L es voix qui s’expriment ici entendent demeurer dans les parages de la déconst
L es voix qui s’expriment ici entendent demeurer dans les parages de la déconstruction, et notamment de la pensée de Jacques Derrida. Autrement dit, elles ne séjournent pas sur le lieu même, mais restent dans le voisinage théorique d’une réflexion exigeante où l’expérience concrète – celle de l’art en particulier – précède toujours le passage au concept, loin de toute systématisation abstraite. Il ne s’agit pas de « déconstruire » une esthétique ou une philosophie de l’art, que l’auteur de La vérité en peinture a bien pris garde, au de- meurant, de ne jamais élaborer, mais de s’approprier au plus juste les traces qu’il nous a léguées pour assurer notre pré- sence dans le monde contemporain. ISBN 978-2-85944-948-3 ISSN 1255-183X Prix 19 € sous la direction de Vangelis Athanassopoulos et Marc Jimenez LA PENSÉE COMME EXPÉRIENCE sous la direction de Vangelis Athanassopoulos et Marc Jimenez Philosophie Contributions de : Vangelis Athanassopoulos, Jean-Marie Brohm, Michel Gaillot, Christophe Genin, Marc Jimenez, Jacinto Lageira, Apostolos Lampropoulos, Anna Longo, Benjamin Riado et Isabelle Rieusset-Lemarié. PUBLICATIONS DE LA SORBONNE LA PENSÉE COMME EXPÉRIENCE PUBLICATIONS DE LA SORBONNE Préface de Jean-Luc Nancy Esthétique et déconstruction Série Philosophie – 38 Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne sous la direction de Vangelis Athanassopoulos et Marc Jimenez Ouvrage publié avec le concours de la Commission de la recherche de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et avec le soutien de l’équipe Æsthetica de l’Institut Acte (Arts, créations, théories esthétiques), UMR 8218, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/CNRS Publications de la Sorbonne 2016 La pensée comme expérience Esthétique et déconstruction © Publications de la Sorbonne, 2016 212, rue Saint-Jacques, 75005 Paris www.publications-sorbonne.fr Loi du 11 mars 1957 Les opinions exprimées dans cet ouvrage n’engagent que leurs auteurs. « Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle de la présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microflmage, scannérisation, numérisation…) sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Il est rappelé également que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économique des circuits du livre. » ISBN 978-2-85944-948-3 ISSN 1255-183X Avant-propos Vangelis Athanassopoulos Qu’est-ce qu’une expérience ? Quelque chose que l’on a, ou quelque chose que l’on fait ? Car, même si l’on peut penser que l’on ne peut vraiment en avoir que dans la mesure où l’on entre dans un commerce actif et efectif avec le réel, il n’est pas moins vrai que le « faire » d’une expérience présup- pose – contient en lui-même, comme sa condition de possibilité – de s’abs- tenir de la posséder comme un bien cumulable. « Faire » une expérience, c’est reconnaître un arrêt ou un pli dans le continuum spatiotemporel, un arrêt ou un pli qui, tout en étant historiquement déterminable et dans la mesure même où il l’est, accuse le nom même d’« expérience » qu’on lui donne comme tentative contradictoire de catégoriser et de cumuler ce qui, précisément, se donne comme non catégorisable – car non pas diférent du reste une fois pour toutes, mais chaque fois diférent de lui-même. Faire et avoir, expérimentation ou accumulation, événement et/ou connais- sance, tel semble être le double bind, ou double contrainte, qui constitue le rapport esthétique à l’art et au sensible : L’esthétique soufre d’une dualité déchirante. Elle désigne d’une part la théorie de la sensibilité comme forme de l’expérience possible ; d’autre part la théorie de l’art comme réfexion de l’expérience réelle. Pour que les deux sens se rejoignent, il faut que les conditions de l’expérience en général deviennent elles-mêmes conditions de l’expérience réelle ; l’œuvre d’art, de son côté, apparaît alors réellement comme expérimentation 1. Certes, le réel doit être possible (n’est-ce pas la vocation de la théorie – de la connaissance en général – de comprendre comment ?) et le possible contient en lui-même la dynamique – le potentiel – de sa réalisation (n’est- ce pas la pratique de l’art qui montre l’efectivité de cette dynamique – ou comment ce potentiel peut-il se matérialiser historiquement ?). Cependant, il reste que ces quelques mots de Deleuze sont susceptibles d’être lus de deux manières : d’une part, s’agirait-il de rendre réel ce qui n’est encore que possi- bilité, faire coïncider ce que l’expérience pourrait (ou devrait être) avec ce 1. Gilles Deleuze, Logique du sens, Paris, Éditions de Minuit, p. 300. vangelis athanassopoulos 6 qu’elle est ; d’autre part, rendre le réel lui-même possible, c’est-à-dire incer- tain, éventuel, contingent, mais aussi tirer l’expérience réelle du néant de l’indistinction et de l’équivalence (de l’accumulation), la dédoubler pour lui permettre d’accéder à l’existence en tant qu’expérience, faire deux pour en avoir une (double), choisir la possibilité de choisir et rejeter son impos- sibilité, ou plutôt l’accepter, comme une négation dont dépend la possi- bilité initiale même de choix – c’est peut-être ça que Deleuze appelle une « expérimentation ». Aux origines de l’esthétique en tant que discipline philosophique, la double contrainte permet de fonder simultanément l’autonomie de son objet et sa propre autonomie, le jugement esthétique kantien n’étant soumis ni à l’entendement et ses déterminations conceptuelles ni à la sensation et ses séductions matérielles. Or, de Schiller à Adorno, en passant par Hegel, elle cesse d’être l’instrument qui trace les limites extérieures d’une région séparée de l’expérience pour se déplacer vers l’acte même de cette séparation, désignant désormais, au sein de l’expérience esthétique, ce qui la voue à ce qu’elle ne peut plus, ou pas encore, être – la contradiction entre la radicale autonomie de l’art et la promesse d’une émancipation politique et sociale 2. En même temps, la question que la théorie pose à l’expérience, on est en droit de la poser à la théorie elle-même : le discours esthétique serait-il de l’ordre du faire ou de l’avoir ? La tentative de catégorisation serait-elle consubstantielle au processus d’accumulation ? Qu’est-ce que la théorie fait à l’expérience – et à l’expérience artistique plus particulièrement – et comment s’en trouve-t-elle afectée en retour ? Ces questions traversent, sous des formes variées, l’ensemble des textes rassemblés ici, balisant le terrain de la rencontre entre l’esthétique et la déconstruction. Car au-delà (ou plutôt en deçà) de la reconnaissance de la place privilégiée qu’occupent l’art et l’expérience esthétique dans le corpus déconstructif, et notamment dans le travail de Jacques Derrida, ainsi que des tensions créées par la remise en cause radicale, opérée par ce dernier, du logo- centrisme et des distinctions métaphysiques sur lesquels se fonde le discours esthétique, il nous semble que la tâche par excellence que la déconstruction s’est donnée est celle de penser le double bind de la pensée comme expé- rience, d’une pensée qui fait dans sa confrontation avec l’art l’expérience de ses propres limites – les limites de la pensée et de l’expérience, c’est- à-dire pas seulement les limites entre elles, mais aussi leurs limites à elles – en même temps que celle de ses conditions de possibilité. Le point de départ du présent ouvrage a été le colloque international Esthétique et déconstruction. Parages de l’art et de la philosophie organisé à l’UFR 2. Voir Jacques Rancière, Malaise dans l’esthétique, Paris, Galilée, 2004. avant-propos 7 Arts plastiques et Sciences de l’art de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne les 6 et 7 décembre 2012. S’appuyant sur une sélection de communications présentées lors de cette manifestation, auxquelles sont venues s’ajouter des études inédites, ce volume (qui doit beaucoup aux échanges et discussions qui y ont eu lieu, notamment avec Luc Lang et Michel Salsmann, que nous tenons tout particulièrement à remercier) se propose d’interroger à nouveaux frais l’apport de la critique déconstructive à la théorie de l’art, en explo- rant autant les regions instables de leur interpénétration que les contradic- tions qui surgissent à l’endroit de leur rencontre. Tout en rendant compte des facteurs qui ont souvent polarisé le débat entre les esthéticiens et les déconstructeurs, il s’agit de tenter d’en déconstruire les plans hiérarchiques, et de remettre ainsi à jour l’agenda de la pensée esthétique dont les enjeux contemporains, marqués indissociablement par l’extension sans précédent de son champ de questionnement et par le déf corrélatif de son efectivité analytique et critique, appellent de nouvelles articulations. L’un des motifs les plus saillants de cette polarisation a été l’association du terme de déconstruction à celui de postmodernisme – de Gianni Vattimo à Hal Foster, en passant par Arthur Danto 3. Or, cette association constitue simultanément l’une des plus grandes chances et l’un des accidents les plus handicapants pour la déconstruction : si elle est en grande partie à l’ori- gine de la réputation internationale de Derrida et du large retentissement de sa pensée en dehors des canaux (et des canons) philosophiques tradition- nels, elle n’en a pas moins été source de détournements, de malentendus, de raccourcis et de simplifcations qui passent souvent à côté des enjeux posés par le processus déconstructif, quand ils n’en usent pas comme légi- timation théorique d’un conservatisme intellectuel et du uploads/Philosophie/ la-pensee-comme-experience-2.pdf
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- Publié le Fev 17, 2022
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