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Intellectica. Revue de l'Association pour la Recherche Cognitive Techniques du

Intellectica. Revue de l'Association pour la Recherche Cognitive Techniques du corps et normes sociales : de Mauss à Leroi- Gourhan Bruno Karsenti Citer ce document / Cite this document : Karsenti Bruno. Techniques du corps et normes sociales : de Mauss à Leroi-Gourhan. In: Intellectica. Revue de l'Association pour la Recherche Cognitive, n°26-27, 1998/1-2. Sciences sociales et cognition. pp. 227-239; doi : https://doi.org/10.3406/intel.1998.1578 https://www.persee.fr/doc/intel_0769-4113_1998_num_26_1_1578 Fichier pdf généré le 24/02/2020 Abstract Techniques of the body and social norms : from Mauss to Leroi-Gourhan. The work of Leroi-Gourhan appears in the guise of an attempt to classify a wide range of human techniques largely dispersed in time and space. It is to be noted, however, that this taxinomy draws its fundamental concepts from an ambitious attempt to formulate a "biology of technics" which has a twin goal. On the one hand, the aim is to replace the phenomenon of technics in the context of the evolutionary dynamics of living forms which confers on this phenomenon its meaning and its modalities ; the other aim is to take due account of the social forms of existence through which this dynamics is necessarily expressed. Technical reality is configured at the crossroads of the social and biological dimensions of human existence. A close examination of this articulation brings the work of Leroi Gourhan into resonance with its heritage from the sociology of Marcel Mauss and, more precisely, with the theme of the techniques of the body which was a hallmark of this original sociology. Résumé L'oeuvre de Leroi-Gourhan, si elle se présente pour une large part comme une entreprise de classification des techniques humaines disséminées dans le temps et dans l'espace, inscrit résolument cette taxinomie sous le signe fondamental d'une "biologie de la technique" dont l'intention paraît double : il s'agit d'une part de resituer le phénomène technique dans une dynamique vitale qui en détermine le sens et les modalités, et, d'autre part, de prendre acte des formes sociales d'existence dans lesquelles cette dynamique s'accomplit nécessairement. C'est au croisement du social et du vital en l'homme que la réalité technique se configure. Éclairer cette articulation, c'est reconduire l'oeuvre de Leroi-Gourhan à l'héritage qu'elle porte de la sociologie de Marcel Mauss, et plus précisément, à l'interrogation sur les "techniques du corps" que cette sociologie originale s'est efforcée de conduire. Intellectica, 1998/1-2, 26-27, pp. 227-2 Bruno KARSENTI* Techniques du corps et normes sociales : de Mauss à Leroi-Gourhan L'oeuvre de Leroi-Gourhan, si elle se présente pour une large p comme une entreprise de classification des techniques humain disséminées dans le temps et dans l'espace, inscrit résolument ce taxinomie sous le signe fondamental d'une "biologie de la techniqu dont l'intention paraît double : il s'agit d'une part de resituer phénomène technique dans une dynamique vitale qui en détermine sens et les modalités, et, d'autre part, de prendre acte des form sociales d'existence dans lesquelles cette dynamique s'accomp nécessairement. C'est au croisement du social et du vital en l'homm que la réalité technique se configure. Eclairer cette articulation, c'e reconduire l'oeuvre de Leroi-Gourhan à l'héritage qu'elle porte de sociologie de Marcel Mauss, et plus précisément, à l'interrogation s les "techniques du corps" que cette sociologie originale s'est effor de conduire. Mot-clés : techniques, biologie, formes sociales, sociologie, corps Techniques of the body and social norms: from Mauss Leroi-Gourhan. The work of Leroi-Gourhan appears in the guise an attempt to classify a wide range of human techniques large dispersed in time and space. It is to be noted, however, that t taxinomy draws its fundamental concepts from an ambitious attempt formulate a "biology of technics" which has a twin goal. On the o hand, the aim is to replace the phenomenon of technics in the context the evolutionary dynamics of living forms which confers on t phenomenon its meaning and its modalities; the other aim is to take d account of the social forms of existence through which this dynamics necessarily expressed. Technical reality is configured at the crossroa of the social and biological dimensions of human existence. A clo examination of this articulation brings the work of Leroi Gourhan in resonance with its heritage from the sociology of Marcel Mauss an more precisely, with the theme of the techniques of the body whi was a hallmark of this original sociology. Key words: techniques, biology, social forms, sociology, body Leroi-Gourhan fut l'élève de Mauss. Si cet enseignement n'en f pas un sociologue au sens strict — mais Mauss lui-même fut 228 Bruno KARSEN sociologue au sens strict ? — tout au moins peut-il inciter à relire so oeuvre selon une perspective transversale, capable de restituer tout son acuité à la question de la consistance sociale du phénomèn technique. Chez Leroi-Gourhan comme chez Mauss, la question n'est en rie abstraite. Elle prend sens dans le développement des considération empiriques, éminemment concrètes, sur les techniques du corps. Pou sa plus grande part, l'oeuvre de Leroi-Gourhan apparaît aujourd'hu comme une vaste entreprise de description, de dessin, de recensemen et de classification des techniques humaines disséminées dans temps et l'espace. C'est principalement à ce titre, suffisamment fond dans l'ordre de la pratique, qu'elle intéresse très directement le sciences positives, telles l'archéologie et l'ethnologie préhistoriqu Ce que je voudrais montrer ici, c'est que cette taxinomie recèle exprime une forme particulière de conceptualisation, justiciable quan à elle d'une analyse proprement philosophique. Conceptualisatio qui, pour être appréciée dans toute sa portée, doit être reconduite un moment crucial de l'histoire de la sociologie en France l'inversion méthodologique accomplie dans le cadre inaugural de sociologie de Mauss. L'effet le plus apparent de l'inversion résid dans l'éclairage porté sur le corps. H s'agit de renvoye l'objectivation première de la technique à l'espace corporel, et d faire ainsi passer la réalité de l'instrument proprement dit au pla d'entité dérivée et seconde. C'est selon cette inspiration que Lero Gourhan peut à bon droit, et à l' encontre des technologie classiquement constituées, revendiquer la réalisation d'un "véritable biologie de la technique" (Leroi-Gourhan 1964:209 Dans quel cadre théorique une biologie de la technique s'avèr pensable, et comment se laisse-t-elle déterminer d'un point de vu épistémologique ? Telles sont les questions qui seront posées et qu serviront de fil conducteur à mon propos. Pour commencer, revenons à Mauss lui-même, et au constat qui fa pour lui figure de nouveau point de départ. Ce constat peut êt énoncé de la manière suivante : au point où elle parvient de so propre développement, la sociologie est astreinte à courir le risque d s'étendre au-delà des limites jusqu'alors assignées à son domain objectif. Elle prend alors conscience de la complexité de son objet, e tant que celui-ci se détermine essentiellement sous la forme concrèt du donné humain. Celui-ci se présente comme un montage à tro dimensions (social, psychique et physiologique) hors d'atteinte d l'ancienne philosophie sociale, et désormais cernable, à l'appui d'un convergence des approches. Techniques du corps et normes sociales 22 Mauss, si le social peut s'insérer au plus profond de l'individu, dan son psychisme et dans son corps, ce n'est pas pour le déterminer son encontre, mais pour le produire positivement. L'erreur est d croire que le non-social se résout en dernier recours comme l'anti social. Or il n'en est rien. La psychologie individuelle et la biologi humaine n'ont pas à être combattues : elles doivent être écoutées investies par une sociologie qui ne réifie pas son objet, mais tente d respecter sa qualité de processus vital, en poursuivant sa trace dan l'ensemble du règne naturel. Les procédures de connaissance mise en oeuvres, en ce sens, visent toujours le phénomène social simplement, on ne s'en tient plus ici à ses déterminations internes, ma on l'étudié dans son façonnement externe, on rend compte de s constitution dans sa confrontation aux nécessités physiologiques o psychologiques, du processus par lequel il déjoue, et surtout actualis en un sens déterminé ces nécessités pour se réaliser. Alors seulemen la sociologie peut prétendre parvenir au but suprême qui devient l sien dans la conception maussienne. Elle peut prétendre saisi l'homme total , arriver presque à rejoindre l'individu complet, l considérer comme une totalité biologique indivise. Le projet est particulièrement aventureux. 11 revient à s'engage sur un terrain "inconnu" — entendons, maintenu dans l'inconnu pa l'empreinte encore profonde des frontières admises. Mais ce inconnu resurgit maintenant comme une énigme au sein même de l sociologie, notamment lorsque celle-ci, nourrie d'ethnologie, en vien à reconnaître son incapacité à déterminer un grand nombre de fait les jetant pêle-mêle dans une "vilaine rubrique", dont le nom seul es l'indice d'un renoncement : "Divers": "Il y a toujours un moment où la science de certains faits n'étant pa encore réduite en concepts, ces faits n'étant pas même groupé organiquement, on plante sur ces masses de faits le jalon d'ignorance «Divers». C'est là qu'il faut pénétrer. On est sûr que c'est là qu'il y a de vérités à trouver : d'abord parce qu'on sait qu'on ne sait pas, et parc qu'on a le sens vif de la quantité de faits." (Mauss 1966:365) Le corps est, pour le sociologue, uploads/Philosophie/ karsenti-b-techniques-du-corps-et-nomes-sociales-de-mauss-a-leroi-gourhan.pdf