07/12/2019 L’influence vivante du personnalisme de Mounier sur la philosophie e

07/12/2019 L’influence vivante du personnalisme de Mounier sur la philosophie esthétique et la poésie de Léopold Sédar Senghor https://journals.openedition.org/contextes/5592?lang=en 1/19 COnTEXTES Revue de sociologie de la littérature 12 | 2012 : L'engagement créateur L’influence vivante du personnalisme de Mounier sur la philosophie esthétique et la poésie de Léopold Sédar Senghor Nʃʆʋʃ Yʃʎʃ Kʋʕʗʍʋʆʋ Abstract Léopold Sédar Senghor fut profondément influencé par le personnalisme de Mounier. Cette influence est manifeste dans sa philosophie de l’art, qui accorde à l’art une dimension humaniste. Les points de rencontre entre la négritude de Senghor et le personnalisme de Mounier se centrent essentiellement autour du problème de la finalité de l’art et de la vocation du poète, dans l’espace sociopolitique. Pour les deux auteurs, l’art joue un rôle dans le renouveau civilisationnel qu’ils appellent tous deux contre le monde capitaliste de l’argent et la négation culturelle opérée par l’entreprise coloniale. Cette compréhension commune de la destination de l’art laisse apparaître, bien plus qu’une influence du personnalisme sur la pensée de Senghor, mais bien plutôt quelque chose comme une affinité. Leopold Sendar Senghor was deeply influenced by Mounier’s personalism. This influence is obvious in his aesthetic philosophy, in which art has a humanistic sense. The dialogue between Senghor’s philosophy of negritude and Mounier’s personalism is based on the problems of the finality of art and the vocation of the poet in the social world. According to the two thinkers, art has to play a capital role in the renewing of civilisation, against the capitalistic world of money and the process of cultural negation embodied by the colonisation. This mutual understanding of art’s destination shows more than a personalistic influence on Senghor’s thought, but something like a real affinity between his philosophy and Mounier’s one. Index terms Mots-clés : Senghor (Léopold), Mounier (Emmanuel), Personnalisme, Négritude, Art, Catholicisme 07/12/2019 L’influence vivante du personnalisme de Mounier sur la philosophie esthétique et la poésie de Léopold Sédar Senghor https://journals.openedition.org/contextes/5592?lang=en 2/19 Full text Alors président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor relate avec précision son parcours intellectuel et les influences qui traversèrent sa pensée de la négritude dans un ensemble de lettres précieuses qu’il adressa à Jacques-Louis Hymans, auteur d’une thèse importante sur le président-poète, publiée en 1971, en anglais, sous le titre Leopold Sédar Senghor. An intellectual biography1. Dans une première lettre, datée du 22 octobre 19632, Senghor évoque l’influence effective qu’eurent deux grands penseurs catholiques sur son évolution intellectuelle : Jacques Maritain, entre 1932 et 1940, puis le Père Teilhard de Chardin, dès 1950 et, plus profondément encore, en 1955, quand ses œuvres furent publiées aux Éditions du Seuil3. A l’ombre de ces pensées s’en profile une autre, dont Senghor semble toutefois amoindrir la portée : celle de Mounier et de la revue Esprit. Ce jugement de Senghor sur l’importance de la pensée de Mounier dans son cheminement intellectuel semble pourtant devoir être nuancé : on sait qu’en 1963, Senghor est en conflit ouvert avec Esprit – ce qu’il ne manque pas de noter dans sa lettre4, critiquant au passage la nouvelle direction de la revue, tenue alors par Jean- Marie Domenach5. Cependant, un an plus tard, Senghor nuance son jugement en précisant le poids effectif du personnalisme de Mounier sur sa pensée, dans une lettre datée du 5 décembre 1964. 1 Il écrit : « À première vue, les vivants m’ont toujours très peu influencé. […] Parmi les vivants, la seule influence véritable que j’ai éprouvée fut celle d’Emmanuel Mounier6. » Le propos est ainsi clair, l’influence d’un Maritain ou d’un Teilhard de Chardin est celle d’une autre génération de penseurs, faisant figure de maîtres pour le jeune intellectuel se formant dans les années 1930 et 1940, en France. Or l’influence de Mounier qu’évoque Senghor n’est pas du même type : elle désigne un dialogue vivant, direct et véritable, avec un philosophe de sa génération7. 2 Sur quoi se fonde ce dialogue vivant ? Quel peut-être son objet ? Quelle forme prend- il ? 3 Ce triple questionnement appelle d’emblée quelques remarques d’ordre méthodologique et exige de prendre en compte un paradoxe, qui constitue, en fait, une sérieuse difficulté. 4 Penser un dialogue vivant entre Senghor et Mounier peut orienter notre étude sur deux chemins. Le premier est celui de l’étude historique, recherchant les communications concrètes, les entrevues entre les deux penseurs – entreprise engageant immédiatement de croiser les biographies de Mounier et de Senghor8. Le second consiste à étudier les convergences et les divergences des deux pensées. Certes, on pourrait aisément rétorquer qu’en droit, la première étude, tissant un lien direct, empirique entre les deux auteurs, fonde la seconde ; cependant ce qu’appelle la deuxième méthode – celle d’un rapprochement par convergence ou divergence – c’est une confrontation directe des textes théoriques des deux auteurs, confrontation ayant pour tâche de relever les problèmes communs à leurs entreprises philosophiques et de comparer les concepts qu’ils ont été amenés à créer pour les résoudre. 5 Analyser l’influence de Mounier sur la pensée de Senghor exige, ici, ce second travail quasi archéologique (au sens où il s’agit de retrouver des traces, ou des nœuds explicites de confrontation permettant de saisir la manière dont se construit une pensée) de comparaison des textes théoriques, philosophiques et littéraires. Cependant, devant cette tâche se dresse très vite un paradoxe, qui constitue, en soi, une difficulté de taille. Si Senghor parle d’une influence de Mounier dans son cheminement intellectuel, ses textes théoriques, politiques et esthétiques, n’évoquent jamais, de manière frontale, la pensée personnaliste. Et Mounier lui-même, s’il parle, en découvrant Joal, de la « patrie de [son] ami Senghor9 », dans L’Éveil de l’Afrique noire, n’engage pas plus, dans ses grandes œuvres philosophiques, d’analyse serrée des thèses de la négritude senghorienne. 6 Où peut donc se situer le lieu de ce dialogue, de cette influence vivante qu’évoque Senghor ? Quelle forme prend cette inspiration personnaliste qui participa, d’une façon certaine, mais à un degré qu’il faut définir, à la constitution de sa philosophie ? 7 07/12/2019 L’influence vivante du personnalisme de Mounier sur la philosophie esthétique et la poésie de Léopold Sédar Senghor https://journals.openedition.org/contextes/5592?lang=en 3/19 1. La rencontre de Mounier et de Senghor autour d’une conception humaniste de l’art Repérer ce lieu suppose d’abord, et de façon nécessaire, de saisir la nature des enjeux philosophiques de la négritude senghorienne, loin des polémiques ou des accusations massives, parfois pertinentes, parfois rapides, dont elle a pu faire l’objet. Et là où le sens philosophique de la négritude senghorienne se développe de manière intégrale, comme le montre Souleymane Bachir Diagne dans son livre Léopold Sédar Senghor. L’art africain comme philosophie, c’est dans son déploiement comme herméneutique et philosophie de l’art10. Philosophie de l’art qui assigne une vocation éthique et métaphysique à l’art, au poète, et qui, à travers cette double dimension, entre en résonance vivante avec la philosophie personnaliste de Mounier, qui attribue aussi à l’art, à la poésie, un statut éthique et métaphysique singulier. 8 Ainsi, une des premières formes que pourrait revêtir ce dialogue direct entre les deux auteurs prendrait corps au sein d’une communauté de problèmes, et, peut-être même, d’une communauté de visions posant les jalons d’une théorie de l’art, centrée sur les questions de sa finalité et de la vocation du poète, de l’artiste au sein de l’espace sociopolitique. 9 Mounier et Senghor défendent, en effet, une certaine vérité de l’art, sous-tendue par un impératif éthique et une anthropologie métaphysique appelant à concevoir l’homme à partir de ce qui le dépasse. Chez Senghor, la question de l’art, en tant qu’elle peut porter les traces d’une inspiration personnaliste, a un véritable enjeu pour la constitution de sa philosophie de la négritude : elle contribue, sur un mode concret et pratique, à consolider une orientation qu’elle partage avec la pensée de Mounier, celle de son affirmation comme philosophie humaniste, en un sens qu’il faudra préciser. 10 La mise à l’épreuve de cette hypothèse de lecture de la négritude senghorienne se concentrera ainsi autour des trois questions suivantes : 1/ Pourquoi la question de l’art constitue-t-elle un lieu de rencontre privilégié entre la négritude de Senghor et le personnalisme de Mounier ? ; 2/ Quelle compréhension précise de la finalité de l’art est engagée par les deux auteurs ? ; 3/ Et, de là, comment conçoivent-ils la vocation du poète, d’un point de vue sociopolitique, face au processus de dépersonnalisation capitaliste et colonial ? 11 Mounier fonde la revue Esprit en 1932 – revue au sein de laquelle il élabore, aux côtés d’autres publications, les orientations conceptuelles de sa philosophie personnaliste. Senghor, arrivé en France en 1928, publie son premier article11 en 1935 dans une revue, éphémère, L’Étudiant Noir, qu’il fonda alors avec Aimé Césaire12. Chez Senghor commencent à se dessiner les linéaments de cette philosophie humaniste, qui prendra le nom de négritude13. Senghor et Mounier construisent ainsi leurs pensées respectives dans les années 1930. Elles sont traversées, en grande partie, par les mêmes héritages intellectuels14, ainsi que par des orientations politiques (parenté avec une gauche non marxiste) et spirituelles (importance de la foi chrétienne catholique) communes. 12 uploads/Philosophie/ l-x27-influence-vivante-du-personnalisme-de-mounier-sur-la-philosophie-esthetique-et-la-poesie-de-leopold-sedar-senghor.pdf

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