Illuminés : John Toland fut la réincarnation de Zoroastre, de Pythagore, de Moïse, de Lao-Tseu, de Jésus le Nazaréen ou de l’Enchanteur Merlin, voire de Giordano Bruno et de Descartes. Quant à Spinoza, s’il n’était pas mort en février 1677, sept ans après la naissance de notre homme, il aurait fait aussi un parfait antécédent par métempsycose… En aval de cette généalogie héroïque, les mêmes cherchent des successeurs dignes de ces « grands initiés » : Kant ? Trop triste ! Auguste Comte ? Trop long ! Marx ? Trop prosaïque ! Nietzsche ? Pourquoi pas, mais trop fou ! Bergson ? Trop bourgeois ! Heidegger ? Trop vert-de-gris ! Einstein ? Ah, Einstein, cela pourrait encore se discuter. Quant aux éclairés Voltaire, d’Holbach et Diderot, comptons- les plutôt parmi les disciples, les petits frères. Mage, philosophe, aventurier, cosmopolite certainement, franc-maçon sans doute, et grand druide de toute façon… : l’auteur du Pantheisticon avait, il est vrai, tous les attributs 2 du génie, dans tous les sens du terme. Des géants de cette trempe, les siècles sont certes jaloux, mais l’Histoire est parfois bien oublieuse ! « Toland ? Bien oublié, Toland ! Cependant, ce fut un philosophe dangereux pour son époque… », s’exclame Albert Lantoine, en ouverture de sa formidable étude du philosophe panthéiste (1). Alors, amie lectrice, ami lecteur, buvons à la renaissance de John Toland, alias Janus Junius Eoganesio ! Et demandons, tout d’abord, que ce soit « à petits coups ». Car, depuis peu, en France, grâce à la passion érudite de quelques universitaires (2), les ±uvres du libre penseur tombent comme à Gravelotte, et ce n’est que justice : - Les Raisons de naturaliser les Juifs, publiées en 1714, présentées et traduites pour la première fois en français par Pierre Lurbe, aux PUF, en 1998 ; - le Clidophorus, ou Porte-clefs, élégamment présenté et traduit de l’anglais par Tristan Dagron, aux éditions Allia, en 2002 ; - la Constitution primitive de l’église chrétienne, publiée dans sa version anglaise originale posthume de 1726, présentée et traduite par Laurent Jaffro, chez Honoré Champion, en 2003 ; - les Lettres à Serena et autres textes, écrits en Allemagne en 1701-1702, édités par Tristan Dagron, chez Honoré Champion, en 2004 ; - le Christianisme sans mystères, publié en 1695 (3), remarquablement édité par Tristan Dagron encore, chez Honoré Champion, en 2005 ; - les Dissertations diverses, enfin, manuscrits de 1710 édités par Lia Mannarino, toujours chez Honoré Champion, en 2005. Il ne manquait, jusqu’ici, que le Pantheisticon (1720), qualifié pourtant par tous les connaisseurs d’« ±uvre maîtresse » du philosophe d’origine irlandaise. Une édition critique de ce livre mythique est certes attendue, chez Honoré Champion, mais elle tarde à venir… Je suis donc heureux de proposer au public la découverte de ce texte fabuleux, bréviaire d’une philosophie vitaliste (4) qui explosa en plein c±ur de « la crise de la conscience européenne » (5), sema les idéaux joints de liberté, d’égalité et de fraternité aux quatre vents de l’Europe des Lumières (6), inspira les audaces les plus révolutionnaires aux Voltaire, d’Holbach, Diderot et Mirabeau, transfusa dans les veines un peu desséchées du vieil Occident chrétien et féodal une vénération cosmique de la Nature ainsi qu’une exigence démocratique de République, sang neuf que les Emerson et Thoreau apportèrent, plus tard, au Nouveau Monde. II / Brumes irlandaises. Lumières écossaises John Toland serait né le 30 novembre 1669 (7), ou en 1670, voire un an plus tard, selon ses différents biographes, à Clonmany, ou Ardagh, dans la péninsule d’Inishowen, comté de Donegal, au nord-ouest de l’Irlande. Ses parents sont catholiques, sans doute. Sa langue maternelle est le gaélique, pour sûr. Son patronyme authentique serait U Thuathallain (Toland étant une anglicisation) et son prénom Sean. Ses prénoms de baptême, en latin, sont Joannes Eugenius. Il semble être le rejeton d’une famille d’érudits, ou de petite noblesse, ou il est le bâtard d’un prêtre... Enfant, il aurait été berger. À seize ans - est-ce l’effet de ses méditations dans la nature ? -, il se convertit au protestantisme, ce qui commence d’être plus certain. Il suit, dès lors, des études à Redcastle (comté de Donegal), part pour l’Écosse, en 1687. Aux temps de la Glorieuse Révolution (novembre et décembre 1688), qui instaure la monarchie 3 parlementaire en Angleterre, il est étudiant au Glasgow College. À partir de là, la vie du jeune homme bascule dans un tourbillon de voyages et de rencontres. Un an plus tard, Toland est à l’Université d’Édimbourg, où il est élevé au titre de Master of Arts, le 30 juin 1690, et où il est aussi, certainement, initié à la franc-maçonnerie. Geneviève Brykman note, sans développer outre mesure : « L’intérêt de Toland pour les sociétés secrètes daterait du séjour à Édimbourg. » (8) À cette époque, l’Écosse compte déjà une vingtaine de loges maçonniques, dont la très renommée Mary’s Chapel, à Édimbourg. La sociabilité initiatique écossaise, qui se développe entre la fin de la Renaissance et le début du siècle des Lumières, réalise aux yeux de Toland, mieux que tout autre commerce - au sens de Montaigne (9) -, « la volonté d’unir les hommes de toutes conditions » (10), ainsi qu’un « riche brassage » idéologique que l’historien David Stevenson résume ainsi : « Chercher à échapper au conflit religieux à travers la mystique hermétique et l’excitation rosicrucienne, tourna à l’acceptation de certaines idées panthéistes et déistes. Les quêtes alchimique et hermétique cédèrent la place aux sciences modernes et au mouvement newtonien… » (11) III / Le tremplin hollandais En automne 1692, c’est le départ décisif du jeune lettré pour la Hollande, Leyde et Utrecht, afin d’enrichir ses connaissances. Fréquentant Jean Le Clerc, l’auteur du bientôt célèbre Ars critica (1697), Friedrich Spanheim, Pierre Bayle et autres exégètes humanistes et réformés, Toland travaille selon la méthode dite « critique » sur la Bible et, surtout, lit avec passion les ±uvres de Spinoza (12), se familiarise avec la philosophie de John Locke, apprécie les libertés du régime républicain, y noue de précieux contacts libertins, républicains, voire maçonniques (13)… Dès lors, il est « ivre de raison », selon la belle formule de Paul Hazard. De retour en Angleterre, Toland s’installe rapidement à Oxford, en janvier 1694, où il fréquente surtout l’Ashmolean Museum (14) ainsi que la Bodleian Library. Il y rencontre John Aubrey, grand archéologue, découvreur de la civilisation celtique, familier du site mégalithique de Stonehenge, membre d’un « bosquet » druidique d’Oxford, le Mount Haemus… L’Irlandais multiplie ses découvertes intellectuelles, dans les bibliothèques parmi les plus riches d’Occident. Il commence, aussi, à se laisser aller à quelques provocations anticléricales dans les tavernes. En 1695, le voici à Londres, à nouveau, où il fait partie des compagnons de John Locke (15) et où il échange, principalement, avec son ami Shaftesbury. C’est à la fin de cette même année, que le maître es Arts publie son fracassant Christianity not Mysterious, sortant très vite de l’anonymat et récoltant une multitude de réfutations plus ou moins menaçantes. On peut dater de ce moment le commencement de la grande querelle anglaise sur le déisme. IV / L’hérétique Dépassant radicalement Locke et son Christianisme raisonnable (1695), qui situe la révélation hors de portée pour la raison, le brûlot de Toland affirme que les croyances doivent être soumises au jugement rationnel (16). Mieux encore, l’Irlandais explique 4 comment, selon lui, Jésus le Nazaréen prophétisa la véritable religion philosophique, exempte de mystères, de magie et surtout de prêtres au service des dominateurs (17). Cette thèse rationaliste et anticléricale sera développée par Toland, dans son Nazarenus (1718 ; partiellement traduit et publié par le baron d’Holbach, en 1767) et sa Constitution primitive de l’Église chrétienne (publication posthume de 1726). Le uploads/Philosophie/ john-toland-l-etoile-flamboyante-des-lumieres.pdf

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