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Toute reproduction ou publication interdite sans l’accord de l’auteur En cas de citation d’extrait(s), indiquer les références précises du présent article : auteur, titre, page, année et source électronique L’apport de Bergson à Lavelle : le réalisme spirituel De la Leçon inaugurale que Louis Lavelle donna le 2 décembre 1941 au Collège de France, et qui eut lieu moins d’un an après la mort d’Henri Bergson, on peut extraire trois passages qui sont témoins d’un héritage spirituel fort entre l’éminent philosophe disparu et son deuxième successeur (après Édouard Leroy) sur la chaire de philosophie du Collège de France. Le premier passage est relatif aux cours que donna Bergson au Collège, et dont Lavelle dit qu’ils « attiraient autrefois notre jeunesse par cette sorte de secret spirituel qu’ils laissaient pressentir et que nous n’achevions jamais de convertir en doctrine »1. C’est un indice du désir qu’a eu Lavelle d’aller plus avant dans l’élucidation de ce « secret spirituel ». Le second passage est relatif à la difficulté de caractériser la philosophie bergsonienne, dont la « fluidité presque immatérielle » cache une rigueur qui déjoue les pièges d’une analyse qui serait trop assurée de ses propres concepts mais qui cependant ne laisse aucun doute sur la continuité du réel qu’elle ne cesse d’ausculter : « Il n’y eut jamais sans doute d’esprit plus attentif au réel qu’Henri Bergson, plus soucieux de ne le jamais quitter, plus exact à le décrire, plus subtil à saisir toutes ses nuances, à distinguer de ses assises profondes les formes passagères qui le dissimulent et avec lesquelles on le confond presque toujours »2. Quelles sont ces « assises profondes » du réel sinon des entités spirituelles, telles que le moi et les autres, qu’il est impossible de capter dans des concepts ? Enfin le troisième passage dissuade de voir dans le bergsonisme une philosophie du devenir, mais plutôt, à la suite de Péguy, le renversement des rapports entre le présent et le temps, puisque c’est le présent qui engendre le temps et non l’inverse. Et Lavelle d’ajouter : « Peut-être même que pour saisir la signification la plus profonde de la pensée bergsonienne il faudrait, au lieu de regarder vers l’avenir comme vers le terme de toutes les espérances et de toutes les promesses, regarder vers le passé qui, loin d’être un passé révolu, est un passé vivant où tout retourne à la fin, non point comme on le croit, pour y mourir, mais pour nous donner la possession spirituelle de tout notre présent ». D’où ces dernières lignes qui achèvent l’évocation de Bergson dans cette Leçon inaugurale : « Ce serait Matière et Mémoire plutôt que L’Évolution créatrice qui serait alors le grand livre d’Henri Bergson et on peut penser qu’il n’a point encore achevé de nous livrer tout son secret »3. 1 L. Lavelle, L’Existence et la Valeur, documents et inédits du Collège de France, 1991, p.18-19. 2 ibid. , p.19-20 3 ibid., p.20 Toute reproduction ou publication interdite sans l’accord de l’auteur En cas de citation d’extrait(s), indiquer les références précises du présent article : auteur, titre, page, année et source électronique Que pouvons-nous faire de mieux, pour tenter de mesurer l’héritage que Lavelle reçut de Bergson, sinon de commenter ces trois passages, en nous interrogeant d’abord sur ce qu’ont pu signifier pour Lavelle les cours de Bergson au Collège de France, puis sur le réalisme spirituel qui est comme la doctrine commune à Bergson et à Lavelle, enfin sur cette prééminence du passé sur l’avenir, dont Lavelle ne craignait pas de dire qu’il la devait également à Bergson. Les cours de Bergson au Collège de France En 1900, quand Bergson est nommé professeur au Collège de France, où il était déjà suppléant sur une chaire de philosophie antique, le nouveau professeur de philosophie pure pouvait déjà se prévaloir de trois livres : sa thèse, L’Essai sur les données immédiates de la conscience (1889), un recueil d’articles auquel il donna pour titre Matière et mémoire (1896), et un autre recueil également collecté pour la publication, Le Rire (1900). Personne, dans le monde philosophique français, ne pouvait ignorer ce penseur qui, ayant déjà passé la quarantaine, s’affirmait comme le plus original des philosophes français de son époque. Or qui était Lavelle, en cette année 1900 ? C’était un jeune homme de 17 ans, qui venait de passer son bac, et de décrocher le premier accessit au Concours général de philosophie. Pour débuter une carrière de philosophe, rien de mieux que d’entrer, comme Bergson l’avait fait, à l’École Normale Supérieure. Mais après un an d’hypokhâgne à Lyon, Louis Lavelle souffrait de la vie d’internat et d’une excessive extension du programme du concours. Il obtint une bourse d’études pour entrer à la Faculté, où il suivit les cours d’Arthur Hannequin. Il reconnaissait d’ailleurs, en 1937, qu’« Hannequin exerçait sur tous ses élèves une action très puissante, à la fois par la vigueur de la pensée et par l’enthousiasme qui l’animait…. Il était kantien, et pendant très longtemps, a ajouté Lavelle, j’ai vécu dans l’atmosphère du Kantisme »4. Voilà qui n’inclinait guère le jeune philosophe vers le bergsonisme. Mais Marc Franconi, qui fut à Lyon le condisciple de Lavelle, à raconté, au Colloque International d’Agen en 1985, que le jeune Lavelle mena à Lyon une vie de bohème, rendue presque obligatoire, ajoutait-il par amitié, étant donné la modicité de sa bourse5. Si Lavelle fut marqué, au plan des idées, par l’idéalisme kantien, sa conduite morale d’alors ne relevait en 4 Radio-Dialogue, réalisé par Frédéric Lefèvre au moment de la parution de De l’Acte en 1937, cité par J. École, Louis Lavelle et le renouveau de la métaphysique de l’être au XXe siècle, Olms, 1997, p.17. 5 M. Santoni, « Les Purgatoires » dans Louis Lavelle, Actes du Colloque International d’Agen, 27-29 septembre 1985, pp.57-60. Toute reproduction ou publication interdite sans l’accord de l’auteur En cas de citation d’extrait(s), indiquer les références précises du présent article : auteur, titre, page, année et source électronique rien de l’impératif catégorique. Franconi me raconta, un jour, que le jeune Lavelle était nietzschéen, et, ajoutait-il, libertaire en politique. Les allusions postérieures à Nietzsche, dans l’œuvre de Lavelle, rendent très vraisemblable ce témoignage, qui est d’ailleurs confirmé par Marie et Claire Lavelle dans l’Introduction qu’elles ont donnée aux Carnets de guerre (1915- 1918) du philosophe6. À l’époque de la rédaction de ces Cahiers, Lavelle s’était déjà converti au spiritualisme. Cependant Lavelle n’oublia jamais que le philosophe a un corps, et que la voix du corps peut parler en lui tout autant que la voix de l’esprit. Peut-être est-ce de cette ancienne vie tumultueuse que Lavelle tira son talent de moraliste, un moraliste qui parle d’expérience, et non à partir des livres. Toujours est-il que l’existence n’est jamais, pour Lavelle, coupée de la vie dans le sens usuel, c’est-à-dire psycho-corporel, de ce terme. On trouve dans le Radio-dialogue, déjà cité plus haut, que Lavelle tint en 1937 avec le journaliste Frédéric Lefèvre les lignes suivantes qui montrent que Lavelle ne devait sa vocation philosophique qu’à lui-même, nullement à des maîtres ni à des auteurs qu’il pouvait lire : « Les seules choses qui m’aient jamais intéressé, ce sont, non pas les connaissances que nous pouvons apprendre et qui renouvellent sans cesse notre curiosité, mais les sentiments qui nous découvrent à nous-mêmes et les relations vivantes qui nous unissent aux êtres qui nous entourent. Aujourd’hui encore je pense que c’est là la véritable réalité dont la vie est faite. Peut-être faut-il dire que la pensée philosophique n’est elle-même rien de plus que l’approfondissement d’une certaine émotion que la vie nous donne, dont l’intensité varie, mais qui ne nous quitte jamais. Or l’émotion la plus ancienne que je retrouve dans mes souvenirs est d’une extrême simplicité mais d’une extrême acuité : c’est celle de faire partie du monde, non pas seulement comme une chose parmi les choses, mais comme un être qui peut dire moi, qui dispose d’une initiative qui lui est propre et qui, par l’usage qu’il en fait, est capable de changer le monde… »7 Si l’on tient compte de l’originalité de cette vocation philosophique, alors l’attirance qu’elle put éprouver pour l’enseignement de Bergson apparaît tout à fait naturelle. Lavelle ne fit pas le voyage de Lyon à Paris mais, quand il se trouva en poste à Laon, en 1906, après avoir été admissible à l’agrégation de philosophie, il alla suivre des cours à Paris « ceux de Hamelin et de Brunschvicg à la Sorbonne, nous dit-on, et celui de Bergson au Collège de France »8. Quand on a 23 ans, on peut éprouver de telles affinités, qui affermissent une vocation, et on 6 M. et C. Lavelle, « Introduction » dans Carnets de guerre 1915-1918, Québec-Paris, 1985, p.9-10. 7 ibid., p.14-15. 8 ibid., p.10. Toute reproduction ou publication interdite sans l’accord de l’auteur En cas de citation d’extrait(s), indiquer les références précises du présent article : auteur, titre, page, année et source électronique peut s’instruire du mode d’exposition de nouveaux maîtres. De ces nouveaux uploads/Philosophie/ l-x27-apport-de-bergson-a-lavelle-le-realisme-spirituel.pdf
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- Publié le Nov 15, 2021
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