LA METTRIE (1709-1751), LE MATÉRIALISME CLINIQUE HIPPOCRATE ET PLATON Études de

LA METTRIE (1709-1751), LE MATÉRIALISME CLINIQUE HIPPOCRATE ET PLATON Études de philosophie de la médecine Collection dirigée par Jean Lombard L'unité originelle de la médecine et de la philosophie, qui a marqué l'aventure intellectuelle de la Grèce, a aussi donné naissance au discours médical de l'Occident. Cette collection accueille des études consacrées à la relation fondatrice entre les deux disciplines dans la pensée antique ainsi qu'à la philosophie de la médecine, de l'âge classique aux Lumières et à l'avènement de la modernité. Elle se consacre au retour insistant de la pensée contemporaine vers les interrogations initiales sur le bon usage du savoir et du savoir-faire médical et sur son entrecroisement avec la quête d'une sagesse. Elle vise enfin à donner un cadre au dialogue sur l'éthique et sur l'épistémologie dans lequel pourraient se retrouver, comme aux premiers temps de la rationalité, médecins et philosophes. Déjà parus Jean Lombard, L'épidémie moderne et la culture du malheur, petit traité du chikungunya, 2006. BernardVandewalle, Michel Foucault, savoir et pouvoir de la mé- decine, 2006. Jean Lombard et Bernard Vandewalle, Philosophie de l'hôpital, 2007. Jean Lombard et Bernard Vandewalle, Philosophie de l'épidémie, le temps de l'émergence, 2007. À paraître Gilles Barroux, Philosophie de la régénération: médecine, biolo- gie, mythologie. Simone GOUGEAUD-ARNAUDEAU LA METTRIE (1709-1751), LE MATÉRIALISME CLINIQUE Suivi de Le chirurgien converti Préface de Jocelyn BÉZECOURT L'Harmattan @ L'Harmattan, 2008 5-7, rue de l'Ecole polytechnique; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan 1@wanadoo.fr ISBN: 978-2-296-06007-4 EAN : 9782296060074 PRÉFACE UNE MÉDECINE MATÉRIALISTE L es XVII et XVIIIe siècles sont des siècles de révolutions. La pensée sait désormais le bénéfice qu'il y aurait à rompre avec la vénération appliquée des anciens. Avec Galilée, la mé- canique laisse à quai les dogmes aristotéliciens pour s'engager dans la voie de la libre expérience. Avec Newton, l'astronomie révèle un ciel soumis à des lois plutôt qu'au mystère. Enfin, le peuple construit son monde en l'établissant sur des principes décidés par lui et pour lui: c'est l'indépendance des nouveaux États-Unis d'Amérique et la Révolution française. Ce vaste mouvement d'émancipation intellectuelle a vu le physicien ré- cuser l'argument d'autorité qui le borne, l'astronome décréter la compréhensibilité de domaines inaccessibles autrement que par la force du raisonnement, et l'individu se libérer de la monarchie en désignant ses propres représentants avec pour mission de fonder une société nouvelle au service du peuple et protégée de la tyrannie. Porté par son temps, le médecin devient physicien. Au mystère de la douleur, il substitue la notion de maladie. Le châ- timent, par Dieu ou le Diable, cède la place à la lésion des fonctions ou des organes. Le médecin renoue avec Hippocrate qui rejetait l'idée que le malade payait pour ses fautes, mais les monothéismes convoqueront à nouveau la causalité divine. Le concept de maladie réduit à néant le chantage de la punition en devenant une affection physique mesurable. Le corps devient une machine dont il importe de démonter le mécanisme. La 8 La Mettrie (1709-1751), le matérialisme clinique constatation passive et fataliste du trouble s'efface devant une nouvelle scientificité: l'observation, l'hypothèse, l'expérience et la théorie sont la révolution qui emporte la médecine sur la voie de la raison et de la méthode. La découverte de la circulation sanguine par William Harvey n'en est pas la moindre illustration à une époque où l'Église abhorre le sang. Julien Offray de La Mettrie est de ces innovateurs dont la pratique médicale ne peut faire l'économie du développement d'une pensée philosophique centrée sur l'individu. Le matéria- lisme du médecin malouin, et c'est sa spécificité, n'est pas le résultat d'une réflexion uniquement mûrie dans un cabinet éloi- gné des fracas du monde: c'est sur les champs de bataille des armées de Louis XV qu'il observe les corps, leur douleur, leur rétablissement. Car le médecin est aussi chirurgien et il s'engage avec vigueur dans le débat qui oppose ces deux ordres. Mais un autre débat, plus fondamental, agite le siècle des philosophes, des médecins et des théologiens: l'âme, son immortalité ou, au contraire, sa localisation dans le corps. Avec une exubérance à l'image de son combat contre les préjugés, La Mettrie s'y invite et sa machinerie bouscule: il est vain de chercher l'âme ailleurs que dans la faculté de penser, de sentir. Avec La Mettrie, le matérialisme clinique, il faut remercier Simone Gougeaud-Arnaudeau d'avoir rendu justice à un maté- rialiste majeur : La Mettrie est postérieur à Jean Meslier, mais il précède d'Holbach et L'Encyclopédie. S'il récolta plus de quoli- bets que d'honneurs, l'avenir s'est néanmoins inscrit dans le processus auquel il a courageusement contribué. Dans La Vie du chevalier de Bonnard, Simone Gougeaud-Arnaudeau avait travaillé sur un poète et un pédagogue insuffisamment étudié. Avec La Mettrie, elle poursuit, dans ce fertile XVIIIe siècle, son entreprise de déchiffrement et de popularisation des artisans trop peu connus de l'humanisme des Lumières. Mais l'intérêt porté aux « oubliés» et aux « dédaignés» ne se justifie pas, ici, par le simple désir, qui est celui de l'archi- viste et de l'historien, de combler quelques lacunes. Évoquer la figure du médecin matérialiste répond aujourd'hui à une sorte Une médecine matérialiste 9 d'urgence alors qu'un relativisme culturel, politique, scientifi- que - plutôt antiscientifique en fait - rend tout et son contraire également acceptable et proche de la vérité. Les droits humains trouveraient leurs limites à la porte des communautarismes ; l'irrationnel (du créationnisme, du dessein intelligent, de prati- ques pseudo médicales hasardeuses...) deviendrait une appro- che du réel que le rationalisme et la force de la preuve seraient prétentieux de contester; l'affadissement des convictions politi- ques apparaîtrait comme une marque de tolérance. Affirmer la préexistence de la matière par rapport à la pensée et la cessation de celle-ci quand se disloque celle-là, demeure subversif pour des monothéismes toujours en quête de restauration de leur autorité. L'exigence de matérialisme exprimée par La Mettrie en son siècle conserve donc son actualité face à la somnolence des enthousiasmes et à l'assagissement des controverses. Jocelyn Bézecourt PROLOGUE F ontenoyl. Il mai 1745. Louis avec lejour voit briller dans les airs Les Drapeaux menaçants de vingt Peuples divers.2 La brume matinale s'est dissipée, les deux lignes se trou- vent face à face sur la vaste plaine flamande. C'est le moment légendaire des paroles du comte d'Anterroche, commandant de l'un des corps d'élite, les gardes françaises, s'avançant vers lord Charles Hay: «Messieurs les Anglais! Tirez les pre- miers ! » Dans un instant, ce sera l'assaut, il faut tailler une brèche dans le mur humain, il faut tailler l'ennemi en pièces. Après les tirs d'infanterie, la mêlée à l'arme blanche. La gloire ne retient ni les cris, ni le sang, ni les larmes; elle retiendra les exploits tactiques, les actes dits de bravoure, elle rapportera les bons mots. Un Te Deum célèbrera les belles âmes envolées, sacrifiées à l'ambition des princes. Le curé de Fontenoy ne saura où donner de l'encens3. L'Histoire de France comptera pour cette victoire mémorable 4000 hommes tués ou blessés, 520 officiers tués. Des blessés râlent; celui-ci embroché à la pointe d'une baïonnette comprime ses viscères à deux mains; il faudra am- puter celui-là, fauché par un boulet. Avant de se retirer avec les aides sous la tente des premiers secours, en attendant le trans- 1 Lacolle Noël, Les gardes françaises, leur histoire (J 563- J 789), Paris, 1901. 2 Voltaire,Lepoème sur la bataillede Fontenoy[...], Amsterdam, 1748. 3 Une Requête du curé de Fontenoy au roi, poème facétieux dans lequel le prêtre se plaint d'avoir à faire « plus de huit mille enterrements », attribué à Pierre-Charles Roy, fut prise au sérieux par Louis XV qui assigna une pen- sion au curé du lieu. 12 La Mettrie (1709-1751), le matérialisme clinique port à I'hôpital militaire, Julien Offray de La Mettrie a fait un petit tour, enjambant les corps gémissants. Parmi les uniformes souillés, un rayon de soleil joue malicieusement avec un bou- ton rutilant. Bientôt aux dernières lueurs du couchant, on verra des oiseaux noirs tournoyer au-dessus du champ de carnage. Il y a fort à faire. Pour le médecin attaché au régiment des gardes françaises, ce n'est pas la première bataille. Il connaît déjà les longs et pénibles trajets à pied en queue des colonnes qui, vaillantes au son du tambour, seront bientôt décimées et fertiliseront les plaines d'un sang noirâtre. Deux ans aupara- vant, le 27 juin, il y a eu Dettingen sur le Main où son compa- triote, Marie Jean-Louis de Lambilly, chevalier du Broutay, aide-major, a trouvé la mort, puis le siège de Fribourg, long et meurtrier, à l'automne 1744, où lui-même a failli périr du ty- phus. Du profond affaiblissement dans lequel cette fièvre mali- gne l'a plongé est née sa vocation philosophique avec la cer- titude que l'âme, ainsi qu'on nomme les fonctions psychiques, croît, décroît avec le corps et disparaît avec lui. Voici qu'en cette glorieuse journée, le grenadier Charles Joseph Hyacinthe de Lambilly, frère du chevalier, est blessé mortellement, il va lui aussi rendre l'âme. Le Ciel sauve à son gré, donne et suspend la mort. Julien Offray de La uploads/Philosophie/ la-mettrie-1709-1751-le-materialisme-clinique-pdf.pdf

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