J. KRISHNAMURTI Cette lumière en nous La vraie méditation TRADUIT DE L’ANGLAIS

J. KRISHNAMURTI Cette lumière en nous La vraie méditation TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR COLETTE JOYEUX STOCK « L'illumination n'est pas localisable », extrait d'une causerie publique à San Francisco, le 18 mars 1973, © 1973/1998, Krishnamurti Foundation Trust Ltd. L’ILLUMINATION N’EST PAS LOCALISABLE Nous aurions tout intérêt à examiner les liens existant entre religion et vie quotidienne, et à nous demander si elle existe — ou non —, cette dimension défiant toute description, cet état où l'esprit transcende toute notion de temps. On peut appeler cela l’illumination, la réalisation de la vérité suprême. L'esprit humain pourra-t-il jamais rencontrer cette chose indéfinissable qui est incorruptible, qui n'émane pas de cet esprit humain ni de sa pensée, qui existe forcément, et qui donnera à la vie un parfum, un charme, une beauté inimitables ? Il suffit de suivre l'itinéraire de l’homme à tra­ vers l'histoire, pour s'apercevoir qu'il n’a cessé de chercher, par toutes sortes de voies diverses, un ailleurs, quelque chose qui transcende la vie ordinaire, le monde d’ici-bas. Il a tout essayé, le jeûne, la mortification, il s'est livré à toutes sortes de pratiques névrotiques, vénérant les héros de légende, se soumettant à l'autorité de ceux qui disaient : « Suis-moi, je connais le che­ min. » L’homme, en Orient comme en Occident, s'est toujours interrogé sur ces questions. Les intellectuels, les philosophes, les psychologues et les psychanalystes considèrent cette attitude comme une quête névrotique totalement dénuée de valeur. A leurs yeux, c’est de l'hysté­ rie, de la comédie, c’est une chose à éviter à tout prix. Et parce qu’ils voient autour d’eux toutes sortes d’inepties revendiquées au nom de la religion, toutes sortes de comportements incroyables, sans raison logique ni base solide, ils préfèrent s’adresser à des individus prêts à se conformer aux schémas établis, ou qui leur paraissent justes. Vous avez sans doute été témoin de nombreux exemples de ce type. Mais l’intellect ne représente qu’une partie de notre vie. Certes, il a droit à une place normale, mais, partout dans le monde, les hommes ont toujours accordé une énorme importance à l’intellect, à l’aptitude au raisonnement, à la logique, à la capacité de fonder leur action sur la raison et la logique. Or les êtres humains ne sont pas de simples entités intellectuelles, des êtres complexes à tout point de vue. L’homme — vous l’aurez sans doute remarqué — est à la recherche de quelque chose qui soit à la fois rationnel et porteur d'un sens profond qui ne doive rien à l’intellect ; et il poursuit cette quête depuis les temps les plus reculés. La reli­ gion établie, elle, est un commerce, un vaste mécanisme visant à conditionner l’esprit hu­ main en fonction de certaines croyances, de cer­ tains dogmes ou rituels et de certaines supersti­ tions. C’est un commerce très lucratif, auquel nous adhérons parce que nos vies sont tellement creuses. Notre existence n’a ni grâce ni beauté, nous avons donc soif de légendes romanesques et mystiques. Et nous vénérons les légendes, les 120 Cette lumière en nous L’illumination n'est pas localisable 121 mythes, mais tous les édifices — d’ordre maté­ riel ou psychologique — que l’homme a bâtis n’ont absolument aucun lien avec l’ultime réa­ lité. Qu’est-ce donc qu'un esprit qui s'est libéré de tout le poids d’effort porté par les hommes, qui s’est délesté de tout ce qu’a créé l’homme dans sa quête de ce qu’il nomme réalité ? Nous abor­ dons ici l’une des choses les plus difficiles à mettre en mots. Certes, les mots sont indispen­ sables, mais la communication ne passe pas que par les mots, elle est aussi non verbale. Autre­ ment dit, il faut que l’orateur et vous-même vous interrogiez en même temps, à niveau égal, avec la même intensité. Alors une communion est possible entre l’un et l’autre. Nous essayons de communier, non seulement de façon non ver­ bale, mais aussi à travers les mots, autour de cette question immensément complexe, ce qui suppose de faire preuve d’une pensée lucide et objective, mais aussi d’aller au-delà du seuil de la pensée. La méditation n'est pas faite pour les indivi­ dus immatures. Certes, ils peuvent jouer à médi­ ter, ce qui est très répandu de nos jours : on s'assoit en lotus, on respire d’une certaine façon, on reste en équilibre sur la tête ou on ingère des drogues, tout cela dans le but de faire une expé­ rience originale. Ce n’est ni par les drogues, ni par le jeûne, ni par un quelconque système que l’on peut rencontrer l’étemel, l'absolu qui défie le temps. Il n’existe aucun raccourci pour y accéder. Il faut travailler dur : il faut prendre conscience, et ce, sans la moindre distorsion, de ce qu’on fait, de ce qu'on pense. Ce qui suppose 122 Cette lumière en nous une grande maturité, pas celle qui vient avec l’age, mais celle qui fait que l’esprit est capable d'observer vraiment, de voir le faux pour ce qu’il est, de voir le vrai au sein du faux, de voir la vérité en tant que telle. C'est cela, la maturité, que ce soit sur la scène politique, dans le monde des affaires ou dans vos relations. Le mot méditation vous est sans doute fami­ lier, peut-être avez-vous lu des choses à ce sujet, ou suivi les pas d’un gourou qui vous disait ce qu’il y avait à faire. J’aimerais tellement que vous n’ayez jamais entendu ce mot, car c’est alors en toute fraîcheur d’esprit que vous vous interrogeriez. Certaines personnes vont en Inde, mais j’ignore pourquoi elles y vont ; la vérité n’est pas là-bas — le romanesque, oui, mais le romanesque n’est pas la vérité. La vérité est là où vous êtes. Elle ne se trouve pas dans quelque pays étranger, elle est là où vous êtes. La vérité, c’est ce que vous faites en ce moment même, c’est la façon dont vous vous conduisez. Elle est là, elle n’a rien à voir avec le fait de se raser le crâne ni avec toutes ces stupidités auxquelles l’homme s’est toujours livré. Mais pourquoi méditer ? Ce mot signifie peser, réfléchir, examiner, percevoir, être lucide. Pour voir les choses en toute lucidité, sans aucüne distorsion, il faut être pleinement cons­ cient de son environnement, de son condition­ nement. En avoir simplement conscience, sans vouloir le changer, le modifier, le transformer ou s’en affranchir, mais observer, c’est tout. Et tout en observant, voir clairement et sans aucune distorsion tout le contenu de sa conscience — là commence et finit la méditation. Le pre­ mier pas est aussi le dernier. Pourquoi méditer, et qu’est-ce que la médita­ tion ? S'il vous est arrivé de regarder par la fenêtre le matin, de voir la beauté extraordi­ naire de la lumière matinale, des montagnes au loin, et de la lumière sur l'eau, et d’observer, sans le moindre mot, sans vous dire : « Comme tout cela est beau ! », si vous avez su observer de manière absolue, en étant totalement atten­ tif dans cette observation, cela n’a pu se faire que grâce au silence absolu de votre esprit. Sinon, on ne peut ni observer ni écouter. La méditation, c’est donc cette qualité d’attention et de silence total qui envahit l'esprit. Ce n’est qu’alors que l’on peut voir la fleur, toute sa beauté, sa couleur, sa forme, ce n’est qu’alors que s’abolit la distance qui vous sépare de la fleur. Non que l’on s’identifie pour autant à la fleur, mais l’élément de temps, la distance entre vous et l’objet disparaissent. Et l’on ne peut observer de manière claire et lucide que lorsque l’observation est non verbale, impersonnelle, mais attentive, et que ce centre qu’est le « moi » a disparu. Voilà ce qu’est la méditation. Mais la question de savoir s’il existe une observation sans distorsion, sans intervention du langage ou de la mémoire sous forme de « moi », soulève énormément d’interrogations. Car cela suppose que toute interférence de la pensée dans l’observation soit impérativement exclue. Il faut donc observer sans qu’interfère la moindre image dans notre relation à l’autre, il faut observer l’autre en faisant abstraction de toutes les images que nous nous sommes for­ L'illumination n 'est pas localisable 123 124 Cette lumière en nous gées à son propos. J’ignore si vous avez déjà essayé. L’image, c'est « vous », ce « vous » qui a accumulé diverses impressions, diverses réac­ tions au sujet de l'autre ; voilà de quoi est faite l'image que vous avez de lui, et qui vous sépare de lui. Cette division est source de conflit. Mais lorsque toute image est absente, vous pouvez observer l’autre avec une qualité d’attention totale, imprégnée d’amour, de compassion, et donc exempte de tout conflit. Voilà en quoi consiste l'observation sans l’observateur. C’est de la même façon qu’il faut observer une fleur, par exemple, et tout ce qui nous entoure, sans nous en dissocier, car cette division sous-entend le conflit, et tant que la pensée aura cette impor­ tance, cette division persistera. Or, pour la plu­ part d’entre nous, uploads/Philosophie/ l-x27-illumination-n-x27-est-pas-localisable.pdf

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