© Éditions Albin Michel, 2017 ISBN : 978-2-226-42441-9 Je pense alors aux proce
© Éditions Albin Michel, 2017 ISBN : 978-2-226-42441-9 Je pense alors aux processions de la lumière Dans le pays sans naître ni mourir. Yves Bonnefoy, Hier régnant désert I. Le « monde de la résurrection » Nous présentons notre traduction d’une œuvre du philosophe et théologien Ṣadr al-Dīn Muḥammad Shīrāzī, surnommé « le chef de file des métaphysiciens » ou familièrement Mullā Ṣadrā : L’Épître du rassemblement des choses (Risāla ḥashr al-ashyā’). Nous avons publié, voilà seize ans, aux éditions Fata Morgana, une première traduction de ce texte sous le titre Traité de la résurrection, précédée d’un essai intitulé Se rendre immortel. Le présent ouvrage renouvelle entièrement notre approche et notre interprétation. S’il ne rend pas inutile notre précédent essai de compréhension du traité de Mullā Ṣadrā, il étudie la signification de ce texte à nos yeux capital dans une perspective sensiblement différente. Mullā Ṣadrā est né à Shiraz en l’an 979 du calendrier hégirien, correspondant à l’an 1571 ou 1572, dans les dernières années du règne de Shāh Ṭahmāsp. Ce prince safavide fit en sorte de briser les courants inspirés par le soufisme et le shīʽisme extrémiste, qui voyaient en lui l’apparition du Mahdī, de l’imām caché. C’est donc dans une atmosphère hostile aux élans révolutionnaires et messianiques si puissants au début de la conquête safavide que le jeune Mullā Ṣadrā fut éduqué. Fils unique, il fut encouragé dans ses études par son père, un des personnages importants à la cour. Lorsqu’en 995/1587 Shāh ʽAbbās monta sur le trône, Mullā Ṣadrā se rendit à Qazwīn, la capitale, pour y étudier sous la direction de deux maîtres, tous deux influents auprès du prince : Shaykh Bahā’ al-Dīn al- ʽĀmilī et Muḥammad Bāqir Astarābādī, surnommé Mīr Dāmād ou encore « le troisième maître ». Ces deux éminents savants et hommes de cour suivirent le shāh à Ispahan, la nouvelle capitale. C’est en 1010/1601 que Mullā Ṣadrā, revenu à Shiraz, connut en cette cité les déboires dont l’Épître du rassemblement offre des échos, au point de se retirer, non loin de la ville sainte de Qom, dans le petit village de Kahak. Lors de sa retraite, qui dura cinq ans, Mullā Ṣadrā entreprit la rédaction de son ouvrage majeur, Les Quatre Voyages (Asfār). Entre Shiraz et Qom, s’ensuivit une existence itinérante, ponctuée par la rédaction de ses ouvrages exégétiques, de ses courts traités de métaphysique et de ses autres œuvres. En 1040/1630, Mullā Ṣadrā accepta de se rendre à Shiraz à la demande du gouverneur du Fars, qui lui confia la Madrasa-ye Khān, un majestueux centre d’enseignement scientifique et philosophique. La date de sa mort est controversée. La date la plus souvent acceptée est 1050/1640 ou 1641, mais un témoignage du petit-fils de Mullā Ṣadrā permettrait de penser que ce dernier mourut cinq années plus tôt. Mort lors de son septième pèlerinage à La Mecque, à Bassora, il y aurait été inhumé 1. L’œuvre de Mullā Ṣadrā est immense. Elle parachève l’histoire de la philosophie islamique, en intégrant les enseignements de la philosophie avicennienne, de la philosophie illuminative de Suhrawardī, du soufisme d’Ibn ʽArabī. Peu de noms de philosophes éminents ou de maîtres spirituels du soufisme sunnite, peu de maîtres canoniques ou de traditionnistes imamites échappent à la connaissance de notre philosophe qui se veut universelle. Tous les registres de l’écriture métaphysique lui sont précieux, la somme démonstrative, le traité consacré à un aspect doctrinal, la poésie didactique, le commentaire coranique, le commentaire des dits et traditions des imāms. La cohérence de sa doctrine s’exprime singulièrement dans les courts traités, denses et allusifs, auxquels appartient L’Épître du rassemblement, qui a valeur de testament philosophique et spirituel. L’Épître du rassemblement n’a cessé de nous occuper au long de nos travaux consacrés à son auteur, l’un plus grands philosophes de l’islam après Avicenne, le dernier à proposer un système intégral du savoir philosophique en islam. C’est sans hésiter que nous avons préféré à la refonte de notre ancien ouvrage une traduction et une lecture nouvelles de L’Épître du rassemblement 2. Nous la lisions naguère dans le sillage de la pensée de Suhrawardī, et il est certain que ce texte est tributaire des concepts et des modèles théoriques du fondateur de la philosophie illuminative. Il nous est apparu, de façon toujours plus nette, que cette épître devait être lue aussi dans le sillage des réflexions très nombreuses que Mullā Ṣadrā a consacrées aux textes théologico-politiques de la tradition imamite. Nous avons récemment consacré un volume à cette théologie politique sous le titre : Le Gouvernement divin. Islam et conception politique du monde. Théologie de Mullā Ṣadrā 3. L’Épître du rassemblement est un exposé des divers modes de restauration des êtres, et elle est aussi une exposition métaphysique de la politique divine, une interprétation gnostique de l’esprit messianique du shīʽisme. Nous avons été stimulé par les travaux de François Hartog et par son étude historique des modes de temporalisation du temps. La question qui est posée par l’exégèse de l’apocalyptique coranique nous renvoie, en effet, au titre et à l’objet de l’un de ses livres, Croire en l’histoire 4. Pourquoi Mullā Ṣadrā ne croit-il pas en l’histoire ? Comment l’eschatologie historique du messianisme shīʽite se transforme-t-elle en une gnose « présentiste », où le présent est fort différent du présent historique puisqu’il est éternel, où le centre éternel se déploie en un mouvement anhistorique ? Comment une apocalypse peut-elle se préserver de tout signe du futur ? Nous avons été stimulé, aussi bien, par l’étude des penseurs chrétiens les plus proches de Mullā Ṣadrā qu’il se peut, ceux qui adoptent certains schèmes néoplatoniciens, dans le sillage du Pseudo-Denys. Une vaste enquête, parfois conduite en Iran par des chercheurs comparatistes, permet d’éclairer les desseins de la métaphysique sadrienne. Des travaux ont mis en lumière certaines similitudes avec la pensée de Maître Eckhart, parfois avec celle de Nicolas de Cues. Les analogies entre l’eschatologie de Jean Scot Érigène et celle de Mullā Ṣadrā sont repérables. La question épineuse de l’apocatastase ou restauration intégrale de l’existant, présente chez certains Pères grecs, ne peut manquer d’être évoquée. Ce bref essai introductif ne nous permet pas de développer ces lignes parallèles ou ces convergences que nous avons repérées. Quelques allusions en note peuvent, nous l’espérons, alerter quelque peu le lecteur. Ce court traité se présente sous la forme d’un texte composé de huit sections (fuṣūl) précédées de louanges adressées à Dieu, au prophète Muḥammad et aux imāms, les « hôtes de la demeure prophétique ». Après un exposé synthétique des étapes franchies par le mouvement substantiel de tous les existants lors de leur retour à Dieu, l’épître examine les modes respectifs du « rassemblement », de la conversion des êtres sensibles, psychiques et intelligibles à un degré de l’étant plus élevé, le degré d’être immédiatement supérieur à leur propre existence. L’épître est conclue par un « sceau et testament spirituel ». Le dessein de Mullā Ṣadrā est de démontrer que tout ce qui existe, et qui appartient aux divers degrés du possible en ce monde, périra, mais que la fin de toute chose est aussi le commencement de la résurrection ou du retour de toute chose à l’être sur un mode supérieur. Dans la somme de philosophie intitulée La Science métaphysique dans les quatre voyages de l’intellect 5, citée par son propre auteur de façon abrégée, « les Voyages » (Asfār), laquelle somme est le magnum opus de Mullā Ṣadrā, nous trouvons un texte voisin de la présente épître. La quatrième et dernière partie de la somme est consacrée aux questions concernant l’âme et l’eschatologie. Dans le onzième chapitre qui présente les thèses sadriennes sur la résurrection des corps (le retour corporel, al- maʽād al-jismānī) et sur « les modes d’existence dans l’autre monde et les stations qui s’y rattachent », la section treize s’intitule « Indication du rassemblement de la totalité des existants en Dieu, y compris les minéraux et les plantes, comme le montrent les versets coraniques 6 ». Le titre bref de l’épître, littéralement Le Rassemblement des choses, résume allusivement le titre plus explicite de la section correspondante des Asfār qui a sans doute été rédigée antérieurement. L’épître s’inspire de deux décisions philosophiques explicitées par son auteur dans les Asfār. 1. Le terme arabe traduit par rassemblement, al-ḥashr, est synonyme dans ce contexte philosophique de « retour », d’« unification » et d’« assimilation ». 2. Ce retour est universel, il transforme tous les existants, du plus bas au plus haut. Il s’agit de l’unification croissante de tous les êtres en leurs causes primordiales invisibles, présentes dans la science divine, et du retour graduel de toute chose en Dieu. Cette épître a été rédigée en langue arabe 7. Du motif le plus général, le rassemblement successif et hiérarchisé de toutes les strates de l’existant à la fin des temps, il ressort que l’objet des réflexions de Mullā Ṣadrā est l’exégèse philosophique et mystique des révélations divines, la connaissance spirituelle de la révélation, qui est l’apocalypse ou tableau prophétique des fins dernières de tous les êtres créés. 1. 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- Publié le Oct 17, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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