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JEAN GREISCH L'ARBRE DE VIE ET L'ARBRE DU SAVOIR Le chemin phénoménologique de

JEAN GREISCH L'ARBRE DE VIE ET L'ARBRE DU SAVOIR Le chemin phénoménologique de l'hennéneutique heideggérienne - (1919-1 923) .:7 ti ~ ~ '\ ~ D 0SS36~ SfuLt,l)f' Passages LES ÉDITlüNS DU CERF PARIS 2000 AVANT-PROPOS Dans cet ouvrage, je me propose de compléter la présentation, as sez succincte, des premiers enseignements de Heidegger que j'avais esquissée dans l'introduction historique de mon ouvrage Ontologie etteinporalité, dont l'objectifprincipal était de donner une interpré tation intégrale de Sein und Zeit. Les enseignements de Heidegger donnés au cours des années 1919-1923 a l'université de Fribourg-en Brisgau, ainsi que les rares textes publiés pendant la meme période, se rapportent a un unique chantier que désigne le titre technique : l[ herméneutique de la vie facticielle D. L'avancement de la Gesamt ausgabe, aussi bien que les orientations nouvelles des recherches heideggériennes au cours de la demiere décennie illustrées par les travaux de Jacques Taminiaux, Franco Volpi, Thomas Sheehan, Costantino Esposito, Jean-Fran<;ois Courtine, John van Buren et, last but not least, Theodore Kisiel), ont montré l'importance cruciale d'une approche décidément généalogique de Sein und Zeit. Tout en partageant la meme option méthodologique que ces auteurs, consistant a lire Heidegger «/rom the start1 » il me parait intéressant d'élargir la perspective interprétative, conformémenta un triple ob jectif. I. Comme pour l'ouvrage mentionné plus haut, la finalité pre miere de celui-ci (dont la rédaction est contemporaine de la traduc tion du volume 60 de la Gesamtausgahe) sera didactique. Aucun des cours de cette période n'étant pour l'heure encore disponible en langue frant;aise, iI s'agira d'abord d'offrir au lecteur francophone une présentation aussi complete et claire que possible de ce corpus, © Les Éditions du Cerf, 2000 (29, boulevard La Tour-Maubourg - í5340 Paris Cedex 07) 1. Voir Theodore KISIEL et John VAN BUREN (éd.), Reading Heidegger From The Start. Essays in His Earliest Tlwught, New York, State University Press, 1994; Jean ,.... .....>;,., ISBN: 2-204-06184-0 Fran¡;ois COURTINE (éd.), Heidegger 1919-1929. De l'herméneutique de la facticité a la ISSN : 0298-9972 " métaphysique du «Dasein., Paris, Vrin, 1996. • 6 L'ARBRE DE VIE ETL'ARBRE DlI SA VOIR dans lequel commence ase dessiner le profil original d'une phéno ménologie herméneutique, teHe que Heidegger l'avait com;ue des le départ et dont ses premiers enseignements définissent les grandes lignes théoriques en meme temps qu'ils en livrent les premiers exer cices pratiques. Si l'on envisage ce corpus selon une optique plus historique, on y voit Heidegger combattre sur plusieurs fronts ala fois. Apres sa rupture avec la philosophie néo-kantienne, qui l'avait profondé ment marqué au cours de ses années de formation philosophique, notarnment en la personne de son Doktorvater Heinrich Rickert, il reconnaissait dans la phénoménologie husserlienne le seul salut possible de sa pensée. Nonobstant sa dette considérable al'égard de Husserl, dont il dira en 1923 que c'était dui qui lui avait im planté les yeux» (Ca 60, 5), Heidegger refusait des le départ de se laisser cantonner dans le role d'un simple « agent traitant» de la phénoménologie husserlienne dans le secteur de la philosophie de la religion. D'entrée de jeu, la phénoménologie herméneutique qu'il voulait fonder ne pouvait pas ratifier I'ensemble des présup positions de l'idéalisme transcendantal de Husserl. Cet écart initial implique la nécessité de mener un combat sur un second front, ce lui de la confrontation entre I'herméneutique de la vie facticieHe et les philosophies de la vie, notamment de Dilthey. L'analyse de ce double différend formera le fil conducteur du présent ouvrage1. 2. Mon second pari herméneutique est que le vaste chantier d'in vestigations phénoménologiques mis en ceuvre par Heidegger dans ses premiers enseignements de Fribourg, et que désigne le terme technique d'« herméneutique de la facticité », ne présente pas seule ment un intéret généalogique et chronologique, pour autant qu'il nous permet de mieux comprendre le chemin réel - ou plutot les cheminements passablement tortueux - qui l'ont conduit ala ré daction du maitre ouvrage Sein und Zeit. II nous offre en outre la possibilité d'un point de vue neuf, et critique, sur les différentes in terprétations ou appropriations dont le concept de facticité a fait l'objetjusqu'ici, par exemple chez Landgrebe. Dans cette optique, la question décisive est ceHe de la signification exacte de la notion de facticité, ainsi que de la place, centrale ou non, qu'il faut lui ac corder dans une conception herméneutique de la phénoménologie. S'y ajoute la question, non moins fondarnentale, des conséquences 1. Pour ceUe confrontation, voir David Fa1TcIl KRELL, Daimon Lije. Heidegger and Lije-Philosophy, Bloomington, Indiana llniversity Press. 1992. L'auteur présente des hypothescs de lecture tres intéressantes concernant la maniere dont Heidegger a traité le probleme de la vil' de ses premiers jusqu'aux derniers écrits. En comparaison de l'horizon tres vaste des questions soulevées dans cet ouvrage, j'ai préféré me focaliser exclusivement sur les premiers enseignements de Fribourg et sur les débats phénoménologiques qui, d'une maniere ou d'une autre, peuvent etre rattachés ace chantier. AVANT-PROPOS 7 que la qualification « herméneutique »entraine pour l'idée meme de la philosophie et le statut des concepts philosophiques. 3. Au terme de cette enquete, il nous faudra affronter la ques tion la plus difficile et la plus délicate en meme temps : celle de l'éventueHe actualité phénoménologique et herméneutique du pro grarnme heideggérien. Reconstruire aussi fidelement que possible la genese de ce projet dans le chemin de pensée heideggérien, et mettre en évidence l'originalité de son idée de I'herméneutique, est une chose. Tout autre chose est de savoir comment nous pou vons encore nous la réapproprier, en prenant au sérieux la maxime fondarnentale de la phénoménologie : « Aller aux choses memes ! » Meme si, au ternle de mon enquete, la facticité demeure encore en partie énign¡atique, une certitude s'est néanmoins progressivement imposée a moi : contrairement aux apparences, la problématique de I'herméneutique de la facticité revet une actualité imprévue dans le débat philosophique contemporain, aussi bien ad intra dans le paysage de la phénoménologie la plus récente (les diffé rentes tentatives contemporaines - fran~aises en particulier de radicaliser le projet phénoménologique ; la phénoménologie de l'affectivité, I'entrecroisement entre les approches phénoménolo giques et ethnométhodologiques de la société, I'émergence d'une herméneutique du soi, etc.) que adextra (la renaissance du néokan tisme, la problématique de la déconstruction, etc.). En ce sens, nous pouvons appliquer anotre problématique la formule Herkunfi bleibt stets Zukunfi (Provenance demeure toujours Avenir) dont Heidegger s'est servi dans un autre contexte pour caractériser la relation com plexe qu'il entretient avec la théologie. La nécessité de relire les premiers textes de Heidegger dans une optique ala fois généalogique et actualisante correspond ace que lui-meme désigne comme « situation herméneutique» dans le Na torp-Bericht: « Achaque fois I'herméneutique de la situation doit etre tiree au clair et il convient d'intégrer ceHe-ci, atitre de situation heIDléneutique, au coup d'envoi de I'interprétation. La situation de l'interpretation en tant qu'appropriation compréhensive du passé est toujours ceHe d'un présent vivant» (IPA, P.17)' Alors que toute une génération antérieure de lecteurs de Heidegger s'était placée sous le signe du soup~on qui, en l'occurrence, est désigné par des themes emblématiques tels que « déconstruction» de la mé taphysique de la présence, crise de l'ontothéologie, etc., s'impose aujourd'hui le kairos d'une seconde nai'veté, qui tente de lire avec des yeux neufs la premiere nai'veté du pacte qu'au début des an nées 20 de notre siecle, Heidegger avait pensé pouvoir nouer entre sa phénoménologie herméneutique et les philosophies de la vie. Si le critique, d'apres une formule de Schlegel, est un ruminant qui a besoin de plusieurs estomacs, il m'a semblé que la meilleure 8 ülRBRH DE VIl,'l,'TL'ARBRl,'DUSAVOIR maniere de «digérer» le projet herméneutique initial de Heidegger, qui comporte pas mal de formules d'apparence assez indigeste, était de ne pas mettre sous le boisseau les questions soulevées par la génération la plus contemporaine de phénoménologues qui, en France notamment, se révele etre d'une étonnante fécondité. Cest ce double souci généalogique et systématique qui explique pourquoi, dans certains chapitres, c'est plutot la lecture immanente qui est privilégiée, alors que, dans d'autres, ce sera la remise en débat actualisante qui prendra le dessus. Pour la meme raison, j'ai du limiter au maximum les renvois a la bibliographie secondaire. Pour finir, je dirai un mot du titre de l'ouvrage. Celui-ci greffe l'une sur l'autre deux références textuelles hétérogenes. D'abord le motif biblique de l'arbre de vie et de l'arbre de la connaissance du bien et du mal: «Yahvé Dieu planta un jardin en Éden, a I'orient, et il y mit l'homme qu'il avait modelé. Yahvé Dieu fit pousser du sol toute espece d'arbres séduisants a voir et bons a manger, et l'arbre de vie au milieu du jardin, et l'arbre de la connaissance du bien et du mal» (Cn 2, 8-9)' Ensuite le motif cartésien de l'arbre du savoir, emprunté a la lettre-préface que Descartes, l'auteur de la traduction fran~aise des Principia 1 • Comme nous le verrons plus loin, on rencontre ces deux motifs dans le texte de Heidegger lui-meme. La référence au verset biblique scelle sa percée herméneutique initiale dans le Kriegsnotsemester de uploads/Philosophie/ julian-videla-l-x27-arbre-de-vie-et-l-x27-arbre-du-savoir.pdf