1957-05-09 L’INSTANCE DE LA LETTRE DANS L’INCONSCIENT OU LA RAISON DEPUIS FREUD
1957-05-09 L’INSTANCE DE LA LETTRE DANS L’INCONSCIENT OU LA RAISON DEPUIS FREUD 1 « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud » fut prononcé à Paris le 9 mai 1957 devant le Groupe de philosophie de la Fédération des étudiants ès lettres Sorbonne. Il fut d’abord publié dans La psychanalyse (daté du 14-26 mai 1957), 1957, n° 3, Psychanalyse et sciences de l’homme, pp. 47-81 avant de paraître en 1966, dans Écrits, Paris, Seuil, coll. « Le champ freudien ». C’est la première publication que nous vous proposons. (47)L’INSTANCE DE LA LETTRE DANS L’INCONSCIENT OU LA RAISON DEPUIS FREUD Par Jacques Lacan Des enfants au maillot O cités de la mer, je vois chez vous vos citoyens, hommes et femmes, les bras et les jambes étroitement ligotés dans de solides liens par des gens qui n’entendront point votre langage, et vous ne pourrez exhaler qu’entre vous, par des plaintes larmoyantes, des lamentations et des soupirs, vos douleurs et vos regrets de la liberté perdue. Car ceux-là qui vous ligotent ne comprendront pas votre langue, non plus que vous ne les comprendrez. (Carnets de Léonard DE VINCI, Codice Atlantico 145. r. a., trad. Louise Servicen, Gallimard, t. II, p. 400). Si le thème de ce volume 3 de La Psychanalyse me commandait cette contribution, je dois cette déférence à ce qui va s’y découvrir, de l’introduire en la situant entre l’écrit et la parole : elle sera à mi-chemin. L’écrit se distingue en effet par une prévalence du texte, au sens qu’on va voir prendre ici à ce facteur du discours, – ce qui y permet ce resserrement qui à mon gré ne doit laisser au lecteur d’autre sortie que son entrée, que je préfère difficile. Ce ne sera donc pas ici un écrit à mon sens. La priorité que j’accorde à nourrir mes leçons de séminaire d’un apport à chaque fois inédit, m’a empêché jusqu’à ce jour d’en donner un tel texte, sinon pour l’une d’entre elles, quelconque au reste dans leur suite, et à quoi il ne vaut ici de se reporter que pour l’échelle de leur topique. (48)Car l’urgence où je prends maintenant prétexte de laisser là cette visée, ne fait que recouvrir la difficulté qu’à la soutenir à l’échelle où je dois ici présenter mon enseignement, elle ne passe trop loin de la parole, dont les mesures différentes sont essentielles à l’effet de formation que je cherche. C’est pourquoi j’ai pris ce biais d’un entretien qui me fut demandé à cet instant par le groupe de philosophie de la Fédération des étudiants ès-lettres1, pour y prendre l’accommodation propice à mon exposé : sa généralité nécessaire trouvant à s’accorder au caractère extraordinaire de leur audience, mais son objet unique rencontrant la connivence de leur qualification commune, la littéraire, à quoi mon titre fait hommage. Comment oublier en effet que Freud a maintenu constamment et jusqu’à sa fin l’exigence première de cette qualification pour la formation des analystes, et qu’il a désigné dans l’universitas litterarum de toujours le lieu idéal pour son institution2. Ainsi le recours au mouvement restitué à chaud de ce discours, marquait-il de surcroît, par ceux à qui je le destine, ceux à qui il ne s’adresse pas. Je veux dire : personne de ceux qui, pour quelque fin que ce soit dans la psychanalyse, tolèrent que leur discipline se prévale de quelque fausse identité. 1. Le topo eut lieu le 9 mai 1957 à l’amphithéâtre Descartes à la Sorbonne et la discussion s’en poursuivit devant des pots. 2. Die Frage der Laienanalyse, G.W., XIV, pp. 281-283. 1957-05-09 L’INSTANCE DE LA LETTRE DANS L’INCONSCIENT OU LA RAISON DEPUIS FREUD 2 Vice d’habitude et tel en son effet mental que la vraie même puisse y paraître un alibi parmi les autres, dont on espère au moins que le redoublement raffiné n’échappe pas aux plus subtils. C’est ainsi qu’on observe avec curiosité le virage qui s’amorce concernant la symbolisation et le langage dans l’Int. J. Psychoanal., à grands renforts de doigts humides remuant les folios de Sapir et de Jespersen. Ces exercices sont encore novices, mais c’est surtout le ton qui n’y est pas. Un certain sérieux fait sourire à rentrer dans le véridique. Et comment même un psychanalyste d’aujourd’hui ne s’y sentirait-il pas venu, à toucher à la parole, quand son expérience en reçoit son instrument, son cadre, son matériel et jusqu’au bruit de fond de ses incertitudes. (49)I. – LE SENS DE LA LETTRE Notre titre fait entendre qu’au delà de cette parole, c’est toute la structure du langage que l’expérience psychanalytique découvre dans l’inconscient. Mettant dès l’abord l’esprit prévenu en alerte, de ce qu’il peut avoir à revenir sur l’idée que l’inconscient n’est que le siège des instincts. Mais cette lettre comment faut-il la prendre ici ? Tout uniment, à la lettre. Nous désignons par lettre ce support matériel que le discours concret emprunte au langage. Cette simple définition suppose que le langage ne se confond pas avec les diverses fonctions somatiques et psychiques qui le desservent chez le sujet parlant. Pour la raison première que le langage avec sa structure préexiste à l’entrée qu’y fait chaque sujet à un moment de son développement mental. Notons que les aphasies, causées par des lésions purement anatomiques des appareils cérébraux qui donnent à ces fonctions leur centre mental, s’avèrent dans leur ensemble répartir leurs déficits selon les deux versants de l’effet signifiant de ce que nous appelons ici la lettre, dans la création de la signification3. Indication qui s’éclairera de ce qui va suivre. Le sujet aussi bien, s’il peut paraître serf du langage, l’est plus encore d’un discours, dans le moment universel duquel sa place est déjà inscrite à sa naissance, ne serait-ce que sous la forme de son nom propre. La référence à l’expérience de la communauté comme à la substance de ce discours, ne résout rien. Car cette expérience prend sa dimension essentielle dans la tradition qu’instaure ce discours. Cette tradition, bien avant que le drame historique ne s’y inscrive, fonde les structures élémentaires de la culture. Et ces structures mêmes révèlent une ordination des échanges qui, fût-elle inconsciente, est inconcevable hors des permutations qu’autorise le langage. D’où résulte qu’à la dualité ethnographique de la nature et (50)de la culture, est en passe de se substituer une conception ternaire : nature, société et culture, de la condition humaine, dont il se pourrait bien que le dernier terme se réduisît au langage, soit à ce qui distingue essentiellement la société humaine des sociétés naturelles. Mais nous ne prendrons ici ni parti ni départ, laissant à leurs ténèbres les relations originelles du signifiant et du travail. Nous contentant, pour nous acquitter d’une pointe avec la fonction générale de la praxis dans la genèse de l’histoire, de relever que la société même qui aurait restauré dans son droit politique avec le privilège des producteurs, la hiérarchie causatoire des rapports de production aux superstructures idéologiques, n’a pour 3. Cet aspect, très suggestif à renverser la perspective de la « fonction psychologique » qui obscurcit tout en cette matière, apparaît lumineux dans l’analyse purement linguistique des deux grandes formes de l’aphasie qu’a pu ordonner l’un des chefs de la linguistique moderne, Roman Jakobson. Cf. au plus accessible de ses ouvrages, Fundamentals of Language (avec Morris Halle), Mouton and Co, ‘S-Gravenhage, les chapitres I à IV de la Deuxième Partie. 1957-05-09 L’INSTANCE DE LA LETTRE DANS L’INCONSCIENT OU LA RAISON DEPUIS FREUD 3 autant pas enfanté un esperanto dont les relations au réel socialiste eussent mis dès la racine hors de débat toute possibilité de formalisme littéraire4. Nous ne nous fierons quant à nous qu’aux seules prémisses, qui ont vu se confirmer leur prix de ce que le langage y a effectivement conquis dans l’expérience son statut d’objet scientifique. Car c’est là le fait par quoi la linguistique5 se présente en position pilote dans ce domaine autour de quoi un reclassement des sciences signale, comme il est de règle, une révolution de la connaissance : les nécessités de la communication seules nous le faisant inscrire au chapiteau de ce volume sous le titre de « sciences de l’homme », malgré la confusion qui peut trouver à s’y couvrir. Pour pointer l’émergence de la discipline linguistique, nous dirons qu’elle tient, comme c’est le cas de toute science au sens moderne, dans le moment constituant d’un algorithme qui la fonde. Cet algorithme est le suivant : s S (51)qui se lit : signifiant sur signifié, le sur répondant à la barre qui en sépare les deux étages. Le signe écrit ainsi, mérite d’être attribué à Ferdinand de Saussure, bien qu’il ne se réduise strictement à cette forme en aucun des nombreux schémas sous lesquels il apparaît dans l’impression des leçons diverses des trois cours des années 1906-07, 1908-09, 1910-11, que la piété d’un groupe de ses disciples a réunies sous le titre de Cours de linguistique générale : publication primordiale à transmettre un enseignement digne de ce nom, c’est-à-dire qu’on ne peut arrêter que sur son propre mouvement. uploads/Philosophie/ l-x27-instance-de-la-lettre-dans-l-x27-inconscient-lacan.pdf
Documents similaires










-
58
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Fev 19, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.3363MB