LES PREUVES LEIBNIZIENNES DE L’EXISTENCE DE DIEU : LA « VOIE » DU MOUVEMENT Pau
LES PREUVES LEIBNIZIENNES DE L’EXISTENCE DE DIEU : LA « VOIE » DU MOUVEMENT Paul Rateau Presses Universitaires de France | « Les Études philosophiques » 2016/3 N° 163 | pages 357 à 386 ISSN 0014-2166 ISBN 9782130733980 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2016-3-page-357.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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II. démonstration à partir de ce principe, que le mouvement ne peut se produire sans création continuée. chap. III. démonstration à partir de ce principe : que l’origine du mouvement n’est nullement dans les corps. chap. IV. démonstration à partir de ce principe, que l’origine de la consistance n’est nullement dans les corps. chap. V. démonstration de la probabilité infinie, c’est-à-dire de la certitude morale, que la beauté du monde est née d’un esprit1. Ce plan indique clairement le point de vue que le jeune philosophe souhaite privilégier dans ses démonstrations de Dieu. Il parle en physicien, car c’est bien l’étude de la nature qui doit fournir l’essentiel des preuves2. Comme l’exprime de façon explicite le titre d’un écrit contemporain – Confessio natu rae contra atheistas –, la nature elle-même confesse Dieu, elle témoigne en sa faveur, détruisant ainsi l’illusion entretenue par les philosophes modernes qui prétendent tout expliquer « mécaniquement », c’est-à-dire par la grandeur, la figure et le mouvement des corps, sans supposer ni requérir Dieu à un moment quelconque de leur raisonnement3. Leibniz n’entend aucunement contester les acquis de la science nouvelle. Bien au contraire, il veut montrer que loin de pouvoir se passer de Dieu, le mécanisme lui-même en dernière 1. Conspectus demonstrationum catholicarum (1668-1669 ?), A VI, 1, 494. 2. Dans sa lettre à Conring du 8 février 1671, Leibniz annonce en effet que la théologie naturelle doit bénéficier des « nouvelles lumières » apportées par la doctrine du mouve ment (A II, 1, 131). 3. Voir A VI, 1, 489-490. Les preuves leibniziennes de l’existence de Dieu : la « voie » du mouvement © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 28/06/2021 sur www.cairn.info (IP: 189.6.18.251) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 28/06/2021 sur www.cairn.info (IP: 189.6.18.251) 358 Paul Rateau instance y reconduit, et confirmer ainsi l’adage de Bacon (cité au tout début de la Confessio naturae) : « Si la philosophie effleurée en passant éloigne de Dieu, elle y ramène lorsqu’on l’approfondit plus avant4. » La preuve la plus puissante que fournit la philosophie naturelle est cer - tainement, à ses yeux, la preuve par le mouvement, à laquelle se rattache directement celle par la consistance des corps5. Elle est la preuve qu’il déve- loppe le plus dans ses premiers écrits, et celle qui apparaît chronologique- ment la première, puisqu’elle est exposée – et elle est la seule à s’y trouver – au début du De arte combinatoria (1666). L’objet des pages qui suivent est d’étudier comment le jeune Leibniz l’éla- bore dans le cadre théorique particulier de sa première physique, et comment l’évolution doctrinale intervenue au début des années 1670 va entraîner sa modification, puis sa disparition avec la réforme de la mécanique et la réha- bilitation des formes substantielles. On tâchera enfin d’expliquer les raisons de sa réapparition ultérieure, sous des formes nouvelles, à travers notamment la preuve par la contingence et l’hypothèse de l’harmonie préétablie. I. La preuve par le mouvement dans la première physique (1666-1670) La démonstration de l’existence de Dieu par le mouvement figure dans le De arte combinatoria à titre d’addition (additamentum). Elle relève, si l’on en croit le sous-titre de l’ouvrage, d’une « certitude mathématique6 ». Dieu y est défini comme « substance incorporelle douée d’une vertu infinie ». Cette vertu infinie est « la puissance principale de mouvoir l’infini », car c’est en vertu de cette puissance principale qu’opèrent les causes secondes (définition 3). Leibniz énonce ensuite quatre axiomes : Axiome 1. Si quelque chose est mû, il existe une autre chose qui [le] meut. Ax. 2. Tout corps qui meut est mû. Ax. 3. Un tout est mû par le mouvement de toutes ses parties. Ax. 4. Tout corps a des parties infinies, c’est-à-dire comme on dit ordinairement, le continu est divisible à l’infini. Leibniz ajoute enfin cette observation : « Quelque corps est mû7. » Ceci posé, la démonstration8 consiste à partir d’un corps quelconque A qui est en mouvement. Si A n’est pas mû par Dieu (c’est-à-dire par un moteur incorporel), mais par un autre corps (B), ce corps B sera lui-même mû (au nom de l’Ax. 2) et devra trouver la cause de son mouvement dans autre 4. A VI, 1, 489. Nous suivons ici la traduction que Christiane Frémont donne du texte, sous le titre Profession de foi de la nature contre les athées, in Leibniz. Discours de métaphysique et autres textes, Paris, Flammarion, « GF », 2001 [abrév. : Frémont 1], p. 27. 5. C’est la raison pour laquelle les deux preuves seront exposées immédiatement à la suite l’une de l’autre dans la Confessio naturae. 6. A VI, 1, 165. 7. A VI, 1, 169. 8. Voir A VI, 1, 170. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 28/06/2021 sur www.cairn.info (IP: 189.6.18.251) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 28/06/2021 sur www.cairn.info (IP: 189.6.18.251) 359 Les preuves leibniziennes de l’existence de Dieu chose. Si ce n’est pas en Dieu, mais dans un autre corps encore, et ainsi de suite, on devra poser que les corps se meuvent continuellement « dans tout l’infini ». Or tous ces corps constituent un tout (C). Toutes les parties de C sont mues, donc C sera mû aussi (au nom de l’Ax. 2), par quelque chose d’autre (au nom de l’Ax. 1) qui sera incorporel (puisque tous les corps sont compris dans C, et qu’il faut donc recourir à quelque chose d’autre que C). Ce moteur incorporel doit être d’une vertu infinie, puisqu’il meut C qui est infini. Ce moteur incorporel est donc Dieu. C.Q.F.D. La démonstration pourrait sembler, à première vue, traditionnelle. Jacques Jalabert y voit au fond la reprise de « la preuve aristotélicienne et thomiste par le mouvement9 ». Elle paraît inspirée d’un passage bien connu du livre VIII de la Physique, où Aristote montre à partir de la considération du mouvement, la nécessité de poser un premier moteur immobile10. Dans sa lettre du 26 septembre/6 octobre 1668 à son ancien professeur Jakob Thomasius, Leibniz fait en effet du Stagirite l’auteur de ce « fameux théo- rème » : « Tout ce qui est mû, a, en dehors de soi, la cause de son mouve - ment » ; théorème « qui fournit l’échelle sur laquelle lui-même [Aristote] s’est appuyé aussi pour s’élever au premier moteur »11. Pourtant, on notera que ce « théorème » ne se trouve pas comme tel dans Aristote, qui, en toute rigueur, ne dit pas que « tout ce qui est mû, a, en dehors de soi, la cause de son mouvement », mais que « tout ce qui est mû est nécessairement mû par quelque chose », ce quelque chose pouvant être immobile ou mû à son tour, et, s’il est mû, l’est ou par lui-même spontanément, ou par une autre cause12. En revanche, la formule « tout ce qui est mû est mû par autre chose » – qui cor- respond à l’axiome 1 de Leibniz – se trouve bien chez Thomas d’Aquin, dans sa version de la preuve de l’existence de Dieu par le mouvement. Cependant une comparaison attentive avec la version thomiste13 révèle des différences remarquables et significatives avec la démonstration du De arte. Pour établir sa preuve, le Docteur angélique use en effet de trois outils théoriques, absents de l’exposé leibnizien : 1. la distinction entre la puis- sance et l’acte, 2. la thèse (implicite) de l’impossibilité d’un mouvement éter- nel ; 3. l’impossibilité d’une régression à l’infini. Il procède de la manière suivante : 1. Mouvoir une uploads/Philosophie/ les-preuves-leibniziennes-de-l-x27-existence-de-dieu-la-voie-du-mouvement.pdf
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- Publié le Jan 30, 2022
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