1 Hugo Lucchino Master 2 d’Esthétique et Philosophie de l’art Séminaire extérie

1 Hugo Lucchino Master 2 d’Esthétique et Philosophie de l’art Séminaire extérieur de Mme Brac de la Perrière et de M. Van Staëvel Mini-mémoire L’Ornement de Grabar Critique philosophique D’après Oleg Grabar, L’Ornement. Formes et fonctions dans l’art islamique, trad. J.-F. Allain, Paris, Flammarion, 2013. Sommaire Introduction p. 2 1. Une méthodologie originale p. 2 a. Du particulier au général p. 2 b. Du général au particulier p. 3 c. La question du sens p. 4 2. L’ornement grabarien p. 6 a. L’objet d’étude p. 6 b. Ses fonctions calliphore et terpnopoïetique p. 7 c. Un présupposé esthétique bancal p. 10 3. La théorie des intermédiaires p. 11 a. Une relation dynamique entre sujet et objet p. 11 b. Le rôle médiateur de l’ornement p. 13 c. Nature des intermédiaires p. 14 Conclusion p. 16 Bibliographie p. 17 2 Introduction L’Ornement regroupe six conférences d’Oleg Grabar prononcées à la National Gallery of Art de Washington en 1989. Dans la suite d’Ernst Gombrich avec son ouvrage The Sense of Order, Grabar anticipe l’intérêt actuel de la recherche scientifique pour l’ornement. L’Ornement constitue donc un jalon bibliographique dans la théorie des arts décoratifs, dans la mesure où il la renouvelle de manière inédite en développant l’approche perceptive initiée par Gombrich et en s’appuyant sur l’expérience des arts de l’islam. Sa portée est à cet égard beaucoup plus large qu’un ouvrage de spécialiste, puisque les thèses proposées dépassent volontiers le champ de l’histoire des arts de l’islam, voire même de l’histoire de l’art générale. C’est pourquoi il se prête volontiers à une lecture et à une critique de nature philosophique, qui se concentrerait sur la méthode argumentative mise en œuvre et sur les distinctions conceptuelles proposées. Pour comprendre la démarche de Grabar, il est nécessaire d’analyser la méthodologie originale (1) qu’il applique et qui consiste en un va et viens entre le particulier et le général qui l’éloigne de la tradition universitaire. Cette méthodologie libre permet de forger le concept central d’ornement (2), qui constitue le socle théorique de la thèse qu’il développe tout au long de l’ouvrage, à savoir la théorie des intermédiaires (3). 1. Une méthodologie originale a. Du particulier au général Grabar décrit d’emblée dans la préface et dans l’introduction la démarche qui préside cet ouvrage. De manière surprenante, l’historien des arts de l’islam revendique une ambition au premier abord paradoxale, à la fois spécialiste et universaliste : « Bien que son ambition soit assurément d’expliquer certaines caractéristiques de l’art islamique classique, il vise aussi à réfléchir et à méditer sur la problématique de la perception, de l’utilisation et de l’élaboration de formes visuelles bien au-­‐delà de ce seul domaine historique »1. En réalité, Grabar est en quelque sorte contraint de sortir de sa discipline faute d’explication historique satisfaisante selon lui pour expliquer les développements originaux de l’art islamique classique, problème sur lequel la suite de cet essai reviendra largement. A cela s’ajoute une motivation très personnelle, que feront sienne ses étudiants : dans son article fondateur de la revue Muqarnas2, Grabar ambitionne 1 GRABAR, Oleg, L’Ornement. Formes et fonctions dans l’art islamique, trad. J.-­‐F. Allain, Paris, 2 GRABAR, Oleg, « Reflections on the Study of Islamic Art », in Muqarnas, vol. 1, 1983. 3 de dépasser le public restreint des spécialistes pour s’adresser plus largement aux universitaires, au motif que l’histoire des arts de l’islam soulèvent des questions d’ordre général qui remettent parfois en cause l’histoire de l’art occidentale traditionnelle et ses méthodes. L’apport du particulier au général est d’ailleurs souligné dans la préface de l’Ornement : « Parmi les hypothèses de ce livre, on retrouve la notion qu’il existe des universaux du comportement visuel, et que l’expérience d’une époque peut et doit être étendue, dans les limites du possible, à tous les arts de tous les temps »3. Les arts de l’islam constituent donc un moyen d’élaborer une théorie de la perception pertinente à l‘échelle de toutes les traditions artistiques. Evidemment, l’histoire de l’art seule ne possède pas les outils permettant de répondre à l’objectif « de définir une série de catégories visuelles identifiables, et d’examiner, comment elles sont perçues ou comprises dans le fonctionnement général des œuvres d’art »4, c’est pourquoi Grabar mobilise volontiers des disciplines extérieures : sémiologie, littérature, linguistique, anthropologie, auxquelles on pourrait ajouter la psychologie et la philosophie. b. Du général au particulier Si l’expérience particulière peut permettre de mettre à jour des règles universelles comme l’affirme Grabar, ce n’est cependant pas cette méthode typiquement historienne, selon laquelle l’étude des faits et des objets permet de dégager des phénomènes et mouvements plus généraux, qu’il choisit. En effet, il en prend même le contrepied en adoptant une démarche que l’on pourrait rattacher à la tradition philosophique, qui élabore d’abord des concepts pour ensuite tester leur validité sur des exemples particuliers : « il existe un autre type de discours possible sur les arts plastiques. Au lieu de partir d’œuvres individuelles clairement définies dans l’espace et le temps, on peut commencer par poser des questions d’ordre général »5. Les réponses proviennent ensuite de certaines époques ou traditions artistiques plus ou moins pertinentes selon la question posée. Il s’agit d’une approche « ni historique », « ni critique » mais « thématique » selon Grabar. Les questions posées dans cet ouvrage concernent la perception visuelle en général, et les moyens d’y répondre sont puisés dans les arts de l’islam, et plus particulièrement dans l’une de ses caractéristiques, à savoir l’ornement, dans la mesure où « ses exemples les plus séduisants et les plus réputés proviennent de régions à culture à prédominance musulmane »6. Si l’ornement, « cet aspect de la décoration qui semble ne pas avoir d’autre fonction que d’améliorer ou de 3 GRABAR, Oleg, L’Ornement. Formes et fonctions dans l’art islamique, op. cit., p.13. 4 Ibid., p.14. 5 Ibid., p.21. 6 Ibid., p.23. 4 rehausser son support »7, existe dans toutes les traditions artistiques, les arts de l’islam l’ont particulièrement investi, présentant une variété, une force expressive et une diversité de techniques remarquables, si bien qu’il « est raisonnable de partir du principe que le phénomène de la décoration ornementale présente dans le contexte musulman une valeur intellectuelle et herméneutique universelle »8. Autrement dit, l’étude des exemples tirés des arts de l’islam permet de développer une interprétation et une théorie des phénomènes de perception visuelle. Cependant, Grabar précise que cette méthodologie et cette ambition spéculative « ne peut éviter la rencontre directe et immédiate avec les objets » 9, d’où la recherche constante d’un certain équilibre entre exemples matériels et concepts généraux dans cet ouvrage. Les chapitres suivants présenteront une structure identique: quelques exemples permettent à Grabar de poser un certain nombre de problèmes qui le conduisent à élaborer des hypothèses générales sur la perception des manifestations artistiques, qu’ils confrontent à d’autres exemples pour enfin tirer une conclusion de nature universelle. Du particulier au général, du général au particulier, du particulier au général. Les transitions sont parfois abruptes entre les parties spéculatives, théoriques, abstraites, et celles exemplificatoires, matérielles, concrètes. On ressent le besoin constant de l’historien de se justifier à travers une profusion et des accumulations d’exemples d’objets d’art, besoin qui conduit parfois à négliger des clarifications conceptuelles nécessaires, comme la suite de cet essai tentera de le montrer. c. La question du sens Le point de départ de cette méthodologie originale a trait au problème fondamental de l’opacité du message visuel dans les œuvres d’art islamique. Dans le chapitre 1 qui pose la problématique générale de l’ouvrage, Grabar décrit une série d’objets islamiques au statut sémiotique incertain, entre représentation animale et abstraction formelle. Malgré les études historiques sur ces objets, l’incertitude demeure faute de sources primaires conséquentes pour cette époque de l’histoire des arts de l’islam. Ces exemples permettent de « mettre en lumière un problème ontologique, celui de l’apparente ambigüité entre ce que l’on voit et les significations que l’on donne, ou que l’on peut donner, à ce que l’on voit »10. Ce problème de l’interprétation des objets éloignés historiquement et culturellement, lorsque des référents extérieurs clairement identifiables font défaut, amène à s’interroger d’abord sur le contexte historique de leur production. Cependant, au-­‐delà, des questions pertinentes plus générales perdurent : 7 Ibid., p.23. 8 Ibid., p.24. 9 Ibid., p.26. 10 Ibid., p.32. 5 D’abord, qu’est-­‐ce qui nous permet d’identifier un oiseau, un poisson ou un texte alors que ce que l’on voit n’a aucune ressemblance véritable avec le nom qu’on lui donne ? Si la figure représentée n’entre pas dans notre expérience du monde phénoménal, qu’est-­‐ce qui nous autorise à dire qu’il s’agit d’un oiseau ou d’un poisson ? Quelle réaction psychologique ou comportementale exige une interprétation mimétique de ces formes, c’est-­‐à-­‐dire qui suppose que toutes les formes se rattachent à un monde physique existant (ou imaginaire, dans le cas de la licorne, par exemple) ?11 Ces questions concernent autant le spécialiste, qui essaye d’interpréter les objets qu’il étudie, que le grand public, séduit par ces formes esthétiques. Un dernier exemple permet à Grabar de préciser sa problématique : il s’agit d’une peinture iranienne uploads/Philosophie/ lornement-de-grabar-critique-philosophiq.pdf

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