Jean Piaget LA REPRÉSENTATION DU MONDE CHEZ L'ENFANT Introduction. Les problème
Jean Piaget LA REPRÉSENTATION DU MONDE CHEZ L'ENFANT Introduction. Les problèmes et les méthodes Le problème dont nous nous proposons l’étude est l’un des plus impor- tants, mais aussi l’un des plus difficiles de la psychologie de l’enfant quelles sont les représentations du monde que se donnent spontanément les enfants au cours des différents stades de leur développement intellectuel ? Ce pro- blème se présente sous deux aspects essentiels. C’est, d’une part, la question de la modalité de la pensée enfantine : quels sont les plans de réalité sur la- quelle se meut cette pensée ? Autrement dit, l’enfant a-t-il, comme nous, la croyance à un monde réel et distingue-t-il cette croyance des diverses fictions de son jeu ou de son imagination ? Dans quelle mesure l’enfant distingue-t-il le monde extérieur d’un monde interne ou subjectif, et quelles coupures fait-il entre le moi et la réalité objective ? Toutes ces questions constituent un premier problème, celui de la réalité chez l’enfant. Une seconde question fondamentale est liée à celle-là c’est celle de l’ex- plication chez l’enfant. Quel emploi l’enfant fait-il des notions de cause et de loi ? Quelle est la structure de la causalité enfantine ? On a étudié l’ex- plication chez les primitifs, l’explication dans les sciences, les divers types d’explications philosophiques. L’enfant nous offrira-t-il un type original d’explication ? Autant de questions qui constituent un second problème : celui de la causalité enfantine. C’est de la réalité et de la causalité chez l’en- fant que nous entendons traiter dans ce livre, ainsi que dans un ouvrage ultérieur La causalité physique chez l’enfant. On le voit d’emblée, ces problèmes sont distincts de ceux que nous avons étudiés au cours d’un ouvrage précèdent 1. Alors que nous nous proposions l’analyse de la forme 1. Etudes sur la logique de l’enfant : vol. I : Le langage et la pensée chez l’enfant (que nous désignerons par les initiales L. P. ) ; vol. II : Le jugement et le raisonnement chez l’enfant (que nous désignerons par J. R. ). Neuchâtel et Paris, Delachaux & Niestlé éd., 1923 et 1924. Chapitre d'introduction à l'ouvrage sur La représen- tation du monde chez l'enfant, Alcan, 1926, 3e édition identique, PUF, 1947, pp. 5-30. La présente version électronique a été réalisée par les soins de la Fondation Jean Piaget pour recher- ches psychologiques et épistémologiques Fondation Jean Piaget et du fonctionnement de la pensée enfantine, nous abordons maintenant l’analyse de son contenu. Les deux questions se touchent de près mais peu- vent sans trop d’arbitraire être distinguées. Or la forme et le fonctionnement de la pensée se découvrent chaque fois que l’enfant entre en contact avec ses semblables ou avec l’adulte : elle est une manière de comportement social, qui peut s’observer du dehors. Le contenu, au contraire, se livre ou ne se livre pas, suivant les enfants et suivant les objets de la représentation. Il est un système de croyances intimes, et il faut une technique spéciale pour arri- ver à les dépister. Il est surtout un système de tendances, d’orientations d’es- prit, dont l’enfant lui-même n’a jamais pris conscience et n’a jamais parlé. Dès lors il n’est pas seulement utile, il est indispensable de s’entendre avant toutes choses sur les méthodes que nous comptons employer pour l’étude des croyances enfantines. Pour juger de la logique des enfants, il suffit souvent de causer avec eux ; il suffit aussi de les observer entre eux. Pour juger de leurs croyances, il faut une méthode spéciale, dont nous avouons d’emblée qu’elle est difficile, laborieuse, et qu’elle nécessite un coup d’oeil supposant au moins une ou deux bonnes années d’entraînement. Les alié- nistes accoutumés à la clinique comprendront immédiatement pourquoi. Pour apprécier à sa juste valeur tel propos d’enfant, il faut prendre, en effet, des précautions minutieuses. Ce sont ces précautions dont nous voudrions dire tout d’abord quelques mots, car, à les ignorer, le lecteur risquerait de fausser complètement le sens des pages qui vont suivre et risquerait surtout de dénaturer les expériences que nous avons faites, s’il se décide, comme nous l’espérons, à les reprendre et à les contrôler lui-même. § 1. LA MÉTHODE DES TESTS, L’OBSERVATION PURE ET LA MÉTHODE CLNIQUE. - La première méthode que l’on soit tenté d’employer pour ré- soudre le problème qui nous occupe est celle des tests, qui consiste à sou- mettre l’enfant à des épreuves organisées de manière à satisfaire aux deux conditions suivantes : d’une part, la question reste identique pour tous les sujets, et se pose toujours dans les mêmes conditions ; d’autre part, les ré- ponses données par les sujets sont rapportées à un barème ou à une échelle permettant de les comparer qualitativement ou quantitativement. Les avan- tages de cette méthode sont indiscutables pour le diagnostic individuel des enfants. Pour la psychologie générale, les statistiques obtenues donnent sou- vent des renseignements utiles. Mais, pour les problèmes qui nous occupent, on peut reprocher aux tests deux inconvénients notables. Le premier est de ne pas permettre une analyse suffisante des résultats obtenus. A opérer tou- jours en conditions identiques, on obtient des résultats bruts, intéressants pour la pratique, mais souvent inutilisables pour la théorie, faute de contexte suffisant. Mais cela n’est encore rien, car on conçoit qu’à force d’ingéniosité on arrive à varier les tests jusqu’à déceler toutes les composantes d’une atti- tude psychologique donnée. Le défaut essentiel du test, dans les recherches qui nous occupent, est de fausser l’orientation d’esprit de l’enfant qu’on in- terroge, ou du moins de risquer de la fausser. Nous nous proposons, par exemple, de savoir comment l’enfant conçoit le mouvement des astres. Nous posons la question « qu’est-ce que c’est qui fait avancer le soleil ? ». L’enfant nous répondra, par exemple, « c’est le Bon Dieu qui le pousse » ou « c’est le vent qui le pousse », etc. Il y aura là des résultats qu’il ne faut pas négliger de connaître, même s’ils sont dus à de la fabulation, c’est-à-dire à cette tendance qu’ont les enfants à inventer des mythes lorsqu’ils sont embarrassés par une question donnée. Mais, aurait-on testé ainsi les enfants de tous âges, l’on ne serait guère avancé, car il se peut faire que l’enfant ne se soit jamais posé la question de la même manière et même qu’il ne se la soit jamais posée du tout. Il se peut fort bien que l’enfant conçoive le soleil comme un être vivant dont le mouvement va de soi. En demandant « qui est-ce qui fait avancer le soleil ? », on suggère d’emblée l’idée d’une oeuvre extérieure et on provoque le mythe. En demandant « comment avance le soleil ? », on suggère peut-être au contraire un souci du « comment » qui n’existait pas non plus et on pro- voque d’autres mythes : « le soleil avance en souillant », « avec la chaleur », « il roule », etc. Le seul moyen d’éviter ces difficultés est de faire varier les ques- tions, de faire des contre-suggestions, en bref, de renoncer à tout question- naire fixe. Le cas est le même en pathologie mentale. Un dément précoce peut avoir une lueur ou une réminiscence suffisante, pour dire qui est son père, bien qu’il se croie habituellement issu d’une souche plus illustre. Mais le vrai pro- blème est de savoir comment la question se posait dans son esprit et si elle se posait. L’art du clinicien consiste, non à faire répondre, mais à faire parler librement et à découvrir les tendances spontanées au lieu de les canaliser et de les endiguer. Il consiste à situer tout symptôme dans un contexte mental, au lieu de faire abstraction du contexte. 6 REPRÉSENTATION DU MONDE CHEZ L'ENFANT INTRODUCTION 7 Bref, le test est utile à de nombreux points de vue. Mais, pour notre pro- pos, il risque de fausser les perspectives en déviant l’orientation d’esprit de l’enfant. Il risque de passer à côté des questions essentielles, des intérêts spontanés et des démarches primitives. Recourons donc à l’observation pure. Toute recherche sur la pensée de l’enfant doit partir de l’observation, et revenir à elle pour contrôler les expé- riences que cette observation a pu inspirer. Or, en ce qui concerne les pro- blèmes que nous nous poserons dans notre recherche, l’observation nous offre une source de documentation de première importance. C’est l’étude des questions spontanées des enfants. L’examen détaillé du contenu des ques- tions révèle les intérêts des enfants aux différents âges et nous indique nom- bre de problèmes que se pose l’enfant, auxquels nous n’aurions jamais pensé ou que nous n’aurions jamais posés dans les mêmes termes. L’étude de la forme même des questions, surtout, montre quelles sont les solutions impli- cites que se donnent les enfants, car presque toute question contient sa solu- tion par la manière dont elle est posée. Ainsi, lorsqu’un enfant demande « qui fait le soleil ? » il semble bien qu’il conçoive le soleil comme dû à une activité fabricatrice. Ou encore, lorsqu’un enfant demande pourquoi il y a deux Sa- lève, uploads/Philosophie/ piaget-jean-la-representation-du-monde-chez-l-x27-enfant-intro-pdf.pdf
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- Publié le Sep 13, 2021
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