Table Préface à la nouvelle édition 1. À quel âge, à quel moment, la philosophi

Table Préface à la nouvelle édition 1. À quel âge, à quel moment, la philosophie vous est-elle apparue comme la « passion intellectuelle » de votre vie, votre vocation ? 2. En quoi vous sentez-vous, spécifiquement ou non, un philosophe français ? 3. Décrivez la journée idéale du philosophe que vous êtes 4. Vous sentez-vous mieux compris par les hommes ou par les femmes ? 5. Pensez-vous que l’on puisse nier l’importance de l’inconscient ? 6. Le bonheur est-il possible ? 7. En quel sens êtes-vous « matérialiste » ? 8. Comment expliquez-vous que vous vous soyez radicalement détaché du christianisme de votre enfance ? 9. La vie était-elle trop brève ? 10. Pensez-vous qu’il existe des époques plus aliénantes que d’autres ? 11. Si vous aviez un « double affectif », qui serait-il : Héraclite, Épicure, Montaigne, Pascal, Nietzsche ? 12. L’illusion est-elle une condition de la vie ? 13. Quand et sur quoi faut-il faire silence ? 14. Lequel de vos livres préférez-vous ? 15. Qu’entendez-vous par « Je contemple les choses » (L’Aléatoire, Préface de la 2 édition) ? Le philosophe que vous êtes contemple-t-il les choses différemment du poète ? e 16. Comment voyez-vous l’histoire de la philosophie ? Est-elle une suite de singularités ? 17. Heidegger et le nazisme. Quel est votre jugement ? 18. Quel est votre premier souci ? 19. Comment concevez-vous l’attitude du philosophe vis-à-vis du pouvoir politique ? 20. Voudriez-vous expliquer à un non-philosophe la notion d’« apparence », centrale dans votre philosophie ? 21. Que retenez-vous, aujourd’hui, du marxisme ? 22. Quel philosophe est, selon vous, le plus énigmatique ? 23. À quel genre de beauté êtes-vous avant tout sensible ? 24. Y a-t-il, dans le domaine des mathématiques ou de la physique contemporaine, une théorie qui pourrait nourrir votre réflexion ? 25. Quel but avez-vous donné à votre enseignement de la philosophie ? 26. Pour vivre avec les autres, un philosophe peut-il se passer de la notion de charité ? 27. Votre réflexion sur la souffrance des enfants est-elle liée à une expérience personnelle ? 28. Vivant en « pays sauvage », comme Montaigne, ne vous sentez-vous pas comme abandonné ? 29. L’homme est-il un être spontanément moral ? D’où vient la morale ? 30. Que pensez-vous de la formule : « la liberté ou la mort » ? Avertissement Docteur en philosophie, Lucile Laveggi a enseigné cette matière à l’antenne parisienne de Columbia University. Curieuse d’une vie qu’une vocation philosophique a entièrement orientée, elle a souhaité que je réponde, le plus sincèrement que je pourrais, à un certain nombre de questions. Ce sont ces questions, et mes réponses, que l’on trouvera dans cet ouvrage. Comme nous habitons loin l’un de l’autre, ces réponses ont été données par écrit. Les questions ne m’étaient connues qu’au fur et à mesure de mes réponses. Lucile Laveggi ne choisissait cependant pas, en règle générale, une question en fonction de la réponse qu’elle venait de recevoir, mais plutôt de manière à aborder un peu tous les sujets. M. C. PRÉFACE À LA NOUVELLE ÉDITION Les questions que Lucile Laveggi m’a posées en 1991 sont de celles auxquelles on a envie de répondre. J’aurais à y répondre le même plaisir qu’alors. Ce que je dirais, tout en étant sans doute exprimé autrement, serait substantiellement le même (à un point près sur lequel je vais revenir) : seules mes références historiques aux événements contemporains seraient autres (alors il s’agissait de la guerre d’Irak de 1991, aujourd’hui, il s’agirait d’une autre guerre d’Irak, plus effroyable encore, et plus injuste que la première). J’ai toutefois un étonnement et une réserve. Un étonnement : que sur trente questions, il n’y en ait aucune concernant l’amour. Ainsi (car Lucile Laveggi m’interrogeait en fonction de mes intérêts), j’étais parvenu jusqu’à près de soixante-dix ans sans m’intéresser à ce grand sujet, ou du moins sans lui porter un intérêt essentiel. De sorte que c’est après ce vieil âge que j’en vins à écrire sur l’amour, et cela d’autant plus que je vieillissais. Et les cinq tomes de mon Journal étrange (avec le tome VI, Le Silence d’Émilie, qui n’est pas dans le commerce) ont été écrits alors que j’avais largement dépassé ma quatre- vingtième année. Ma « réserve », la voici. La question 7 est celle-ci : « En quel sens êtes- vous “matérialiste” ? » La question était judicieuse en 1991. Mais je ne suis plus matérialiste en aucun sens — bien que je rejoigne les matérialistes dans leur opposition à l’idéalisme, au théisme, au spiritualisme pour autant qu’il place l’Esprit à l’origine des choses, etc. Voici mes raisons : 1) On peut dire : « L’homme est une partie de la Nature » (où j’entends par « Nature » la Phusis grecque, infinie, éternelle, omni-englobante) ; on ne peut dire : « L’homme est une partie de la matière ». 2) Il y a une expérience de la Nature, fondamentale en tout homme et universelle, il n’y a pas d’expérience de la matière. 3) Si l’on demande aux matérialistes ce qu’est la matière, ils répondent que c’est à la science de nous le dire : la philosophie devient une ancilla scientiae. 4) Les matérialistes inclinent à nier la liberté humaine. Or, si un jugement quelconque, comme « il fait jour », était déterminé par des causes, par quel hasard se trouverait-il être vrai ? Il n’est déterminé que par la vue de la vérité concernant la chose dont on juge, et la vérité n’est pas une cause, car elle n’est pas quelque chose dans le monde. 5) Pour les matérialistes, la morale n’est qu’un fait qui relève de l’explication sociologique et historique, et qui n’a pas à être fondé. Or, faute d’un « fondement de la morale », les négateurs de la morale universelle et des droits de l’homme peuvent invoquer « leur » morale, et que répondre alors aux nazis et autres zélateurs du racisme ? 6) La « matière » est une notion trop pauvre pour supporter l’ensemble du Réel ; la notion de « Nature » le peut. La Nature infinie et omnigénératrice est la Cause première et permanente de tout ce qu’il y a. La « Nature » : autant dire la « Vie ». Ce qu’il y a à l’origine : non pas un Vivant, mais la Vie. … Une préface n’est pas le lieu de m’expliquer davantage. 1 À quel âge, à quel moment, la philosophie vous est- elle apparue comme la « passion intellectuelle » de votre vie, votre vocation ? Préoccupé surtout de créer et de comprendre, je répugne à me retourner vers mon enfance et ma jeunesse, que d’ailleurs je ne voudrais pas revivre. C’est donc avec effort que je réponds à votre question. Philosophe, il me semble que je l’ai toujours été, d’abord sans le savoir, ensuite le sachant. J’ai raconté, dans une note de mon Anaximandre, ma première expérience philosophique. Alors que mes parents faisaient les foins, dans un pré au bord d’une route, il me vint à l’esprit d’aller jusqu’au bout de cette route. Parti d’un bon pas, j’atteignis le prochain tournant, persuadé que c’était le bout ; et je me souviens de ma surprise lorsque je vis le ruban de la route s’étendre au loin, vers un autre tournant. Toutefois, je ne doutai pas que là devait se trouver le bout extrême du monde ; et je m’apprêtais à le vérifier lorsque mon père mit fin à mon expérience métaphysique par une intervention inopinée. Naturellement, je dédaignai de m’expliquer. Chacun connaît la première des quatre antinomies de Kant, la thèse et l’antithèse. Il est clair qu’à l’âge de six ans je me prononçais nettement pour la thèse : « Le monde est limité dans l’espace. » La thèse, il est vrai, dit également que « le monde a un commencement dans le temps ». À cet âge-là, le problème ne m’était pas encore apparu. Mais bientôt j’allai au catéchisme, où l’on me dit que « Dieu » avait créé le monde. Comme c’était là un propos d’adulte, je le reçus avec réserve. J’inclinais même à penser que, puisque c’était cela que l’on voulait me faire croire, c’est le contraire qui devait être vrai. Un camarade du cours moyen 2 année me communiqua sa passion pour les constellations. Nous discutions, pendant les récréations, de la Lyre et de Cassiopée. Comme il en vint à prétendre qu’elles avaient été créées par Dieu (l’année suivante, il entra d’ailleurs au Séminaire !), je lui soutins qu’elles étaient là depuis toujours. Ainsi mon intérêt pour le cosmos ne faiblissait pas, même si j’en restais, e finalement, à une certaine perplexité. Je ne sais de quand dater ma révolution socratique, celle qui vit ma préoccupation descendre du ciel sur la terre, et se tourner des questions naturelles vers les questions morales. Peut-être dois-je la dater de mes premières lectures philosophiques. En ce temps-là, la bourgeoisie dominait entièrement la société, et faisait tout pour maintenir le peuple dans l’ignorance en lui interdisant les uploads/Philosophie/ vivre-et-philosopher.pdf

  • 27
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager