Le dialogue entre Jacques Derrida et Emmanuel Lévinas depuis « Violence et Méta
Le dialogue entre Jacques Derrida et Emmanuel Lévinas depuis « Violence et Métaphysique » jusqu’à l’Adieu Dans leur critique commune de l’idée du présent vivant propre à la philosophie et à la phénoménologie husserlienne, Jacques Derrida et Emmanuel Lévinas se tiennent ensemble dans la question de la trace. Derrida demande dans Violence et Métaphysique pourquoi Dieu ne serait-il pas un effet de trace ? Dans le « pour-l’autre » comme « diachronie » où se rassemble, chez Lévinas, la critique du présent vivant, en deçà de tout savoir, et que Derrida dans son Adieu (à-Dieu) à Emmanuel Lévinas nomme « non-savoir qui est l’élément de l’hospitalité pour la transcendance de l’étranger », quel est cet espace de l’Autre – ou trace – pour l’un et pour l’autre ? Nous avons vu que Derrida et Lévinas parlent tous deux, à ce propos, d’écriture. Qu’est-ce qui les réunit et qu’est-ce qui les sépare alors, sur le mode même de cet Adieu ou « à-Dieu » que Derrida adressait en éloge funèbre à Lévinas, nous rappelant que le « salut de l’à-Dieu ne signifie pas la fin » (Chaque fois unique la fin du monde) ? Derrida et Lévinas : un dialogue ininterrompu Derrida dit que Lévinas veut ouvrir la philosophie à une autre origine que grecque. Depuis Le Temps et l’Autre cette origine est définie par ces concepts de l’un et du même. Qu’en est-il véritablement dans l’avancée du dialogue des deux penseurs ? La grande étude de Derrida « Violence et métaphysique » qui marqua le temps de maturation pour Lévinas entre Totalité et infini et Autrement qu’être. Le dialogue entre les deux philosophes s’est poursuivi secrètement et en permanence. On peut en déceler plusieurs étapes : la critique, en 1964, où il stigmatise la violence de la sortie hors de soi vers l’autre, la question de la trace, puis une pensée dérridéenne plus tardive autour des notions de justice et d’hospitalité où l’approche de Lévinas devient de plus en plus positive. Langage et extériorité : la critique derridéenne Dans sa première critique Derrida affirme que le désir lévinassien de sortir hors de soi vers l’autre est une pensée de la différence pure qui trouve un obstacle dans le langage même. Il y aurait là une impossibilité. Le discours, dit-il, est originellement violent. Comment penser l’autre si celui-ci ne se parle que comme extériorité, non-altérité (Totalité et Infini est un discours sur l’extériorité) ? En effet, la parole qui doit maintenir la séparation est par essence enracinée dans l’espace qui ignore la séparation et l’altérité absolues. Seul le discours peut être juste (et non le contact intuitif) ; or le discours retient l’espace du même, il est donc originellement violent. Le langage ne peut que tendre indéfiniment vers la justice en reconnaissant et en pratiquant la guerre en soi. Violence contre violence. La parole est ainsi une moindre violence par rapport à un silence pré-originaire. La paix se dit au prix de la guerre. Derrida parle d’une économie de la violence et d’une historicité radicales alors que Lévinas parle de transcendance. Mais pour Derrida l’histoire a le rôle de la transcendance même : elle est l’histoire des sorties hors de soi de la totalité. En fait Derrida pose, à l’égard de l’histoire, les mêmes questions que Lévinas : comment être chez soi dans une histoire qui ne soit ni totalité finie du même ni présentation positive de l’Infini ? La trace Les deux philosophes évoquent la passivité du temps et mettent en cause la phénoménologie et l’ontologie. Ils pensent la temporalité comme le mouvement d’une altération radicale. Traditionnellement la philosophie et la phénoménologie parlent de l’expérience vécue par un ego. Cette expérience ancrée dans le présent est la racine de la violence. Contre cette violence Lévinas évoque la transcendance infinie d’autrui et Derrida l’historicité qui échappe à la forme temporelle du présent. Husserl et Heidegger parlent du temps comme auto-affection alors que la trace, chez Derrida et Lévinas, est une temporalité soustraite au présent. Comment penser dans le mouvement même de la temporalité l’inscription d’une altérité irréductible ? Le temps pensé comme trace introduit une diachronie irréversible « un temps qui ne se rassemble pas », un temps frappé depuis toujours par une disjonction qui est le « lieu » même de l’altérité. De quelle altérité s’agit-il ? Et en quoi le temps pensé comme trace est-il garant de l’altérité ? Derrida et Lévinas se tiennent ensemble dans la question de la trace et de la critique du présent vivant husserlien. Lévinas adresse cet hommage à Derrida : « Critique la plus radicale de la philosophie de l’être pour laquelle l’illusion transcendantale commence au niveau de l’immédiat. On peut se demander devant la rigueur intellectuelle de La voix et le phénomène, si ce texte ne coupe pas d’une ligne de démarcation, semblable au kantisme, la philosophie traditionnelle, si nous ne sommes pas, à nouveau, au terme d’une naïveté, réveillés d’un dogmatisme qui sommeillait au fond de ce que nous prenions pour esprit critique. Fin, pensée jusqu’au bout, de la métaphysique : ce ne sont pas seulement les arrière-mondes qui n’ont pas de sens, c’est le monde étalé devant nous qui se dérobe incessamment, c’est le vécu qui s’ajourne dans le vécu. L’immédiat n’est pas seulement appel à la médiation, il est illusion transcendantale. Le signifié toujours à venir dans le signifiant, n’arrive pas à prendre corps, la médiation des signes n’est jamais court-circuitée. Vue qui s’accorde avec ce qui est, peut-être, la découverte la plus profonde de la psychanalyse : l’essence dissimulatrice du symbole. Le vécu se refoulerait de par les signes linguistiques faisant texture de son apparente présence : jeu interminable de signifiants ajournant à jamais – refoulant – le signifié. » (De Dieu qui vient à l’idée, p. 181). En écho à cet éloge de Derrida, Lévinas écrit du sein de sa propre pensée : « La trace comme trace ne mène pas seulement vers le passé, mais est la passe même vers un passé plus éloigné que tout passé et que tout avenir, lesquels se rangent encore dans mon temps, vers le passé de l’Autre où se dessine l’éternité – passé absolu qui réunit tous les temps. » (« La trace de l’autre », in : En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger, p. 201) Qu’est-ce qui différencie les deux penseurs sur cette question ? Derrida, dans Violence et métaphysique, demandait à Lévinas : pourquoi Dieu ne serait-il pas un effet de trace ? Dans la « déconstruction », le même est affecté par l’altérité, il n’y a plus le présent vivant, il n’y a pas d’instant, et Derrida barre la référence à l’un. Dieu comme effet de trace n’est là que pour nous donner l’illusion du présent. Lévinas lui répond (De Dieu qui vient à l’idée, p. 181) que le perpétuel ajournement de la présence se pense exclusivement à partir de la présence comme norme, comme s’il fallait l’horizon de la métaphysique et du présent pour la déconstruction. Ici s’élabore toute une approche de la philosophie positive de Lévinas, telle qu’en parle Benny Lévy dans Visage continu : la pensée du retour chez Emmanuel Lévinas et dans son cours « Le temps chez Lévinas » qu’il donna en 2001 à l’Institut d’études lévinassiennes. Il faudrait entendre dit B. Lévy une « signification positive du vide », cette inversion est « constante dans le mouvement de pensée de Lévinas : soit l’infini : le « in » est privatif normalement ; Lévinas dit : il faut entendre sous le négatif le « in » latin : « dans ». Signification positive : le plus dans le moins. » Comment abandonner la norme de la présence ? Ecoutons la critique lévinassienne du présent vivant : « Dans l’entre-temps, l’événement attendu vire en passé sans être vécu – sans être égalé – dans aucun présent. Quelque chose se passe entre le Crépuscule où se perd (ou se recueille) l’intentionnalité la plus extatique, mais qui vise toujours trop court – et l’Aube où la conscience revient à soi, mais déjà trop tard pour l’événement qui s’éloigne. Les grandes « expériences » de notre vie n’ont jamais été à proprement parler vécues. » (En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger. p.211) En l’absence de l’expérience du présent qui est aussi la source du paganisme, ce qui résonne en nous c’est, venu du passé hors mémoire, un commandement. Cette situation du psychisme humain, Lévinas l’appelle « prophétisme » : « On peut appeler prophétisme ce retournement où la perception de l’ordre coïncide ave la signification de cet ordre faite par celui qui y obéit. Et, ainsi, le prophétisme serait le psychisme même de l’âme : l’autre dans le même ; et toute la spiritualité de l’homme – prophétique » (Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, p.190). Quel est cet « autre » qu’évoque le prophétisme selon Lévinas ? Est-ce autrui ? Est-ce Dieu ? Où s’ancre l’altérité ? L’autre Totalité et Infini était aussi un Essai sur l’extériorité. Derrida en avait marqué les uploads/Philosophie/ levinas-et-derrida.pdf
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- Publié le Mai 20, 2021
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