1 Gilbert Durand ou le Nouvel esprit anthropologique. Georges Bertin1. « C’est
1 Gilbert Durand ou le Nouvel esprit anthropologique. Georges Bertin1. « C’est une histoire que je dirai, c’est une histoire qu’on entendra ; C’est une histoire que je dirai comme il convient qu’elle soit dite, Et de telle grâce sera-t-elle dite qu’il faudra bien qu’on s’en réjouisse : … Et telle et telle, en sa fraîcheur, au cœur de l’homme sans mémoire, Qu’elle nous soit faveur nouvelle et comme brise d’estuaire en vue des lampes de terre » . Saint John Perse, Amers, in Oeuvres complètes, La Pléiade, Gallimard, 1982, p. 260. Au 20e siècle, le professeur Gilbert Durand a largement contribué à créer les conditions théoriques d’une anthropologie renouvelée, dans ce qu’il nommait « ouverture aux épistémologies de la synchronicité », laquelle il maniait avec une grande maîtrise, entre éthologie animale, psychologie des profondeurs, comparatisme sociologique incluant linguistique, ethnologie, science des religions... Posture singulière, d’une grande portée philosophique, si l’on veut bien s’y arrêter, posture déjà transculturelle évidemment au service d’une idée de l’Homme et de la Tradition à laquelle il n’a jamais fait de concessions et dont témoignaient par ailleurs ses engagements humanistes et citoyens. Laissant à des voix plus autorisées que la nôtre le soin de rappeler ses implications citoyennes dans la lutte contre le nazisme pendant la seconde guerre mondiale et qui lui valurent moult distinctions dont celle de « Juste parmi les Nations de Yad Vashem », nous tenterons modestement de dire ici ce en quoi son œuvre nous a servi de viatique dans nos propres travaux et la dette intellectuelle que nous avons à son égard, (avec une grande indulgence, il fut membre de notre jury de thèse et préfaça deux de nos ouvrages). 1 Socio-anthropologue, docteur HDR en sciences sociales, directeur de recherches au Conservatoire National des Arts et Métiers des Pays de la Loire, France, membre du Centre de recherches sur l’Imaginaire. 2 Mais commençons par tenter de mettre en lumière les aspects d’une oeuvre qui a été pour nous structurante en même temps que nous gardons présente sa grande humanité, sans exclusive. Puis en tirerons ce qui fut pour nous un accompagnement théorique et demeure une dette inestimable. Né le 1er Mai 1921, un jour de Beltaine, la fête du feu chez les celtes, fête de l'été et de la lumière, fête sacerdotale par excellence, Gilbert Durand, est pour nous un des anthropologues les plus importants du 20ème siècle, un découvreur au sens premier, inventeur de voies d'autant plus nouvelles que paradoxalement elles sont plus anciennes, fondamentales, dans la mémoire de l'humanité. Il a accompli le « grand passage » en décembre 2012. C'est sous le signe du paradoxe que son œuvre est entièrement bâtie, œuvre considérable où il porte à un degré systématique comme le faisaient remarquer Tacussel et Pelletier2, une logique pluraliste du contradictoriel, construisant une sociologie de l'ambivalence. Il est en cela fidèle à son maître Gaston Bachelard qui écrivait que "les images les plus belles sont foyers d'ambivalence3." Anthropologue, il le fut assurément, adonné pendant plus d'un demi-siècle à étudier le comportement de l'homme (homo sapiens) en communauté. En scrutant les représentations que les hommes se sont forgés d'eux mêmes en réponse à leurs désirs, il retrouve les figures de l'homme traditionnel soit une conception unitaire du savoir s'opposant au dualisme, à l'intolérance de sociétés vouées, comme il l'a écrit, au culte hyperbolique de la mystification. Il s'en expliquait lors d’un Colloque tenu au Centre Georges Pompidou en 1988: "L'imaginaire sous ses deux formes produit du langage et de la fantaisie, il est attaché au sapiens, à la configuration anatomo-physiologique de l'homme. Dans la chaîne des hominiens, il existe une différence soudaine, une usine de l'Imaginaire, la faculté de reproduction incontrôlée anatomo- physio-psychologique. Dans l'apparition des hominiens, on produit des images, tout de suite, les nôtres, les formes que nous utilisons. Les Dieux sont là, l'archétype est la forme la plus creuse, la plus vide, la plus manifestée de l'Imaginaire.4" De fait, l’entreprise de restauration de l'imaginaire qu'il partage avec d'autres (Mircea Eliade, Anton Lupasco) arrive au moment où notre société se voit ébranlée à l'endroit même où elle semblait triompher : idéal économique, conception bourgeoise du bonheur, idéologie du progrès.5 2 In La Galaxie de l'Imaginaire, Berg, 1980, p.22. 3 Bachelard G., La Terre et les rêveries de la volonté.José Corti, 1947 p 10 4 notes de l’auteur 5 Ibidem, 3 Pour lui, l'imagination est bien le propre de l'homme. Elle se manifeste le mieux dans les Arts et les Dieux. Dans son anthropologie de l'imaginaire énoncée dés 19696, œuvre aussi importante, de notre point de vue, que celle d'un Freud ou d'un Levi Strauss, Gilbert Durand récusait les schémas linéaires culturalistes et positivistes, ou seulement psychologisant pour déceler, à travers les manifestations humaines de l'imagination, les constellations où viennent converger de grandes images autour de noyaux organisateurs. Il jetait ainsi les bases d'une archétypologie générale, soit une mise en perspective nouvelle et originale de la culture éclairant d'un jour nouveau nos comportements, entre intime et social. Les réflexions actuelles sur l’intelligence collective en rejoignent paradoxalement les racines. Entre l'environnement culturel et la dominante physiologique qu'il empruntait à l'école de réflexologie de Léningrad, il fondait la notion de «trajet anthropologique » quand le symbole est "produit des impératifs bio psychiques par les intimations du milieu"7, trajet réversible, "le milieu étant révélateur de l'attitude" et "la pulsion individuelle a toujours un lit social" et "c'est bien en cette rencontre que se forment les complexes de culture que viennent relayer les complexes psycho analytiques". Observant que « l'homo sapiens sapiens » est placé dans une situation unique par rapport aux autres animaux du fait de l'usage de son gros cerveau, le néo encéphale ou cerveau noétique, il en inférait que nous utilisons constamment notre capacité à dépasser les simples réflexes de l'animal par la richesse spontanée des symboles et que notre pensée est de faite « re-présentations ». Ainsi, toute image se trouve toujours entourée d'un cortège de possibilités d'articulation symbolique8. Cette rencontre des possibilités diversifiées de l'Imaginaire l'amena à repérer "de vastes constellations d'images structurées par des symboles convergents", ce qui fondait la tripartition réflexologique, (côté pulsion individuelle, imaginaire radical disait Castoriadis) qu’il déclinait en posturale : redressement, phallique, digestive, orale, intime, rythmique, copulative et sociologique (régimes diurne et nocturne). On voyait là poindre l'absolue nécessité d'une transdisciplinarité, pour au carrefour de ces régimes, mieux saisir la portée et l'amplitude des champs de l'imaginaire. 6 Les structures anthropologiques de l'Imaginaire, Paris, Dunod, 1969. 7 ibidem p.39 8 Durand Gilbert, Champs de l'imaginaire, Grenoble, Ellug, 1996 , p.220 4 1) les structures anthropologiques de l’Imaginaire. Cela l'amenait à envisager trois régimes de l'imaginaire, véritables clefs de lecture du donné mondain à tous les niveaux : Les structures diurnes de l'imaginaire qu'il classait en symboles regroupés autour des visages du temps, systèmes d'images polarisés autour de l'antithèse Lumière / Ténébres manifestes dans les symboles : thériomorphes, issus de symboles animaux comme ceux qui fondent le totémisme, nyctomorphes, symbolisant le temporel des ténèbres, catamorphes, ou symboles de la chute. Ils s’expriment dans des images Ascensionnelles, (la verticalité, l'aile, le chef), spectaculaires, (la lumière, l'œil), diaïrétiques (ce qui tranche et purifie telles les armes contondantes), ils expriment la fuite devant le Temps, la victoire sur la Mort. Régime diurne et structures schizomorphes sont marqués par la géométrie, l'antithèse, l'historicité, le pragmatisme. Appartient à ce régime la science positive fondée sur le régime diurne de la conscience. Elle agit comme structure polarisante du champ des images, dominante certes, dans nos sociétés contemporaines, mais relative si on la met en perspective. Elle détermine des attitudes sociales qui sont la perte de contact avec la réalité dans la faculté de recul, l'attitude abstractive, marque de l'homme réfléchissant en marge du monde, dans un souci obsessionnel de la distinction, que Gilbert Durand nommait "géométrisme morbide", exacerbation des dualismes. Les structures mystiques de l'Imaginaire appartiennent au régime nocturne des images, elles conjuguent volonté d'union, goût de l'intimité et inversion et se déclinent en quatre schèmes: Redoublement, euphémisation persévération, avec une tendance pathologique dite « persévération perceptive ». emboîtement, quand par exemple les récits de mer, racontent l’histoire de poissons avaleurs /avalés ou quand ceux qui évoquent la Terre Mère montrent la redondance d’images de cavernes, à l’origine de nos maisons et de nos berceaux comme des tombeaux. confusion, quand contenant et contenu sont inextricablement mêlés par exemple quand nombre de conduites sociales manifestent un refus de sortir des images familiales et douillettes. 5 En découle le thème de la viscosité (repris et développé plus tard par Michel Maffesoli), lequel est repérable dans l'emploi des verbes: lier, attacher, accoler. Sur le plan social, c'est un régime affectif, perceptif. Gilbert Durand montre ainsi que Van Gogh a peint de multiples ponts ayant toujours le même caractère et décrit chez cet artiste un monde pictural où règne le visqueux. C’est encore une structure agglutinante ayant pour vocation de lier, d'atténuer les différences. Le réalisme sensoriel, reconnu dans la vivacité des uploads/Philosophie/gilbert-durand-ou-le-nouvel-esprit-anthropologique.pdf
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- Publié le Sep 03, 2021
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