1 INTRODUCTION GENERALE 2 Au début de ce troisième millénaire gros d’ahurissant
1 INTRODUCTION GENERALE 2 Au début de ce troisième millénaire gros d’ahurissantes possibilités technologiques, s’il est une mondialisation dont il messied de parler, c’est sans conteste celle de la mort triomphante qui s’affirme comme la loi universelle du monde à laquelle l’humanité est condamnée à se soumettre. Bien qu’elle soit excédée par son « aventure mortelle »,1 il n’en demeure pas moins vrai qu’elle « ne se lassera jamais de poursuivre l’immortalité »2 dont elle sera dépossédée par « l’omniprésence de la mort ».3 Considérée comme la seule valeur suprême à laquelle toutes les autres sont subordonnées, la Faucheuse ne saurait être « le néant axiologique par excellence, le cimetière des vains espoirs et des craintes superflues ».4 Il s’en faut de beaucoup qu’elle soit réductible à une non-valeur dans l’exacte mesure où son omnipotence se joue de la vie qui apparaît comme l’unique bien auquel le roseau mortel s’attache. Or, c’est à le priver de cette existence chérie que prétend la loi implacable des Parques. En outre, la crise contemporaine qui traverse les représentations létales n’a pas abouti à la cessation de la mortalité. Bien au contraire, depuis l’aube première de l’humanité, la statistique macabre « n’a pas varié : la mortalité frappe à cent pour cent ».5 Les religions et les philosophies s’accordent pour nous diviser sur des « châtiments d’outre- tombe »6 hypothétiques sans qu’aucune ne nous dispense de ce moment fatidique. Dès lors, on comprend pourquoi « la mort, redoutable dans ce qu’elle a d’unique et de nécessairement improvisé, résiste à nous devenir quotidienne, familière, naturelle ».7 Cette mort sauvage semble d’autant moins apprivoisable qu’elle va venir « en voleuse »8 subtiliser des personnes hostiles à l’inopportunité de sa venue scandaleuse. Mais nulle anathématisation n’empêchera la Faucheuse de s’adonner à sa tuerie journalière selon des lois qui sont les siennes dans une horlogerie aux mécanismes impénétrables. Toutefois, ces développements qui concluent au triomphe absolu des forces de la mort sur celles de la vie apparaissent comme anachroniques au regard de la révolution copernicienne qui affecte le phénomène de la mort interdite. Autrefois, la mort s’apparentait 1 Roger Garaudy. Promesses de l’Islam. Paris : Seuil, 1981, p. 19. 2 Alexis Carrel. L’homme, cet inconnu. Paris : Plon, 1935, p. 260. 3 Paul Yonnet. « Le phénomène du recul de la mort ». Le Nouvel Observateur, n° 62, avril-mai 2006, p. 29. 4 Olivier Tinland. « Le désert du sens ». Le Nouvel Observateur, n° 62, avril-mai 2006, p. 79. 5 François Sarda. Le droit de vivre et le droit de mourir. Paris : Seuil, 1975, p. 9. 6 Marcel Conche. « Mourir, pourquoi ? ». Le Nouvel Observateur, n° 62, avril-mai 2006, p.82. 7 Jérôme Picon. « Le temps des vanités ». Le Nouvel Observateur, n° 62, avril-mai 2006, p. 80. 8 François Mauriac. Le nœud de vipères. Paris : Bernard Grasset, 1933, p. 18. 3 à une « fête »9 et s’affirmait comme une bénédiction. Dans cette perspective, toute vie était « assignée à sa fin, dès son commencement ».10 Or, « on est passé d’une société au Moyen Age où l’on souhaitait que la mort soit la plus longue possible, fût-elle douloureuse à une société où on l’escamote complètement ».11 Aujourd’hui, il sied de souligner la mort de la mortalité naturelle. A l’heure de la révolution numérique, la médecine occidentale transmue la mort en une maladie guérissable, rêve d’une nouvelle immortalité et sonne le glas d’une mort aussi ontologique que nécessaire. Fort des perspectives enchanteresses de cette lutte contre la mort humaine, l’existant rêve « de guérir réellement la mort, de rendre l’homme immortel en allongeant indéfiniment sa vie, ou par l’expérimentation sur le clonage, ou encore en espérant une résurrection cryogénique ».12 Désireux de livrer une guerre totale à la mort, l’Occident déchristianisé refuse de prendre « conscience de son état de mortel »13 et entend éliminer tous les germes d’une mort devenue anormale. Dans cette croisade contre les forces de la mort, l’homme moderne s’appuie sur « un nouveau pouvoir qui cherche à définir un mourir correct, qui veut approcher la mort et le deuil comme des maladies, faisant resurgir la vieille notion de bonne ou de « belle mort».14 Cette approche thérapeutique de la Faucheuse renseigne sur la détermination des contempteurs de la mort naturelle. En tout cas, leur volonté « de mettre la mort en échec est grande, plus grande que jamais dans l’histoire »15 de l’humanité. Ces apôtres d’une immortalité médicalement assistée16 n’auront de cesse qu’ils n’aient lutté contre la vieillesse en tant que celle-ci s’affirme comme l’antichambre de la mort redoutée. Ils poussent leur haine animale de celle-ci jusqu’à conclure à son inexistence. Mais ce déni généralisé de la mort auquel on assiste et la disparition de « la grammaire funéraire »17 semblent obéir aux exigences d’une société capitaliste très 9 Colette Deblé. « La peinture est ma pratique de la mort ». Le Nouvel Observateur, n° 62, avril-mai 2006, p. 60. 10 Nicolas Grimaldi. « Le sens de la vie révélé par la mort ». Le Nouvel Observateur, n° 62, avril-mai 2006, p. 62. 11 François de Closet et Luc Ferry. « Le droit de vivre sa mort ». Le Point, n° 1522, vendredi 16 novembre 2001, pp. 76-77. 12 Robert William Higgins. « Notre folle ambition de guérir la mort ». Le Nouvel Observateur, n° 62, avril-mai 2006, p. 20. 13 Thierry Lenain. « J’interroge la mort avec des mots d’enfant ». Le Nouvel Observateur, n° 62, avril-mai 2006, p. 30. 14 Bernard Crettaz. « Faire sortir la mort de son ghetto ». Le Nouvel Observateur, n° 62, avril-mai 2006, p. 67. 15 Lucia Boia. « Demain, les immortels ». Le Nouvel Observateur, n° 62, avril-mai 2006, p. 13. 16 Sur cette question, lire, Lucia Boia. Quand les centenaires seront jeunes. L’imaginaire de la longévité, de l’Antiquité à nos jours. Paris : Les Belles Lettres, 2006. 17 Damien Le Guay. « Nous ne savons plus mourir ! ». Le Nouvel Observateur, n° 62, avril-mai 2006, p. 10. 4 oublieuse de ses préoccupations métaphysiques. Au vrai, dans un groupe « à accumulation des biens, et non plus à accumulation des hommes, dans une culture où le technologique prime sur le symbolique, la mort devient l’anti-valeur, par excellence, d’un système de valeurs ».18 Ce dernier vit de son occultation et élabore une morale qui se fonde sur une négation totale de la mort honteuse. C’est dire que l’Occidental vit dans un univers hédoniste au sein duquel les pulsions de vie doivent l’emporter sur celles de la mort ennemie. Dans cette perspective, la religion du bonheur à laquelle l’homme moderne adhère conduit à fuir devant « les figures les plus négatives telles que la maladie, le néant de la vieillesse et la mort ».19 La nouvelle philosophie de la vie s’accompagne d’une campagne de dénigrement du royaume des ombres. Considérée comme le mal par excellence, la mort moderne ressortit aux réalités ignobles auxquelles l’existant travaille à échapper. Aujourd’hui, point n’est besoin de les dépeindre hideusement pour susciter l’effroi. Il n’est que de les nommer pour provoquer une tension émotive insurmontable qui est vécue comme une insulte au droit au bonheur qui fonde la société épicurienne. Celle-ci devient « l’incarnation même de cette pensée morbide qui rejette »20 la mort innommable au profit d’une vie bavarde. Pour loquaces que soient les sciences de l’homme au regard de la famille, du travail, de la politique, des loisirs et de la sexualité, il reste qu’elles font montre d’une discrétion inquiétante au sujet de la mort silencieuse. Cependant, leur désir de transformer la mort en un « monosyllabe scabreux »21 ne saurait les préserver contre les atteintes empoisonnées de la Faucheuse. Pour colossaux que soient les moyens dont les humains usent pour atteindre à une immortalité, il reste que leur entreprise est vouée à un insuccès certain en ce sens que « l’être humain est déjà sa mort : il ne saurait être autre qu’un « être-vers-la mort ».22 Né pour rendre l’esprit, l’existant raisonnable n’oublie jamais « qu’il faut ne pas vivre si l’on veut ne pas mourir, ne pas devenir si l’on veut ne pas cesser d’être ».23 Il 18 Patrick Baudry. « La mort comme événement incroyable ». Le Nouvel Observateur, n° 62, avril-mai 2006, p. 50. 19 Didier Raymond. « Kant/Schopenhauer/Nietzsche/Freud le bonheur des philosophes ». Magazine Littéraire, n° 389, juillet-avril 2000, p. 48. 20 Charles Berling. « Caligula est hanté par la mort ». Le Magazine Littéraire, n° 453, mai 2006, p. 45. 21 Vladimir Jankélévitch. La Mort. Paris : Flammarion, 1977, p. 221. 22 Bernard Schumacher. « Comment devient-on mortel ? ». Le Nouvel Observateur, n° 62, avril-mai 2006, p. 8. 23 Roger Caillois. L’homme et le sacré. Paris : Gallimard, 1950, p. 172. 5 s’ensuit que la mortalité devient l’horizon indépassable de l’humanité dans l’exacte mesure où le tombeau reste l’ultime adresse de cette dernière. Consciente du fait que « la condition de vivre est de mourir continuellement »24, elle refuse de s’illusionner sur la prétendue capacité uploads/Philosophie/ lamakana-diallo-these-bonne-version.pdf
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- Publié le Jui 12, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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