M. Robert Vivès La prédication nominale et l'analyse par verbes supports In: L'

M. Robert Vivès La prédication nominale et l'analyse par verbes supports In: L'Information Grammaticale, N. 59, 1993. pp. 8-15. Citer ce document / Cite this document : Vivès Robert. La prédication nominale et l'analyse par verbes supports. In: L'Information Grammaticale, N. 59, 1993. pp. 8-15. doi : 10.3406/igram.1993.3136 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/igram_0222-9838_1993_num_59_1_3136 LA PREDICATION NOMINALE ET L'ANALYSE PAR VERBES SUPPORTS Robert VIVES Dans les lignes qui suivent, nous présenterons des faits de langue et leur analyse dans une perspective lexico- syntaxique qui nous paraît importante pour la syntaxe théorique. En même temps, cette approche introduit une clarification et une cohérence utiles dans l'enseignement de la grammaire de la langue maternelle, et aussi dans l'enseignement des langues étrangères, à l'école, au collège ou au lycée. 1. LA NOTION DE PHRASE SIMPLE Les linguistes s'accordent en général sur l'idée qu'il convient d'étudier la nature et le fonctionnement des relations syntaxiques (/'. e. celles qui unissent les mots entre eux pour former des sens énonçables), dans un cadre minimal permettant de saisir ces relations et ces fonctionnements sans que leur observation soit perturbée par des phénomènes qui ne leur sont pas directement liés. C'est la démarche des sciences expérimentales (1) où l'on isole un phénomène pour l'étudier. Ce cadre minimal est celui de ce qu'on appelle la phrase simple, la phrase de base, la phrase noyau ou encore la phrase élémentaire, avec de nombreuses variantes terminologiques dans les définitions qu'on peut en donner, mais un accord de fait sur un certain nombre d'évidences. La phrase : (1) J'ai dit au fils de la concierge de l'immeuble que tu as visité hier qu'à mon avis, elle devrait ménager ses efforts n'est visiblement pas une phrase simple, dans tous les sens du terme, si on la compare à : (2) Luc chante une chanson Sans entrer dans trop de détails, on peut dire que (1) est composée de plusieurs formes minimales telles que (2). Si l'on souhaite étudier les relations syntaxiques existant dans la suite de quatre mots de (2), il faut au préalable répondre à deux questions : 1) Ces mots ont-ils le même statut dans la phrase qu'ils forment ? Sont-ils équivalents et interchangeables ? 1 . Par rapport aux sciences expérimentales traditionnelles comme la physique, la chimie ou la biologie, la linguistique, et en particulier la syntaxe, se différencient dans leur mode d'expérimentation, qui consiste à opérer des manipulations raisonnées sur les objets de l'étude linguistique et à prononcer sur les résultats obtenus des jugements de grammaticalité et d'interprétabilité censés être aussi objectifs et reproductibles que possible. 2) Ces mots sont-ils suffisants pour fournir le contexte minimal requis pour l'étude des relations syntaxiques qui les unissent ? Les réponses à ces questions sont évidentes pour qui a étudié la grammaire : 1) Les quatre mots, qui forment trois groupes (Luc, chante, une chanson), ne sont pas sur le même plan : - le mot-pivot est le verbe chanter, il porte des marques de temps et d'aspect liées à l'intention énonciative, des marques de personne et de nombre qui lui sont transmises par son sujet grammatical ; - ce mot-pivot sélectionne la nature lexico-sémantique des mots qui l'accompagnent : on peut dire en effet que seul un homme, un phonographe ou un perro quet peut « chanter » au sens de cette phrase, et que le seul « objet chantable » est une « chanson », terme générique, ou n'importe quel terme désignant un « objet chanson » particulier (« La Marseillaise », par ex.) , ou encore n'importe quel terme désignant un texte qui peut faire office de chanson (« la table de multiplication par neuf », « le monologue du Cid » ou la « Déclaration des droits de l'homme »). Nous dirons donc que (2) est une phrase simple en proposant la définition suivante (cf. Harris, 1976 ; Gross M., 1975 ; Boons, Guillet, Leclère, 1976 a et b) : Une phrase simple est composée d'un élément prédicatif et de ses arguments. Dans notre exemple, l'élément prédicatif est chante et ses arguments sont Luc et une chanson. Autrement dit, cette phrase simple a comme prédicat un verbe, chanter, et ce verbe a deux arguments, ses actants syntaxiques, le sujet et l'objet direct. 2) Il n'est pas sûr que ces quatre mots constituent l'ensemble minimal suffisant pour étudier leurs relations syntaxiques. En effet, un autre élément est possible dans (2), qui donne ainsi lieu à (3) : (3) Luc chante une chanson à sa fille Il faut donc poser une troisième question : 3) Quel est le nombre des arguments de chanter ? Autrement dit, il faut déterminer, pour chaque élément prédicatif, quelle est la phrase simple « maximale » à laquelle il peut donner lieu, c'est-à-dire la phrase L'Information grammaticale n° 59, octobre 1993 comprenant tous ses arguments possibles et rien qu'eux. La réponse à cette question n'est pas triviale, puisque l'on sait que des arguments peuvent être facultatifs et que certains éléments figurant dans la phrase peuvent n'avoir qu'un lien syntaxique secondaire, accessoire avec l'ensemble de la phrase. Dans notre exemple, en comparant les propriétés de (2), (3), (4) et (5) : (4) Luc chante une chanson à la tombée de la nuit (5) Renaud chante à sa fille qu'il l'aimera toujours on peut facilement montrer que chanter est un verbe à trois arguments : (i) son sujet est un mot désignant un homme, un appareil ou un animal capable de reproduire la voix humaine ; (ii) son objet direct peut être, d'une part un mot du lexique désignant des chansons ou des textes, mais aussi, d'autre part, une proposition complétive ; (iii) son troisième argument, le complément datif introduit par la preposition à, désigne obligatoirement un être humain, ou un objet auquel on prête ce caractère (« à sa poupée », par exemple, qui est possible dans (3)). On remarque immédiatement que cette définition générale de la structure lexico-syntaxique de chanter présente peut-être un défaut. Le complément datif, à Nhumain, est lié à la nature lexico-sémantique du sujet : (6a) ?Le juke-box chantait un blues aux clients du bar est une phrase bizarre par rapport à (6b) Le juke-box chantait un blues qui paraîtrait tout à fait naturelle dans un roman. On pourrait dire que (6b) est une métaphore modifiant la structure lexico-syntaxique de (3), qui se caractériserait alors par cette nouvelle définition de son premier argument : (i') les sujets de chantersont uniquement des « animés », comme le montre, parallèlement à (3) la phrase conforme aux usages du français « Le perroquet chante la Marseil laise à son maître ». La présence d'un sujet non animé rend agrammatical le complément datif à Nhumain carac térisé en (iii). On peut présenter ces notions à l'aide de symboles : Prédicat (ARGO, ARG1, ARG2) en numérotant les arguments à partir de zéro et à partir de la gauche, sens de notre lecture. L'ordre Sujet-Verbe- Objet (SVO) étant prépondérant en français, ARGO sera le sujet, ARG1 le premier complément, etc. Ou en indiquant, tels qu'ils se présentent, la nature des éléments constituant la phrase de base : Luc chante une chanson à sa fille NO V N1 Prép N2 Ou en notant de façon plus précise : NOHum chanter N1 chanson à N2Hum où N1 chanson indique la classe lexico-sémantique des N1 possibles (on dira que chanson est un « classifieur », Cf. Guillet, 1986). Pour clore cette présentation de la notion de phrase simple, il reste à évoquer deux faits. Le premier concerne un autre emploi, c'est-à-dire une autre structure syn taxique de chanter, caractérisée par d'autres propriétés de nombre et de distribution lexico-syntaxique des arguments. Il s'agit d'un emploi à un seul argument, NO V, correspondant aux exemples : (7a) Le (rossignol + merle + ...) chante (7b) La (bouilloire + scie + ...) chante Ces phrases n'acceptent pas de complément direct ni de complément indirect en à comme ceux de la phrase (3). C'est sans doute à cause de cela que le sens peut être paraphrasé par « émettre un (bruit + cri) mélodieux », qui ne s'applique pas à la phrase (3). Ce second emploi de chanter (chanter2) peut également donner lieu à des métaphores qui, comme celle du « juke-box » citée plus haut, ont une explication lexico-syntaxique (en l'occur rence, un jeu sur la nature et le nombre des arguments, cf. Boons, 1971) rendant compte de l'effet poétique ou amusant des exemples suivants : L'alouette chante son chant d'amour à l'univers tout entier La bouilloire chante à Agatha que l'eau est prête pour le thé Le deuxième fait concerne l'exemple suivant : (8) Luc chante les louanges de Paul à Lucie Cet exemple présente la même forme de surface que : Luc chante les chansons de Brassens à sa fille phrase identique, en apparence, à (3), qui constitue l'emploi n° 1 de chanter (chanterl). L'existence des phrases permises et interdites suivantes : *Luc chante une louange de Paul à Lucie Paul est l'objet des louanges de Luc *Brassens est l'objet des chansons de Luc Luc adresse des uploads/Philosophie/ la-predication-nominale-et-l-x27-analyse-par-verbes-supports.pdf

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