&grandes écoles universités humanités: le retour en grâce Les sciences humaines

&grandes écoles universités humanités: le retour en grâce Les sciences humaines se font une place dans l’emploi du temps d’apprentis gestionnaires ou ingénieurs, avides de nourriture intellectuelle. PA GE 2 souvenirs d’anciens Ils ont moins de 30ans et sont managers, ingénieurs ou artistes. Six ex-étudiants racontent comment leur école a façonné leurs aptitudes et leur état d’esprit. PA GE 14 les grandes écoles, histoire critique Dans un entretien, l’historien Bruno Belhoste mesure forces et faiblesses de ce modèle de formation, spécialité nationale depuis le XVIII esiècle. PA GE 18 P ourquoifaire une école? Pour l’ins- crire sur sa carte de visite ou pour senourrirdes enseignementsqui y sont dispensés et se cultiver? En France, le but ultime d’une scolari- téestplussouventd’«intégrer»un établissementprestigieuxqued’yétudier.Pen- dant toute sa vie professionnelle, l’ex-étudiant seprésenteracommeunanciendesonécole.Et même après… Alors qu’il présentaitson «pacte éducatif», brouillon d’une des priorités de son quinquennat, le 4mai 2010 à Paris, François Hollandefeignaitdes’étonnerqu’ontrouvejus- quedanslesavisdedécèsmentiondel’écolefré- quentéeà20ans!Celarévèleunebiencurieuse approche de nos établissements de prestige, et prouve que peu importe ce qui y est enseigné: seul compte le nom. C’est dommage. D’autant plus dommage qu’il se dit vraiment des choses intéressantes dansles amphisdes grandesécoles.Cesderniè- res,quipourraientronronnereuégardaunom- bre de leurs candidats, s’efforcent d’innover, d’inventer, de répondre intelligemment à la boulimie de connaissances d’étudiants surali- mentés par les années «prépa». Les lauréats des concours arrivent fatigués, gavésdeformulesdemathématiquesoud’éco- nomie,maissûrsd’eux. Ilssontpersuadésque le monde ressemble à une équation et que, hors les savoirs académiques, il n’y a rien. Joli défi que de transformer, en trois ans, ces pre- miers de la classe en «bons» managers, artis- tes ou ingénieurs. Aussi les écoles font-elles le pari d’ouvrir ces têtes bien faites à d’autres plaisirs intellectuels que ceux des seuls apprentissages théoriques. Résoudre les problèmes, construire une disser- tation:leslauréatsdesconcourslespluspresti- gieux du pays savent faire… Les bacheliers aus- si, dans une moindremesure. Alors, place à des apprentissages nouveaux, pas vraiment académiques, et qui pourtant s’avèrentd’unegranderichesse.Uneouverture à l’éthique? Pas superflu, lorsqu’on parcourt lesfaitsdiversdesdérivesdansl’entreprise!Un peu de développement personnel? Pas si mal que les futurs managers se connaissentun peu mieux. Mais c’est surtout la gestion d’associa- tion qui a mauvaise presse auprès de familles habituées à confondre «travailler» et «être assis à un bureau»… Or, voilà qui n’est pas un loisir vain, mais une confrontation à des réali- téshumainesetcomptablesqueleplanentrois parties ne permet pas d’appréhender. Ils sont nombreux, les jeunes patrons qui témoignent danscespagesdetoutcequeleuraenseignécet- te expérience. Quant au séjour à l’étranger, on ne s’y attardera pas tant cette confrontation à d’autres regards, d’autres façons de penser, est perçuecomme utile. Bien sûr, les apprentissages techniques ont aussi leur place en grande école. Oui, un éta- blissementdemanagementenseignelacomp- tabilité,etuneécoled’ingénieursproposeune culture technique, mais ne les réduisons pas à ces approches qui ont elles-mêmes changé et passent aujourd’hui par des pédagogies plus participatives. S’il ne fallait en choisir qu’une, l’idée à rete- nir est que ces formations entendent, plus qu’hier, construire un professionnel conscient de son environnement. Merci à Edgar Morin, quinousrépètedepuisdesdécenniesquel’édu- cation doit être plus globale, si l’on souhaite que les générations à venir appréhendent un peu mieux la complexitédu monde!p Maryline Baumard présentent En partenariat avec INFOS & INSCRIPTION :www.salon-grandes-ecoles.com LE SALON GRANDES ÉCOLES SAMEDI 17 & DIMANCHE 18 NOVEMBRE 2012 CITÉ DE LA MODE ET DU DESIGN LESDOCKS34quaid’AusterlitzPARIS ENTRÉE GRATUITE Géreruneassociation: voilàuneconfrontation àdesréalitésqueleplan entroispartiesnepermet pasd’appréhender DENIS ALLARD/REA Cequ’on apprend vraiment engrande école Non,lavieintellectuellenes’arrêtepasàlafindelaprépa. Lesétablissementsproposentdescontenusrichesetvariés ainsiqu’uneouverturesurl’entreprise Cahier du « Monde » N˚ 21095 daté Jeudi 15 novembre 2012 - Ne peut être vendu séparément u n i v e r s i t é s & g r a n d e s é c o l e s Enseignements 41e au classement mondial du Financial Times 2012 TEM ouvre ses portes le 20 décembre 2012 www.telecom-em.eu 97% des jeunes diplômés embauchés en moins de 6 mois 4e au classement Challenges 2012 pour le salaire d’embauche des jeunes diplômés E ntre le faire et l’action, le com- plexe, l’imprévisible et le mou- vant, il faut agir sans avoir en maintousleséléments.L’hom- me d’action efficace est le sage, rien de moins, martèle Yann Martin. Il a la capacité de tempori- ser et de jouer avec les circonstances. Ce n’est pas le technicien rationaliste convaincu qui sait ce qu’il faut faire.» Nousnesommespasentraindeprépa- rer l’agrégation de philosophie, mais dans une conférence sur l’efficacité devantlesétudiantsdel’Ecoledemanage- ment(EM)deStrasbourg.Cepointdevue, emprunté à Artistote aussi bien qu’à la philosophie chinoise, ne correspond pas audiscoursclassiqueducadrequiprésen- teles performancesdesonentreprise.«Je ne suis pas là pour former des managers, maispourleurdonnerunreculphilosophi- que», explique Yann Martin, professeur de philosophie. Son cycle de douze conférences, mis en place en septembre avec la faculté de phi- losophie de Strasbourg, résulte d’une envie très personnelle de la directrice de l’école, Isabelle Barth. «Après une classe préparatoire durant laquelle j’avais beau- coupaimé la philosophie,j’ai vécuunchoc culturelenarrivantdansmonécoledecom- merce, se souvient-elle. Passer de Spinoza ouKantetderéflexionsélaboréesau“plus” etau“moins”dumarketingoudelacomp- tabilité, cela m’avait un peu désespérée. Lorsquej’aiprisladirectiondel’école,jeme suis aperçue que les choses n’avaient pas beaucoupchangé.» L’atterrissage est parfois brutal dans le mondeprosaïqued’uneécoledecommer- ce, estime aussi Renaud Gaultier, respon- sable du MSC («master of science») IDEA («Innovation Design, Entrepreneurship and Arts») créé par l’Ecole de manage- ment de Lyon et l’Ecole centrale, qui rap- porte cette plaisanterie récurrente à pro- pos de la prestigieuse HEC: «On dit sou- vent que le seul cours sans absent, c’est celuide philosophie.» Les grandes écoles sont de plus en plusnombreusesàintégrerdes matières comme la sociologie, la philosophie, l’histoire ou les arts. Certaines parlent de « sciences humaines », d’autres d’«humanités» ou de «culture généra- le». Indéniablement, les formations de commerce sont plus généreuses que cel- les d’ingénieurs. « Ces dernières sont encore très imprégnées du modèle indus- triel du XIX esiècle, reconnaît un respon- sable d’une école d’ingénieurs. Si les têtes de peloton jouent la variété des sujets, comme aux Ponts et Chaussées ou à l’école des Mines de Nancy, qui a refon- du son curriculum et inclut depuis quin- ze ans une forte composante en humani- tés, nombre d’écoles moins importantes n’ont pas encore muté.» AAudenciaNantes,les«courstransver- saux» existent depuis les années 1990. «Dans les années 1970, 1980 et au début des années 1990, l’argent était considéré comme roi. On voit où cela nous a menés en2008,constatesondirecteur,JeanChar- roin.Lesenseignementsdeculturegénéra- lesontessentiels.Ilspermettentdeprendre de la distance. Si cela peut déranger les concepts en management ou en finance, c’est intéressant.» Le volume horaire dépasse rarement deux ou trois heures par semaine, mais il offre une ouverture aux étudiantsqui le souhaitent «Onalongtempsformédescadres,fan- tassins du système. Il fallait faire de l’ar- gent et le cynisme a pris le pas, estime Renaud Gaultier. La crise n’est pas une fatalité, mais résulte de la prise de déci- siond’unefouledepersonnes.Ilfautfaire dela sociologieet de lafinance pour com- prendre l’alignement des décisions.» Le MSC qu’il dirige rassemble des cours d’anthropologie, de sociologie et de phi- losophie, et propose aux étudiants de s’interroger sur les enjeux sociaux et sociétaux des techniques. «Ce master nous sert de test: l’idée est de diffuser à tout le campus ce questionnement», poursuitM.Gaultier.ACentraleLyon,les sciences humaines et sociales prennent ainsi une place de plus en plus essentiel- le dans la formation. «Pourêtredebonsmanagers,ilfautpou- voir donner du sens, renchérit Fernando Cuevas, professeur de philosophie à l’ESC Pau. Dans les entreprises, les cadres font le grand écart sans cesse. Autant offrir aux jeunes qui se forment des outils de réflexionautresquelesseulsgrillesd’analy- ses techniques.» La philosophie et la sociologie ne pro- duisent pas de données quantifiables dans un tableau, mais elles permettent une réflexion de qualité, plaident en chœur les responsables des formations. Cependant, la place plus importante faite aux humanités implique de remettre en cause les pédagogies traditionnelles de cesécoles.D’aprèsRenaudGaultier,«pour que cela soit efficace, il faut assurer de la transdisciplinarité. Ainsi, on ne voit plus l’économiede la même manière.»p Christine Chaumeau «Onalongtempsformédes cadres,fantassinsdusystème. Ilfallaitfairedel’argent etlecynismeaprislepas» Renaud Gaultier chargé de mission pour l’Ecole de management de Lyon et l’Ecole centrale Prépa,méca,compta? Philo,socio, anthropo! Deplusenplusd’écolesd’art,demanagementetd’ingénieursintègrentdescoursdescienceshumaines. Unefaçon,pourl’étudiant,des’ouvrirl’espritetdedonnerdusensàsesaptitudestechniques Danslesécolespost-bac,leshumanitésfontmûrirlesjeunesélèves Dans la bibliothèque de l’Université catholique de Lille. CEDRIC DHALLUIN/FEDEPHOTO POUR LE MONDE EMPOCHER son baccalauréatà 18ans et ne plus être confronté à un texte philosophique? C’est dommage,estiment bien des res- ponsablesde programmes d’éco- les qui recrutentaprès le bac. Qu’onsuive une formation de commerce,d’art ou d’ingénieur, interrogerson patrimoine cultu- rel est un outil de construction professionnelleet personnelle. De plus en plus d’écoles y sont sensibles,mais cela surprend encore. «Quand j’ai reçu le mail présentantcette filière, j’ai cru que c’était une blague», se souvient AmélieGreiner. Depuis septem- bre, elle fait partie de la première promotiondu cursusSciences et humanitéscréé à l’universitéde technologie(UT) de Compiègne (Oise).«Pouvoircontinuer les matièresque j’aimais beaucoup au lycée, comme la philosophie, m’a attiré», explique la jeune fille, également ravie de lier scien- ces dures et sciences humaines,et de se plonger dans l’épistémolo- gie, la sociologie ou l’histoire des techniques, tout en pratiquant les mathématiques.«Il y a une cohé- rence dans notre emploi du temps, se réjouit-elle.On étudie les notions de manière transversale dans plusieurs disciplines.» Depuis leur création dans les années1960 et 1970, les universi- tés de technologie de Compiègne, Troyes (Aube) et Belfort-Montbé- liard (Territoire de Belfort), qui forment des ingénieurs en cinq ans, intègrent des sciences humai- nes dans leurs formations. Si l’ap- proche est ancienne, elle n’est pas du tout figée et continue d’évoluer pour répondre aux besoins et aux envies des nou- uploads/Philosophie/ lemonde-sup-grandesecoles.pdf

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