259 L’appelant Une étude théologique sur le caractère d’appel de la relation en

259 L’appelant Une étude théologique sur le caractère d’appel de la relation entre Dieu, l’autre et moi RÉSUMÉ Cette étude est une tentative de formuler la relation de l’humain avec Dieu et l’autre du point de vue du mouvement continu de l’interpellation ou de l’appel. Dans la théologie actuelle la notion de ‘l’appel de Dieu’ n’est guère represen- tée. Le thème le plus proche, celui de la ‘vocation’, ne semble plus d’actualité. Le terme est repris dans la vie publique pour signifier une tâche ou un engage- ment. Par contre, dans le langage théologique, il ne semble plus dénoter qu’un langage pieux. La disparition de cette notion d’ ‘appel’ est en congruence avec l’influence, toujours prégnante dans notre société, de la pensée moderne dans laquelle l’être humain est surtout vu comme ‘sujet autonome’, sujet qui donne lui-même forme au monde qui l’entoure et pour qui l’autre remplit plutôt le rôle d’ ‘un autre-soi’. D’un autre côté, on peut constater dans la vie actuelle une nouvelle attention à l’appel réciproque comme événement vital et constitutif pour l’être humain et la société. Cette prise en compte correspond à un mouvement philosophique de ce siècle, qui donne à nouveau une place à ce qui interpelle l’homme ‘de l’extérieur’. Dans ce mode de penser, l’humain n’est pas perçu en tant que ‘sujet déterminé par lui-même’ mais comme ‘celui ou celle qui est interpellé par l’autre’. Cette attention pour le ‘tout autre’ en dehors de moi, sur lequel je n’ai pas prise mais qui vient à ma rencontre – et en cela me pose question – me rend conscient-e de la nécessité d’une réponse. La réalité n’est pas un tout d’entités ou d’individus se suffisant à eux- mêmes, mais est plutôt caractérisée par une structure continuellement tissée de questions et réponses. La question posée dans cette recherche est de savoir jusqu’où cette manière de voir, ce qui est nommé ‘la structure d’appel de la réalité’, peut contribuer à l’interprétation contemporaine de ‘l’appel de Dieu’. Dans l’histoire de l’Eglise, la réflexion sur l’appel dans le sens de la ‘vocation’ s’est développée de manière importante, menant – sur certains points – à des dis- tinctions scolastiques très subtiles. Dans un court reflet au début de cette étude, se fait jour la tendance récurrente – en lien avec le concept ‘d’élection’ – à réduire le caractère universel et dynamique de l’appel divin à une ‘vocation spécifique’ adres- sée à une categorie de personnes spécialement choisie pour cela. – Dans un premier chapitre intitulé Dieu comme celui qui appelle, nous avons préféré, plutôt que de nous concentrer sur les histoires classiques de vocation des prophètes, élargir l’enquête aux autres textes et narrations où il est question d’appel. 260 Une analyse sémantique de l’expression ‘appeler-crier’ dans ses usages usuels à travers les livres bibliques nous a paru être la méthode adéquate. Cette recherche lexicographique des différentes occurrences verbales de la racine hébraïque qr” et du grec kaleo met en lumière le large champ sémantique de ce mot ordinaire. Il peut signifier tant ‘appeler’ que ‘crier’, ‘faire appel à’, ‘convoquer’ et ‘(dé)nommer’, ensuite aussi ‘inviter’ et ‘encourager’. Grâce à cette enquête nous est apparue la place très importante que l’appel prend dans le premier livre biblique, surtout dans les chapitres 1 – 11 du livre de la Genèse. Cela nous amène à poser l’existence d’un lien entre ‘créer’ et ‘appeler’, dans lequel appeler et nommer reçoivent aussi le sens ‘d’appeler à la vie’. Dans la suite de la recherche biblique-théologique, l’appel personnel de Dieu aux humains se définit comme libération et don du sens, notam- ment dans les cycles d’Abraham, Moïse, Samuel et pour le Deutéro-Esaïe. Dans le Nouveau Testament, Jésus de Nazareth rend présent l’appel divin par ses actes et sa personne dans les récits des Evangiles. Son appel des disciples recevra une nouvelle focalisation dans les ‘mots-elthon’ et dans les paraboles du festin chez Luc: les pécheurs et les derniers précèdent les justes et les premiers dans le Royaume de Dieu. Le fait que dans les lettres de Paul, la relation entre Dieu et les croyants est qualifiée comme se jouant entre ‘celui qui appelle’ et ‘les appelés’, nous indique le caractère dynamique et continu de cet appel de Dieu. Ainsi la compréhension, devenue usuelle en théologie, de la vocation comme “don du salut” ne concorde pas avec la variété de sens de l’appel divin telle que les épîtres néo- testamentaires l’expriment. - Le deuxième chapitre, L’appel de l’autre chez Levinas, tente de donner une im- pression de la réflexion de Emmanuel Levinas en tant que témoin principal sur ce thème. Le caractère constitutif de l’appel de l’autre (Autre) pour mon existence forme une ligne directrice de son oeuvre, L’accent est mis sur la totale altérité de l’autre, qui est transcendant à mon existence et ne me touche que par le mode de l’appel. L’appel a la forme d’un ordre, d’un commandement par lequel l’autre me dit sa fragilité et exige le respect de sa vie: ‘tu ne tueras pas’. Levinas a ceci de typique qu’il voit l’autre comme se situant dans la trace de l’infini, étant ainsi ‘plus proche de Dieu que moi-même’. Cette idée du lien originel de l’autre avec l’infini fait que ma relation à lui (elle) est fondamentalement asymétrique. Car l’autre devient aussi bien le supérieur qui ordonne que le pauvre qui supplie. L’intérêt de ce point névralgique pour Levinas apparaît clairement dans sa critique de la pensée de Martin Buber pour qui la relation est foncièrement réciproque et réversible. - Le troisième chapitre, Levinas et ‘La nouvelle pensée’, est consacré aux écrits de Franz Rosenzweig et Eugen Rosenstock-Huessy. Ils sont tous deux représentants du mouvement ‘Das Neue Denken’ (La nouvelle pensée), apparu après la première guerre mondiale. Nous tenterons – à partir de l’opinion de Levinas, lui-même disant sa proximité par rapport au premier – de retrouver les éléments qui relient la manière de penser de Rosenzweig à l’oeuvre de Levinas. A cette fin, la pensée de Rosenzweig sera éclairée par son oeuvre majeure, Der Stern der Erlösung. Dans la partie centrale de son livre, Rosenzweig décrit à sa 261 manière, dite ‘philosophie narrative’, l’événement de l’être humain abordé par Dieu, événement qui a orienté sa philosophie. Cette interpellation pleine d’amour se sert de l’adresse nominale (vocatif) et contient le commandement transcrit par l’impératif: Aime-moi. En reconnaissant cette ‘révélation’, la personne aimée rendra ce commande- ment concret par le dévouement au prochain. Cette nouvelle manière de penser est une sorte de ‘parler-penser’ qui provient de la syntaxe de la langue parlée. Rosenzweig a pris cette conception fondatrice à son ami Eugen Rosenstock- Huessy. Celui-ci emprunte des notions aux formes grammaticales pour formuler ses idées: l’humain est d’abord un ‘tu’, ensuite seulement un ‘je’. Donc le vocatif est premier, suivi par l’impératif comme le “Modus der Verwandlung” réellement créatif. Une description d’un certain nombre d’éléments importants du ‘parler- penser’ sont repris et agencés d’une manière nouvelle dans l’oeuvre de Levinas pour y jouer un rôle décisif. Cela vaut notamment pour ‘la critique de la pensée totalisante’, ‘le caractère irréductible de l’autre’, de même que ‘l’autre s’adressant à moi sur le mode de l’ordre’ qui fait apparaître l’asymétrie de la relation, signifiant ainsi une ‘rupture’ ou une ‘révélation’. Dans le même temps, la relation s’accomplit sur le mode du langage parlé, là où, pour Levinas, est cachée la vraie parole (le dire). – La reconnaissance d’éléments capitaux pour la pensée de Levinas dans les oeuvres de Rosenzweig et Rosenstock nous fournit un argument pour entamer le quatrième chapitre, intitulé: La réciprocité et le commandement salutaire. Là, nous explorons le thème, central pour notre recherche, de l’asymétrie de la relation avec autrui à la lumière des écrits de Martin Buber. Une étude plus approfondie de la manière de penser de Buber dans ‘Ich und Du’, nous amène à conclure que l’insistance de l’auteur sur la réciprocité et l’égalité dans la rencontre cache involon-tairement qu’en réalité sa conception est inégalitaire. Son point de vue objectivant porte encore les traits de la pensée idéaliste où le ‘Je’ est la personne dominante: la réalité du ‘tu’ dépend du ‘je’ qui va, ou non, prononcer le ‘tu’ vers l’autre. C’est le contrai- re de la conception de Levinas, où c’est le sujet (moi) qui est interpellé et qui répond à l’appel de l’autre. Dans la deuxième partie de ce chapitre, nous attirons l’attention sur les nom- breuses occurences de la forme littéraire du commandement, de l’ordre, dans les textes bibliques. Le caractère salutaire de l’impératif – dans ses multiples formes de : ‘Réjouissez-vous’, ‘Ne craignez pas’, ‘Debout’, jusqu’à ‘Tu ne tueras pas’ et ‘tout ce que tu as vends-le’ – sera éclairé par une interprétation de la péricope du ‘plus grand commandement’ de l’amour de Dieu et du prochain. Cela nous permet de remettre en question la conception qui place ce double commandement en paral- lèle et à proximité de la ‘règle d’or’. – Dans le cinquième chapitre, Levinas et Jüngel, nous tentons de rattacher l’état de la question quant au uploads/Philosophie/l-x27-appelant-levinas-jungel.pdf

  • 34
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager