LE BERGSONISME, POINT AVEUGLE DE LA CRITIQUE BACHELARDIENNE DU CONTINUISME D'ÉM

LE BERGSONISME, POINT AVEUGLE DE LA CRITIQUE BACHELARDIENNE DU CONTINUISME D'ÉMILE MEYERSON Frédéric Fruteau de Laclos in Frédéric Worms et al., Bachelard et Bergson Presses Universitaires de France | « Hors collection » 2008 | pages 109 à 122 ISBN 9782130570264 DOI 10.3917/puf.worm.2008.01.0109 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/bachelard-et-bergson---page-109.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. 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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 11/01/2022 sur www.cairn.info via Bibliothèque Sainte Geneviève (IP: 193.48.70.223) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 11/01/2022 sur www.cairn.info via Bibliothèque Sainte Geneviève (IP: 193.48.70.223) Le bergsonisme, point aveugle de la critique bachelardienne du continuisme d’Émile Meyerson Frédéric Fruteau de Laclos introduction : meyerson/bachelard, une discontinuité au cœur du xxe siècle ? Gaston Bachelard a entendu rompre de multiples façons avec le « continuisme » d’Émile Meyerson. De ce geste de rupture est née, estime-t-on, la « tradition épistémologique française »1. Alors même que Meyerson avait fixé en français le sens du mot épistémo- logie comme synonyme de « philosophie des sciences », il a dilué celle-ci dans une vague « philosophie de l’intellect ». Or Bachelard juge qu’on ne saurait mettre sur le même plan les efforts du chien pour prévoir le point où tombera la viande qu’on lui jette et le tra- vail héroïque de l’esprit scientifique en vue d’étendre le champ de la rationalité2. Une première coupure s’impose à Bachelard : il faut rompre avec la philosophie de l’intellect, afin d’instaurer une épisté- mologie digne de ce nom, tout comme les savants eux-mêmes ont rompu avec le sens commun. Bien plus, au cœur même des sciences, une foule de discontinui- tés se font jour. Car l’esprit scientifique, et plus encore le nouvel 109 1. Cf. M. Fichant, M. Pêcheux, Sur l’histoire des sciences, Paris, Maspero, 1969. 2. Cf. Le rationalisme appliqué, Paris, puf, 1949, p. 177. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 11/01/2022 sur www.cairn.info via Bibliothèque Sainte Geneviève (IP: 193.48.70.223) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 11/01/2022 sur www.cairn.info via Bibliothèque Sainte Geneviève (IP: 193.48.70.223) esprit scientifique, se signalent par leur capacité à multiplier les corps de postulats. La rationalité contemporaine s’illustre par son extrême mobilité, elle élargit en permanence sa base expérimentale. On est bien loin de cette idée fixe du savant, louée par Meyerson, qui consisterait à figer partout et toujours le cours des phénomènes en choses se conservant identiques à elles-mêmes. De cette mobilité naît pour l’épistémologue la nécessité de repérer dans l’histoire des sciences les franches ruptures par lesquelles éclate l’inventivité scientifique. Aux continuités historiques affirmées par Meyerson, conséquence de l’insistance de ses thèses épistémologiques sur l’identité, répondent les discontinuités bachelardiennes, effet de son attachement à la valeur « inductive » de la rationalité. Telle est la grande coupure entre Meyerson et Bachelard, l’initiale disconti- nuité, que relèvent les historiens de la tradition épistémologique française au cœur du xxe siècle. Dans les pages qui suivent, nous voudrions rétablir quelques continuités. Il nous semble en effet possible de montrer que Bache- lard n’a pas toujours été aussi anti-meyersonien qu’il y paraît ; et que Meyerson n’est pas si pré-bachelardien qu’on le dit. Par ce double rapprochement, nous aimerions jeter un pont entre les deux bords de la césure si souvent décrite. L’opérateur de ce double rap- prochement sera Henri Bergson, ou plutôt le rapport que nos deux auteurs entretiennent avec Bergson. i. bachelard est moins anti-meyersonien qu’anti-bergsonien La rupture de Bachelard avec Meyerson n’a pas été aussi franche qu’on l’affirme généralement. En 1927, au moment de la soute- nance de ses deux thèses, Bachelard se réclame explicitement de Meyerson. Son Essai sur la connaissance approchée découle directe- ment de présupposés meyersoniens ; seule la résistance du réel, mise 110 Philosophie d es sciences © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 11/01/2022 sur www.cairn.info via Bibliothèque Sainte Geneviève (IP: 193.48.70.223) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 11/01/2022 sur www.cairn.info via Bibliothèque Sainte Geneviève (IP: 193.48.70.223) en avant par Meyerson, explique que la connaissance ne puisse être « exacte » : « M. Meyerson en a fourni la preuve, la science postule communément une réalité. À notre point de vue, cette réalité présente dans son inconnu inépuisable un caractère propre à susciter une recherche sans fin. Tout son être réside dans sa résistance à la connaissance. Nous prendrons donc comme postulat de l’épistémologie l’inachèvement fondamental de la connaissance. »1 En 1929, La valeur inductive de la relativité se présente bien comme une réponse à La déduction relativiste écrite par Meyerson en 1925. Mais la démarche de Bachelard, pour être différente, et déjà divergente, n’est pas contradictoire avec celle de Meyerson, elle est seulement plus spécialisée qu’elle : « Nous devons marquer ce qui sépare notre point de vue spécial du point de vue bien plus général et important où s’était placé M. Meyerson. Après les tra- vaux de l’éminent épistémologue, c’est seulement en présentant un aspect particulier de la pensée relativiste que nous pouvons espérer faire œuvre utile. »2 Bachelard ne songe nullement à nier la valeur de la déduction, si bien étudiée par Meyerson. Il veut seulement insister sur le caractère inductif impliqué par l’effort de création einsteinien. La différence est donc seulement d’accentuation au sein d’un dispositif épistémologique qui respecte encore les conclusions de Meyerson sur la relativité, et s’articule à elles, tout comme la déduction succède à l’induction, en redéroulant les éléments d’explication atteints au terme du mouvement d’invention. Tout change en 1934 dans Le nouvel esprit scientifique. L’oppo- sition à Meyerson est à présent frontale et sans concession. Pour Bachelard, la déduction n’a plus lieu d’être, même comme autre côté de l’explication, comme réexposition des découvertes de l’in- duction. Elle est sans cesse remise en question, et mise à mal, par la tendance à créer des hypothèses et à les substituer aux anciens 111 L e b er g s o n is me, p o int aveugl e de l a c r i t i q u e d e B e r g s o n 1. Essai sur la connaissance approchée, Paris, Vrin, 1927, p. 13. 2. Cf. La valeur inductive de la relativité, Paris, Vrin, 1929, p. 201-202. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 11/01/2022 sur www.cairn.info via Bibliothèque Sainte Geneviève (IP: 193.48.70.223) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 11/01/2022 sur www.cairn.info via Bibliothèque Sainte Geneviève (IP: 193.48.70.223) cadres : « La fonction réaliste devrait avoir plus que toute autre la stabilité ; l’explication substantialiste devrait garder la perma- nence » ; or, elle en a de moins en moins : « En fait, la fonction réa- liste est de plus en plus mobile. »1 Une chose est donc assurée à cette époque pour Bachelard : son point de vue ne saurait coexister paisi- blement avec celui de Meyerson. Là où Meyerson voit une conti- nuité de l’effort scientifique en vue de maintenir des choses substan- tielles au fondement des phénomènes, Bachelard instaure pour la première fois les deux genres de discontinuité sur lesquels il ne cessera de revenir : d’une part, l’esprit scientifique rompt avec ce qui l’a précédé ; d’autre part, à travers cette rupture, il s’attache moins à l’identification d’une chose qu’à la multiplication des mises en relation rationnelles. La discontinuité historique est la manifestation d’une diversification gnoséologique. Pourtant, il nous semble que la critique du continuisme meyerso- nien est l’effet second d’une attaque qui portait avant tout sur le « continuisme » bergsonien. Entre 1929 et 1934, entre ces deux extrêmes chronologiques d’une position conciliante et d’une posture plus conquérante à l’égard de Meyerson, Bachelard s’est engagé dans une profonde entreprise de contestation du bergsonisme. En décou- vrant l’œuvre de Gaston Roupnel, à laquelle il a consacré L’intuition de l’instant en 1932, Bachelard a accédé à une philosophie du temps qui lui paraît incompatible avec la conception bergsonienne de la durée : « Établir métaphysiquement – contre la thèse bergsonienne de la continuité – l’existence de ces lacunes dans la durée devait être notre première tâche. »2 Notre hypothèse est que la discussion du continuisme meyersonien par Bachelard est surdéterminée par sa cri- tique de la continuité bergsonienne. Nous en voulons pour preuve le choix des concepts mobilisés dans les dernières pages du Nouvel esprit scientifique, première attaque en règle contre le continuisme meyersonien. Ces concepts sont vitalistes, et pour tout dire bergso- niens, Bachelard projetant uploads/Philosophie/ le-bergsonisme-point-aveugle-de-la-critique-bachelardienne-du-continuisme-d-x27-emile-meyerson.pdf

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